Israël en guerre - Jour 350

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Opinion

Pour le Hamas, il devrait garder la plupart des otages, gagner la guerre et embraser la Cisjordanie

Il aura fallu plus de 24h aux États-Unis pour comprendre que le Hamas n'avait pas accepté l’offre d'échange d'otages ; et le texte de leur "accord" est encore plus perfide

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le dirigeant du Hamas de l'époque, Ismail Haniyeh (à gauche), et le prisonnier sécuritaire palestinien nouvellement libéré, Yahya Sinwar, saluent les supporters qui célèbrent la libération de 1 027 prisonniers de sécurité dans le cadre d'un échange contre le soldat de Tsahal enlevé, Gilad Shalit, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 21 octobre 2011. (Crédit : Said Khatib/AFP)
Le dirigeant du Hamas de l'époque, Ismail Haniyeh (à gauche), et le prisonnier sécuritaire palestinien nouvellement libéré, Yahya Sinwar, saluent les supporters qui célèbrent la libération de 1 027 prisonniers de sécurité dans le cadre d'un échange contre le soldat de Tsahal enlevé, Gilad Shalit, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 21 octobre 2011. (Crédit : Said Khatib/AFP)

Mardi soir, plus d’un jour après l’aval prétendu du groupe terroriste palestinien du Hamas à la proposition des médiateurs égyptiens et qataris « pour un accord de cessez-le-feu », le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, a finalement précisé publiquement que « ce n’est pas ce qu’ils ont fait ».

« Ce qu’ils ont fait, c’est proposer des modifications et faire une contre-proposition », a-t-il déclaré. Les États-Unis, a-t-il ajouté, « en étudient actuellement les détails ».

En effet, un examen attentif du document du Hamas, tel qu’il a été publié (en arabe) par le groupe terroriste lui-même, montre que loin de contenir des « amendements » ou une contre-proposition un tant soit peu viable, il est construit avec un raffinement diabolique pour garantir au Hamas de survivre à la guerre et de reprendre le contrôle de l’ensemble de la bande de Gaza. (Les citations du texte du Hamas dans cet article proviennent d’une traduction sur le site web d’Al Jazeera, propriété du Qatar.)

Mais cela ne s’arrête pas là.

Le texte a également été élaboré pour permettre au Hamas d’atteindre d’autres objectifs clés et de grande envergure sans avoir à répondre à la principale exigence d’Israël pour un accord, à savoir la libération de tous les otages. Ainsi, le Hamas pourrait abroger l’accord et atteindre tous ses objectifs clés, tout en continuant à détenir la quasi-totalité des otages.

Parmi ces objectifs figure notamment l’un des plus importants du Hamas depuis qu’il a envahi Israël le 7 octobre : étendre sa guerre de destruction contre l’État juif à la Cisjordanie. Les termes du document sont par ailleurs conçus pour réduire à néant la vaste vision du président américain Joe Biden concernant la normalisation avec l’Arabie saoudite et la mise en place d’une coalition élargie au Moyen-Orient contre l’Iran.

Une série de changements inquiétants

Beaucoup a été dit sur l’insistance d’Israël à refuser d’accepter la fin de la guerre comme condition à la libération des otages ; or dans les premiers paragraphes de sa sinistre proposition alternative, le Hamas stipule que l’un des « objectifs » de l’accord est « le retour à un calme durable conduisant à un cessez-le-feu permanent ». Ce qui revient à couper les cheveux en quatre : la proposition envoyée par les médiateurs au Hamas à la fin du mois dernier, et décrite par le secrétaire d’État américain Antony Blinken comme une offre israélienne « extraordinairement généreuse », prévoyait un « arrangement visant à restaurer un calme durable », une expression qui semblait être un euphémisme pour désigner un cessez-le-feu permanent.

Il a été fait grand cas, à juste titre, du fait que, dans le document du Hamas, Israël serait tenu de cesser ses opérations militaires lors de la première phase de six semaines de l’accord en trois étapes, durant laquelle 33 otages seraient libérés, et que Tsahal devrait se « retirer complètement » de Gaza et qu’une « cessation permanente des opérations militaires » devrait prendre effet avant que d’autres otages ne soient libérés lors de la deuxième phase de l’accord.

