Lettonie: Un camp de concentration nazi remis sur la carte par une professeure d’art
Le projet "Locker of Memory" de Karen Frostig réunit les survivants et les descendants du camp de Jungfernhof, ainsi que des représentants de la Lettonie
Un parc luxuriant situé à l’extérieur de la capitale de la Lettonie abritera bientôt un mémorial dédié aux victimes du camp de concentration de l’Allemagne nazie de Jungfernhof.
À partir de la fin de 1941, environ 4 000 Juifs ont été déportés dans le camp « improvisé » de Jungfernhof, à l’extérieur de Riga. La quasi-totalité d’entre eux ont été assassinés ou ont travaillé jusqu’à leur mort dans les mois qui ont suivi. Parmis eux se trouvaient les grands-parents de Karen Frostig, experte en art public basée au Massachusetts.
« Il ne reste rien sur ce site. Pas d’archives, pas de photos », a déclaré Karen Frostig au Times of Israel, à la suite des remarques qu’elle a formulées aux Nations unies à l’occasion de la Journée internationale de commémoration de la Shoah, le 27 janvier dernier.
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Lorsque Frostig a visité l’ancien camp pour la première fois en 2007, puis à nouveau en 2010, la zone « était envahie d’ordures et il n’y avait aucune preuve qu’un camp de concentration ait existé sur ce terrain », a-t-elle déclaré.
Lors de sa visite en 2010, Frostig a présenté une proposition de mémorial de Jungfernhof aux autorités lettones. Le projet a d’abord été rejeté parce que Jungfernhof était considéré comme trop éloigné, mais Frostig ne s’est pas laissée décourager.
À son retour à Jungfernhof en 2019, les déchets avaient été enlevés et le site transformé en parc public. Un grand panneau détaillant 800 ans d’histoire sur le site faisait référence aux « Juifs allemands et autrichiens assignés au travail forcé dans les champs », a déclaré Frostig.
Le 26 mars 1942, plus de 1 800 Juifs ont été emmenés de Jungfernhof et assassinés dans le cadre de « l’Aktion Dünamünde », qui visait les enfants, les personnes âgées et les infirmes. Le massacre a été perpétré par la police auxiliaire lettone, le « Arajs Kommando », sous la direction d’officiers SS allemands.
Les noms des victimes de la « Dünamünde Aktion » et des autres Juifs assassinés à Jungfernhof seront inscrits sur le mémorial imaginé par Frostig, un « cubicule vertical en acier noirci conçu comme une boite de la mémoire, sur lequel sont inscrits 3 985 noms », dont ceux de 149 survivants.
Le coffre de la mémoire
Le projet de Frostig, intitulé « Locker of Memory » (« Le coffre de la mémoire »), comprend un jardin et un élément ressemblant à un dais qui seront installés au-dessus de la fosse commune du site, mais rien ne sera construit ou planté sur le sol où 800 cadavres ont été enterrés, puis replantés sur ordre des SS.
« Pour que cela fonctionne, il faut que le mémorial soit un lieu de signification et de réflexion pour les gens », a déclaré Karen Frostig. « Et le public doit interagir avec le processus », a-t-elle ajouté.
Depuis sa dernière visite sur le site il y a quatre ans, Frostig a réuni autour du projet des acteurs de Lettonie, d’Allemagne et d’Autriche, ainsi que des survivants et des descendants de Jungfernhof.
« Ce projet vise à restaurer l’histoire d’un site oublié », a déclaré Frostig, professeure d’art à l’université Lesley, dans la banlieue de Boston. « Je veux conserver la mémoire de ce qui s’est passé à cet endroit, pour le garder en sécurité », a-t-elle ajouté.
Actuellement, les outils interactifs permettant aux visiteurs de s’engager dans un apprentissage autonome comprennent des cartes en 3D de la région avec les sites d’exécution de la Shoah marqués et des informations sur les « transports » de Juifs amenés à Jungfernhof au cours de la brève existence du camp.
« Le projet doit être participatif si nous voulons impliquer la prochaine génération », a déclaré Frostig, dont le précédent projet à grande échelle sur la mémoire de la Shoah a été organisé à Vienne il y a près de dix ans.
« Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’opposition au projet de mémorial », a déclaré Frostig. Le parc restera un parc, traversé par les cyclistes et les patineurs à roulettes, et les personnes qui se promènent le long de la rivière adjacente.
