Les Palestiniens de Cisjordanie sont-ils en train de tomber dans les bras du Hamas ?
Deux experts - un Palestinien et un Israélien - évoquent l'impact de la guerre et de la libération des prisonniers palestiniens pour la réputation du groupe terroriste hors de Gaza
Le retour de 240 prisonniers palestiniens, libérés des prisons israéliennes où ils étaient incarcérés pour atteinte à la sécurité nationale, a été accompagné, la semaine dernière, par des scènes de fête dans toute la Cisjordanie. Des centaines de personnes se sont rassemblées pour accueillir les ex-détenus dans une atmosphère de liesse sous les feux d’artifice. Ce sont des femmes et des mineurs qui ont été remis en liberté – des prisonniers qui, s’ils n’avaient pour aucun d’entre eux été reconnus coupables d’homicide, avaient parfois été mis en examen pour tentative de meurtre.
Ces scènes n’ont pas été observées à Jérusalem-Est en raison des restrictions strictes imposées par la police, soucieuse d’empêcher la circulation d’images de Palestiniens impliqués dans des activités terroristes en train de célébrer leur « victoire ». Les amendes venant sanctionner une violation de ces restrictions pouvaient atteindre un maximum de 70 000 shekels, ont fait savoir des sources palestiniennes.
Dans les villes de Cisjordanie placées sous le contrôle de l’Autorité palestinienne – où les forces de l’ordre israéliennes ne peuvent pas intervenir de manière directe – des centaines de personnes sont descendues dans les rues pour saluer le retour des détenus. Alors que ces derniers faisaient le signe de la victoire, portés sur les épaules de leurs soutiens, le réel vainqueur, dans ces événements, a néanmoins clairement semblé être le Hamas.
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« Sur les 200 prisonniers environ qui ont été relâchés, presque aucun d’entre eux n’était vraiment membre du Hamas et pourtant, tout ce qui s’est passé a été considéré comme un succès exclusif du Hamas », commente Michael Milshtein, responsable du Forum d’études palestiniennes au sein du Contre Moshe Dayan, à l’université de Tel Aviv.
Nuit après nuit, des dizaines de drapeaux verts, ceux du Hamas, ont été brandis devant les caméras, des drapeaux que les prisonniers libérés portaient aussi en bandeau autour de la tête – et cela a même été le cas dans les rues de Ramallah, bastion de l’Autorité palestinienne placée sous la direction du parti du Fatah. Le Fatah et le Hamas sont des rivaux de longue date.
« L’Autorité palestinienne a presque disparu des rues de la Cisjordanie. Ses dirigeants sont très mal à l’aise. Ce n’est pas leur exploit. Je suppose pour ma part qu’ils ne sont probablement même pas très contents de ces libérations », ajoute Milshtein.
La trêve temporaire, qui s’est effondrée le 1er décembre, a permis à 105 civils d’être libérés des geôles du Hamas à Gaza qui les retenait en otage : 81 Israéliens, 23 ressortissants thaïlandais et un citoyen philippin.
Israël estime qu’il reste encore environ 137 captifs aux mains des factions terroristes à Gaza, et insiste sur la nécessité, pour le groupe terroriste, de remettre en liberté les femmes et les enfants encore détenus dans la bande avant d’envisager la négociation de nouveaux accords. Le Hamas, de son côté, a exclu toute possibilité de relâcher de nouveaux otages avant la fin de la guerre.
Khalil Shikaki, professeur en sciences politiques et directeur du Centre palestinien d’études politiques et statistiques à Ramallah, estime que les libérations des détenus palestiniens ont été très bénéfiques pour la réputation du Hamas – qui pourrait bien avoir multiplié par trois le nombre de ses soutiens en Cisjordanie.
« Nous n’avons pas encore terminé de collecter les données pour notre prochain sondage en Cisjordanie, mais sur la base de ce que nous constatons jusqu’à présent, il semble que la popularité du Hamas soit beaucoup plus forte qu’elle ne l’était il y a seulement trois mois, voire même il y a deux mois, juste avant le début de la guerre », déclare-t-il.
Selon une enquête d’opinion menée par l’institut de Shikaki au début du mois de septembre, le soutien apporté au Hamas était de 12 % en Cisjordanie et était alors déclinant.
Interrogé sur la possibilité d’un coup d’état violent du Hamas en Cisjordanie, similaire à celui qu’avait fait le groupe terroriste à Gaza en 2007 – il avait férocement expulsé le Fatah après avoir remporté les élections – il indique « qu’à l’évidence, la Cisjordanie est en état d’ébullition ».