Des manifestants réclament la libération des otages détenus par des groupes terroristes dans la bande de Gaza, près de la résidence officielle du Premier ministre à Jérusalem, le 6 mai 2024. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Ce qui est moins bien compris, c’est que la proposition du Hamas stipule que, dans un premier temps, « les personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza retourneront dans leurs zones de résidence » et que « tous les résidents de Gaza seront autorisés à circuler librement dans toutes les parties de la bande de Gaza », mais aussi que toutes les activités de « l’aviation israélienne (militaire et de reconnaissance) » dans la bande de Gaza devront être suspendues pendant une grande partie de la journée.

Ces exigences, combinées à un retrait partiel des troupes de Tsahal tel que spécifié pour cette première phase, permettraient aux terroristes armés et aux responsables du Hamas de reprendre le contrôle de l’ensemble de la bande de Gaza. Les termes « non armés » sont utilisés dans une clause de la proposition du Hamas pour décrire les personnes déplacées qui seraient autorisées à retourner dans leur région de résidence, mais les exigences et les dispositions qui l’accompagnent signifient qu’Israël n’aurait ni le droit ni les moyens, en vertu de la proposition, d’imposer une telle limitation.

Plus importante encore, et largement méconnue, la reconfiguration radicale, dans le document du Hamas, des conditions et du processus de libération des otages israéliens.

La proposition du Hamas est structurée de manière à lui permettre de libérer qu’un nombre très limité d’otages en échange non seulement de la fin de la campagne de Tsahal à Gaza, de sa survie et de la reprise du contrôle total de la région, mais aussi d’un regain de soutien planifié au Hamas en Cisjordanie, de la poursuite de la neutralisation de l’Autorité palestinienne (AP) et d’une éventuelle escalade de la violence contre Israël en Cisjordanie et à partir de celle-ci

De nombreux parents des 128 Israéliens toujours détenus à Gaza depuis le 7 octobre, vivants ou morts, ont plaidé, désespérément et à juste titre, pour un accord à n’importe quel prix ou presque, y compris la fin de la guerre, en échange de la libération de tous les otages, de la plupart d’entre eux ou même d’une grande partie d’entre eux.

Mais la proposition du Hamas est structurée de manière à lui permettre de ne libérer qu’un nombre très limité d’otages en échange non seulement de la fin de la campagne de Tsahal à Gaza, de sa survie et de la reprise du contrôle total de la région, mais aussi d’un regain de soutien planifié au Hamas en Cisjordanie, de la poursuite de la neutralisation de l’Autorité palestinienne (AP) et d’une éventuelle escalade de la violence contre Israël en Cisjordanie et à partir de celle-ci.

Comment ?

Qui serait libéré ?

La proposition du Hamas reprend le document précédent, selon lequel le Hamas devait libérer au moins 33 otages vivants au cours de la première phase de l’accord, à raison de trois otages tous les trois jours à partir du premier jour de l’entrée en vigueur de l’accord.

Cependant, comme cela a été largement relevé, la proposition du Hamas ne s’engage plus à libérer 33 otages vivants au cours de la première phase – ce qui constituait déjà une concession de la part d’Israël, qui avait exigé 40 otages vivants au cours de la première phase – mais précise désormais que les 33 otages peuvent être « vivants ou morts ».

Des Israéliens, otages depuis le 7 octobre, remis par des terroristes du Hamas et du Jihad islamique à la Croix-Rouge à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 28 novembre 2023. (Crédit : AFP)

En outre, les trois premiers otages ne seraient libérés par le Hamas qu’au troisième jour seulement de l’entrée en vigueur de l’accord, suivis de « trois autres captifs tous les sept jours ». Cela signifie qu’alors que, dans le cadre de la proposition soutenue par Israël, les 33 otages seraient libérés au cours du premier mois de l’accord ; selon la proposition du Hamas, moins de la moitié des 33 otages seraient libérés au cours du premier mois.