« Il y a une volonté de travailler ensemble. La communauté juive et les autorités lettones sont toutes deux favorables à la création d’un mémorial permanent sur le site », a déclaré Frostig.
Des témoignages circulent dans les familles
Depuis l’hiver dernier, Frostig a réuni un groupe de survivants et de descendants de Jungfernhof. Ce groupe, qui se réunit tous les mois avec une douzaine de participants, a contribué à orienter la réflexion de Frostig sur le projet.
« Il y a trois survivants qui viennent à chaque réunion », a déclaré Frostig. « Leur présence est si puissante. »
Le parcours personnel de Frostig dans le travail de mémoire sur la Shoah a démarré en 1991 lorsqu’elle a trouvé une petite boîte dans le sous-sol de sa mère. À l’intérieur se trouvaient des documents relatifs au départ de son père de Vienne après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938.
Après avoir fui Vienne, le père de Frostig n’a pas pu sauver ses parents. « C’est devenu une source de honte et de traumatisme pour lui », a déclaré Frostig, qui a également retrouvé des lettres de parents piégés en Europe, écrites à son père.
En grandissant, Frostig savait que deux photos d’identité accrochées au mur étaient celles des parents de son père. « Mais personne n’en parlait jamais. Elles restaient suspendues dans le silence », a déclaré Frostig.
En 1942, les grands-parents de Frostig faisaient partie des Juifs autrichiens déportés de Vienne à Jungfernhof et dans plusieurs autres sites de la région.
Frostig ne dispose d’aucune information précise sur ce qui est arrivé à ses grands-parents dans le camp, mais trois historiens faisant partie de l’équipe du projet – Richards Plavnieks, Evan Robins et Fred Zimmak – ont découvert des informations, notamment un tableau répertoriant les prisonniers du camp qui donnaient à d’autres détenus des leçons de mathématiques, d’art et de musique.
« Il y a eu 149 survivants, il doit donc y avoir beaucoup d’histoires qui circulent dans les familles », a déclaré Frostig.
Selon les témoignages, le camp comprenait un entrepôt, des granges et des baraquements pour les prisonniers. Il n’y avait pas de clôture autour du camp et la police auxiliaire lettone patrouillait dans le périmètre pour empêcher les évasions.
La terre et sa richesse
Les voyages de recherche de Frostig à Riga lui ont permis de comprendre la volonté des Lettons de se confronter au passé, en particulier en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale.
« Les gens commencent à se sentir très concernés par ce travail », a déclaré Frostig, ajoutant que certaines personnes vivant à proximité du parc n’étaient pas conscientes du rôle du site dans la Shoah.
« Même lorsque les gens sont au courant, certains disent que ce n’est pas leur histoire, que leur pays a été occupé », a déclaré Frostig, qui a ajouté que « de nombreux Lettons reconnaissent l’histoire de la collaboration, et d’autres pas ».
Aujourd’hui encore, les collaborateurs nazis sont honorés en Lettonie, notamment par la construction de mémoriaux et l’organisation de grandes manifestations publiques en l’honneur de la Légion lettone, la formation Waffen-SS du pays.
Avec une Russie expansionniste à sa frontière, la Lettonie se trouve à un « tournant » en ce qui concerne la confrontation avec son passé et la démonstration de son engagement en faveur de la démocratie, a déclaré Frostig, qui prévoit de se rendre à Riga cet été.
En collaboration avec différents chercheurs, Frostig espère identifier la fosse commune de Jungfernhof, malgré les tentatives allemandes d’effacer les preuves des assassinats. À l’aide d’un radar à pénétration de sol (RPS), les enquêteurs ont déjà découvert la trace d’une grange, qu’ils ont exclue de la liste des fosses communes.
La plupart des mémoriaux de la Shoah étant situés dans des centres urbains, « la terre et sa richesse » du verdoyant Jungfernhof ont été une source de fascination et d’inspiration pour Frostig, qui établit ses propres liens avec le site où ses grands-parents ont été assassinés.
« La terre dans ce lieu est très spéciale. Elle incarne nos souvenirs les plus profonds d’un passé inimaginable, tout en nous accompagnant vers la guérison », a déclaré Frostig.
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