« Il y a un mécontentement énorme en Cisjordanie, en particulier de la part des jeunes Palestiniens et en particulier dans le nord du territoire », un bastion du Hamas.
Mais, ajoute-t-il, même si le nombre de partisans du Hamas a triplé depuis le 7 octobre là-bas, ces soutiens restent encore une minorité au sein de la population.
« Je ne pense pas que le Hamas soit en capacité de faire un coup d’état en Cisjordanie », indique Shikaki. « Le Hamas bénéficie d’un soutien au niveau populaire – mais pas de ce genre de soutien qui pourrait éventuellement se traduire en force militaire efficace, une force qui serait en mesure de se dresser contre les services de sécurité, ou même contre la police. »
Milshtein partage la même analyse sur la base de la diminution significative des forces du Hamas dans les territoires de l’Autorité palestinienne, au cours des deux derniers mois. « Depuis le 7 octobre, il y a eu une énorme vague d’arrestations faites par les forces israéliennes en Cisjordanie. Sur les 2 000 individus qui ont été appréhendés, plus de 1 000 étaient membres du Hamas. En résultat, les activités politiques, sociales et, bien entendu, les activités militaires du Hamas dans la zone ont été grandement réduites. »
Les menaces de chaos en Cisjordanie
Cela ne signifie pas, toutefois, que la situation sécuritaire, de l’autre côté de la Ligne verte, ne peut pas se détériorer dans un avenir proche.
« Ce qui présentera le plus de risque, c’est si des négociations ont lieu pour la libération de leaders éminents du Hamas en échange d’otages israéliens. Si des gens comme Abbas al-Sayyed ou Ibrahim Hamed sont libérés, le positionnement du Hamas en Cisjordanie sera bien plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui », estime Milshtein.
Al-Sayyed, un terroriste actuellement emprisonné en Israël, sert 35 condamnations à la prison à vie pour avoir organisé deux attentats majeurs pendant la Seconde Intifada – l’attaque perpétrée en 2001 dans le centre commercial de Sharon et l’attentat à la bombe qui commis au Park Hotel de Netanya, en 2002 – qui ont entraîné, à eux deux, la mort de 65 Israéliens. Ibrahim Hamed, l’ancien chef de l’aile militaire du Hamas en Cisjordanie, purge actuellement une peine de 45 condamnations à la détention à vie pour avoir orchestré des attentats-suicides variés qui ont tué 96 civils israéliens.
« Après l’échange Gilad Shalit, en 2011 [1 027 prisonniers palestiniens ont été relâchés contre la libération d’un soldat israélien], presque tous ceux qui avaient été remis en liberté ont été à nouveau arrêtés au fil de la dernière décennie. Mais ce n’est pas aussi facile que ça », explique Milshtein. « Même s’ils ont été libérés avant d’être réarrêtés quelques semaines ou quelques mois plus tard, ils ont encore été en mesure d’utiliser le temps qu’ils ont passé en liberté pour mener des activités de propagande ou des activités militaires préjudiciables. »
Une Autorité palestinienne affaiblie
Autre conséquence possible du renforcement du Hamas en Cisjordanie, l’affaiblissement et la fracturation conséquentes du parti du Fatah, à la tête de l’Autorité palestinienne.
« Je pense que la plus grande menace, pour l’Autorité palestinienne, ce n’est pas un coup d’état du Hamas mais plutôt une forme ou une autre de mutinerie au sein de ses services de sécurité », déclare Shikaki. « Jusqu’à aujourd’hui, les services de sécurité ont prouvé qu’ils étaient très soudés, très efficaces. Ils sont parvenus à maintenir leurs rangs sans perturbation majeure. »
« Mais déjà maintenant, ils ne sont pas en capacité de se déployer sur tout le territoire », continue-t-il, faisant référence à la perte croissante de contrôle de l’appareil sécuritaire de l’AP dans le nord de la Cisjordanie. « Par exemple, l’AP n’arrive pas à payer les salaires de ses employés. »
« Et plus l’Autorité palestinienne devient faible, plus forte est l’expression de la colère du public à son encontre, et plus il y a de probabilités qu’il y ait des agitations, dans les services de sécurité, susceptibles d’entraîner une mutinerie », note Shikaki.
Il fait néanmoins remarquer que cette possibilité reste de l’ordre de la théorie. « Nous ne voyons aucun élément laissent penser que ce serait en train d’arriver en ce moment », explique-t-il.