La proposition du Hamas précise en outre que les premiers otages à être libérés seront « des femmes dans la mesure du possible (civiles et soldates) ». Elle fait passer de 40 à 50 le nombre de prisonniers sécuritaires palestiniens à relâcher en échange de chaque soldate israélienne vivante (elles seraient au nombre de cinq) retenue en otage, y compris 30 qui purgent des peines d’emprisonnement à perpétuité, alors que dans l’offre israélienne, il était question de 20 détenus purgeant des peine à perpétuité. Le texte du Hamas supprime également une clause clé de la proposition soutenue par Israël, aux termes de laquelle le groupe terroriste n’était autorisé à choisir que 20 des prisonniers de sécurité à libérer dans un premier temps, Israël ayant le droit d’opposer son veto à ces choix. Au lieu de cela, le texte du groupe stipule que les prisonniers de sécurité palestiniens seront libérés « sur la base de listes fournies par le Hamas ».

La conséquence cumulée de tous ces changements est que, dès les premiers jours de l’accord, le Hamas obtiendrait la libération de centaines de chefs terroristes et d’assassins comptant parmi les plus dangereux et les plus symboliques, dont au moins 150 purgent des peines de prison à perpétuité, en contrepartie de la libération d’un très petit nombre d’otages.

Le soldat israélien libéré Gilad Shalit, deuxième à droite, avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, deuxième à gauche, le ministre de la Défense Ehud Barak, à gauche, et l’ancien chef d’état-major, le général Benny Gantz, à droite, à la base aérienne Tel Nof dans le sud d’Israël, le 18 octobre 2011. (Crédit : Ariel Hermoni/Ministère de la Défense/Flash90)

La proposition du Hamas comporte également une clause exigeant la libération, au 22e jour de l’accord, de « tous les prisonniers de l’accord Shalit qui ont été réarrêtés ».

Yahya Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, qui faisait lui-même partie des 1 027 prisonniers sécuritaires palestiniens libérés par Israël en contrepartie de la libération du soldat kidnappé Gilad Shalit en 2011, y verrait la boucle bouclée : la libération des nombreux collègues qui ont repris leurs activités terroristes après leur libération spectaculairement controversée il y a 13 ans et qui, contrairement à lui, ont été recapturés.

En outre, la proposition du Hamas ne tient pas compte d’une demande israélienne largement relayée, à savoir le droit d’opposer son veto au retour en Cisjordanie de certains prisonniers sécuritaires palestiniens basés en Cisjordanie, pour les envoyer plutôt à Gaza ou en exil.

Pourquoi tout cela est-il important ?

L’importance de la Cisjordanie

La libération de dizaines de prisonniers de sécurité palestiniens pendant la semaine de l’accord pour la libération des otages en novembre a donné lieu à des scènes de liesse en Cisjordanie. Comme l’avait rapporté le Times of Israel à l’époque, « nuit après nuit, des dizaines de bannières vertes du Hamas étaient brandies devant les caméras, et les prisonniers libérés les portaient en bandeau, et ce même dans les rues de Ramallah, le bastion de l’Autorité palestinienne contrôlé par le Fatah ».

Et il s’agissait alors de femmes et de mineurs.

Un prisonnier palestinien, relâché par Israël dans le cadre de l’accord portant sur la libération des otages à Gaza, retrouve ses soutiens et ses proches à Ramallah, en Cisjordanie, le 26 novembre 2023. (Crédit : Fadel SENNA / AFP)

Les conditions actuelles du Hamas permettraient la libération de plusieurs dizaines de prisonniers condamnés à de lourdes peines et à la prison à vie, d’assassins, de tueurs de masse et de chefs terroristes, dont Marwan Barghouti, le plus populaire [parmi les Palestiniens] des détenus sécuritaires palestiniens, qui purge cinq peines de prison à vie pour avoir orchestré des attaques terroristes meurtrières pendant la deuxième Intifada, et Ahmad Saadat, qui purge une peine de 30 ans pour avoir organisé l’assassinat du ministre du Tourisme, Rehavam Ze’evi, en 2001. Et c’est ce type d’individu qui retournerait en Cisjordanie.