La nécessité de réformer l’AP
Comme le Hamas, l’AP et son leader, Mahmoud Abbas, sont loin d’être populaires parmi les Palestiniens. Dans un sondage diffusé par l’équipe de Shikaki dans la semaine qui a précédé le massacre du 7 octobre, 85 % des habitants de la Cisjordanie demandaient la démission du président de l’Autorité palestinienne.
Conscients de la corruption, de l’inefficacité et de l’impopularité de l’AP, le président américain Joe Biden et le secrétaire d’État Antony Blinken ont appelé à ce qu’une AP « redynamisée » gouverne la Cisjordanie et Gaza une fois que le Hamas serait renversé, dans le cadre de l’établissement d’un État palestinien et de la mise en place d’une solution à deux États – inaccessible depuis longtemps.
La vision de l’administration Biden d’une prise de pouvoir éventuelle, à Gaza, de l’Autorité palestinienne et les efforts livrés par Washington pour rassembler ses alliés arabes – qui pourraient être appelés à aider à assurer la sécurité dans la bande dans l’intervalle – font l’objet d’une résistance féroce de la part du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui affirme que l’AP, sous sa forme actuelle, « n’est pas apte » à diriger la destinée de Gaza, que l’État juif conservera la responsabilité de la sécurité dans son ensemble au sein de l’enclave côtière et qu’il ne la confiera certainement pas à « des forces internationales ».
« Il est absolument indubitable qu’il y aura un rejet significatif de l’Autorité palestinienne et de son leadership tels qu’ils sont actuellement – et ce sera le cas à Gaza comme en Cisjordanie. Les responsables palestiniens actuels avaient déjà perdu toute crédibilité avant la guerre et le peu qu’ils pouvaient conserver a été perdu pendant le conflit », dit Shikaki.
« L’AP est d’une telle faiblesse, elle est si pauvre, elle contrôle à peine la Cisjordanie. On ne peut pas lui demander de contrôler 2,2 millions de personnes à Gaza qui la haïssent véritablement », estime Milshtein.
Le seul moyen de renforcer l’AP en Cisjordanie et de la ramener au pouvoir à Gaza, une fois le régime du Hamas écarté, est de renforcer sa légitimité populaire en organisant des élections, maintient Shikaki.
Mais jusqu’à ce que les Palestiniens puissent retourner aux urnes, plusieurs mesures peuvent être prises pour aider l’AP à regagner une légitimité. Shikaki appelle de ses vœux un nouveau gouvernement technocratique qui comprendrait toutes les factions politiques palestiniennes et notamment l’aile politique du Hamas.
« Il faut qu’il soit perçu comme un gouvernement d’unité indépendant représentant les groupes variés, les factions politiques et la société civile plutôt que comme un gouvernement se rapportant à Abbas et au leadership palestinien actuel », explique-t-il. « Je pense qu’il est plus probable que cela paraisse acceptable à la communauté internationale et à Israël. »
Alors que certains, au sein de l’establishment palestinien – et notamment au sein du Fatah – considèrent le Hamas comme une composante indissociable de la société palestinienne, la majorité des Israéliens trouvent intolérable l’idée de la présence de membres du groupe terroriste au sein d’un gouvernement de l’AP. « Je suppose que la condition, dans tous les scénarios qui sont susceptibles d’être envisagés à l’avenir, sera qu’il n’y aura pas de Hamas dans des élections palestiniennes », estime Milshtein.
« L’administration américaine, et même Israël, doit pousser les Palestiniens à procéder à des réformes d’envergure parce que sans changements significatifs, sans mettre un terme aux incitations à la violence et au terrorisme contre Israël dans le système d’éducation palestinien, il est impossible de s’attendre à des avancées positives entre Israël et les Palestiniens », continue-t-il.
La première initiative à prendre pour redynamiser l’AP doit être la lutte contre la corruption, la lutte contre le népotisme et l’absence de démocratie, dit-il, des facteurs qui ont entraîné « un éloignement » entre le leadership et la population. « Presque toutes les personnalités de premier plan, au sein de l’AP, sont très corrompues et des élections n’ont pas été organisées dans les territoires palestiniens depuis 2006. En résultat, les relations entre la société et les responsables ont tourné au vinaigre », affirme l’expert israélien.
Shikaki partage cette analyse, affirmant que « un futur gouvernement palestinien doit être perçu comme étant déterminé à lutter contre la corruption, déterminé à restaurer la bonne gouvernance et à garantir les libertés des Palestiniens ».
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