Leur libération, telle qu’envisagée par Sinwar, sera perçue par les Palestiniens de Cisjordanie comme une humiliation retentissante pour Israël, une condamnation de l’AP, qui n’a pas réussi à obtenir leur libération, et une victoire retentissante pour le Hamas.

Le dirigeant palestinien du Fatah Marwan Barghouti escorté par la police israélienne vers le tribunal de première instance de Jérusalem pour témoigner dans le cadre d’un procès civil américain contre les dirigeants palestiniens, en janvier 2012. (Crédit : Flash90)

Considéré comme une confirmation de la détermination implacable du Hamas à détruire Israël et comme une preuve du succès de ses tactiques et de sa stratégie pour atteindre cet objectif, Sinwar comptera sur l’euphorie qui accompagnera le retour des prisonniers pour consolider le Hamas en tant que champion inégalé de la cause palestinienne. Cela lui permettra de renforcer le soutien de la population de Cisjordanie et d’unifier les Palestiniens de Cisjordanie derrière lui, de marginaliser l’AP déjà défaillante et d’ouvrir une nouvelle ère d’escalade de la violence et du terrorisme à l’encontre d’Israël.

Abroger l’accord

Toutefois, déjà à ce stade peu avancé de l’accord, qui est censé se dérouler en trois étapes sur une période de 18 semaines, l’intérêt du Hamas à poursuivre la procédure serait très limité. Il n’aurait plus grand-chose à gagner avec Israël.

Et Israël, surtout, ne disposerait plus que de très peu, voire d’aucun, moyens de pression sur le Hamas.

Le Hamas se ferait alors un plaisir de calculer jusqu’où il devrait s’engager dans l’accord avant de l’abroger, les étapes « interconnectées » de sa proposition lui offrant de nombreuses occasions de le faire. Le groupe terroriste serait ainsi en mesure de calculer le moment le plus opportun pour interrompre les libérations d’otages, et de le faire de manière à tromper le plus grand nombre de personnes possible en les amenant à considérer les Israéliens comme étant la partie fautive, celle qui rejette l’accord – comme il vient de le faire avec succès lundi soir en prétendant de manière mensongère qu’il avait accepté l’accord de cessez-le-feu.

Le Hamas agirait ainsi en sachant que les États-Unis souhaitent voir la guerre s’arrêter et ne pas reprendre. Depuis des mois, l’administration Biden s’en prend publiquement à Israël pour le nombre élevé de victimes civiles à Gaza, et elle cherche désespérément à obtenir et à maintenir un cessez-le-feu alors qu’aux Etats-Unis, la campagne électorale bat son plein et que les tensions sont vives sur les campus universitaires et au-delà. Refusant déjà de fournir des armes à Israël pour empêcher Tsahal d’attaquer le Hamas dans son dernier bastion à Rafah, et se méfiant profondément du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de sa coalition d’extrême droite, l’administration serait extrêmement réticente à fournir un soutien diplomatique et des armes pour une reprise de la campagne militaire d’Israël.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu accueille et enlace le président américain Joe Biden à l’aéroport Ben Gurion, le 18 octobre 2023. (Capture d’écran)

En résumé :

Ainsi, sous les conditions qu’il a définies, le Hamas espère survivre, se réarmer et réaffirmer son contrôle total à Gaza, ainsi qu’établir sa suprématie en Cisjordanie. Israël pourra être attaqué sur plusieurs fronts. La vision américaine ambitieuse et improbable d’un Israël intégré dans la région, en paix avec l’Arabie saoudite, avec une AP réformée au pouvoir en Cisjordanie et à Gaza, sera réduite à néant. La plupart des otages continueront à être détenus à Gaza, sans perspective de libération. Et Israël sera plus déchiré et vulnérable que jamais.

Lundi soir, peu après la publication par le bureau du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, de son acceptation supposée d’un cessez-le-feu, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a dit avoir parlé à Haniyeh, qui lui avait assuré que « la balle est dans l’autre camp. Nous sommes honnêtes dans nos intentions ».

Effectivement, ce document ne laisse planer aucun doute sur les intentions du Hamas. Il suffit juste de le lire.

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