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L’histoire juive dans le film « Oppenheimer » de Christopher Nolan, expliquée

Le biopic à succès explore l'esprit du "père de la bombe atomique", un homme solitaire torturé par ses réalisations, à la fois entouré et isolé de sa propre communauté

Cillian Murphy incarne J. Robert Oppenheimer dans le film "Oppenheimer" de Christopher Nolan. (Crédit : Universal Pictures)
Cillian Murphy incarne J. Robert Oppenheimer dans le film "Oppenheimer" de Christopher Nolan. (Crédit : Universal Pictures)

JTA – Il n’y a pas que Barbie qui est sorti la semaine dernière : les cinéphiles prévoient également de remplir les salles de cinéma pour aller voir le biopic Oppenheimer du cinéaste Christopher Nolan.

Beaucoup espèrent qu’il répondra à une question qui divise depuis longtemps les Américains et la compréhension qu’a le pays de son histoire : Qui était exactement J. Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique ?

Le nom d’Oppenheimer est devenu « une métaphore de la grande mort laissée par un champignon atomique », selon les termes de Kai Bird et Martin J. Sherwin, dont le livre de 2005 American Prometheus a été adapté dans le film de Nolan. Mais pour mieux cerner le physicien, les biographes ont cherché des éléments dans son système de croyances : un code éthique fondé sur la science et la rationalité, un ardent sens de la justice et une ambivalence de longue date à l’égard de son propre héritage juif.

Voici un aperçu de ses origines juives, des autres personnages juifs qu’il a rencontrés lors de l’élaboration du projet Manhattan et de la façon dont le film dépeint tout cela.

Le juif allemand qui n’était « ni Allemand ni Juif »

Oppenheimer est né en 1904 de parents juifs allemands qui se sont rapidement hissés dans la classe supérieure de Manhattan. Son père, Julius Oppenheimer, originaire de la ville allemande de Hanau, est arrivé à New York à l’adolescence – sans argent et sans connaître un mot d’anglais – pour aider des parents à gérer une petite entreprise d’importation de textiles. Devenu associé à part entière, il s’est forgé une réputation de négociant en tissus cultivé et est tombé amoureux d’Ella Friedman, une artiste peintre dont la famille juive allemande s’était installée à Baltimore dans les années 1840.

J. Robert Oppenheimer sur une photo non datée. (Crédit: Bettmann/Getty Images via JTA)

Dans leur foyer laïque, les Oppenheimer embrassent les valeurs de la société américaine. Ils n’ont jamais fréquenté de synagogue ni célébré de bar mitzvah pour leur fils et se sont plutôt ralliés à l’Ethical Culture Society, une émanation du judaïsme réformé qui rejetait les croyances religieuses en faveur de l’humanisme et du rationalisme laïques. Oppenheimer a été envoyé à l’Ethical Culture School dans l’Upper West Side de New York, où il a développé un intérêt pour les principes moraux universels et a pris ses distances par rapport aux traditions juives.

Bien que ses parents aient été des immigrés allemands de première et de deuxième génération, Oppenheimer a toujours affirmé qu’il ne parlait pas allemand, selon Ray Monk, auteur de Robert Oppenheimer : A Life Inside the Center [Robert Oppenheimer : une vie à l’intérieur du centre]. Il a également affirmé que le « J » de « J. Robert Oppenheimer » ne signifiait rien, même si son acte de naissance mentionnait « Julius Robert Oppenheimer », une indication que son père lui avait transmis le nom juif.

« Le monde extérieur l’a toujours considéré comme étant un juif allemand, alors qu’il a toujours insisté sur le fait qu’il n’était ni Allemand ni Juif », a précisé Monk à la Jewish Telegraphic Agency, « mais le fait que c’est ainsi qu’il était perçu a affecté ses relations avec le monde ».

Les brillants résultats académiques d’Oppenheimer sont devenus un bouclier fragile contre l’antisémitisme omniprésent dans sa vie. Il entre à Harvard au moment où l’université s’oriente vers un système de quotas en raison de préoccupations concernant le nombre de Juifs admis. Il s’en tiendra néanmoins à ses études et restera à l’écart de la controverse sur le campus, selon Monk. Il a même essayé de se lier d’amitié avec des étudiants non juifs, mais l’antisémitisme ambiant a eu raison de ces efforts et ne lui a laissé qu’un groupe d’amis essentiellement juifs.

Cillian Murphy joue le rôle de J. Robert Oppenheimer et David Krumholtz celui d’Isidor Rabi dans le film « Oppenheimer » de Christopher Nolan. (Crédit : Autorisation d’Universal Studios)

Après sa licence obtenue à Harvard en 1925, il a mené des recherches au laboratoire Cavendish de l’université de Cambridge et a passé son doctorat à l’université de Göttingen – en Allemagne pré-nazie – sous la direction de Max Born, un pionnier de la mécanique quantique. Avant son arrivée à Cambridge, cependant, un professeur de Harvard lui a écrit une recommandation qui reflète parfaitement les préjugés institutionnalisés dans le milieu académique : « Oppenheimer est juif, mais sans les qualifications habituelles ».

À son retour d’Europe, Oppenheimer va enseigner la physique au California Institute of Technology et à l’université de Californie à Berkeley. À Berkeley, il tente d’obtenir un poste pour son collègue Robert Serber, mais se heurte au refus de son chef de département, Raymond Birge, qui déclare : « Un juif dans le département, c’est suffisant. » Il ne revint pas sur cette décision et engagera Serber par la suite pour travailler sur le projet Manhattan.

L’effet nazi

Jusque dans les années 1930, Oppenheimer est absolument indifférent à la politique. Alors qu’il étudie le sanskrit en même temps que les sciences et qu’il lit des classiques, des romans et de la poésie, il ne s’intéresse pas à l’actualité. Il l’expliquera plus tard lors de sa tristement célèbre audition de 1954 devant la commission de l’énergie atomique des États-Unis – qui, en pleine ère McCarthy, lui vaudra de voir son habilitation de sécurité révoquée en raison de ses liens passés avec des communistes et de son soutien à des causes de gauche.

« J’étais presque totalement détaché des événements contemporains de ce pays », a-t-il déclaré. « Je ne lisais jamais de journaux ou de magazines d’information tels que le Time ou le Harper’s ; je n’avais ni radio ni téléphone ; je n’ai appris le krach boursier de l’automne 1929 que longtemps après l’événement ; la première fois que j’ai voté, c’était à l’occasion du scrutin présidentiel de 1936″.

Cependant, un profond changement s’est opéré chez Oppenheimer au milieu des années 1930, lorsqu’il assiste à l’écrasement de sa famille, de ses amis et de grands esprits scientifiques sous la marée du nazisme en Allemagne et de l’effondrement économique dans son pays.

« J’étais animé d’une fureur constante et irrépressible face au traitement réservé aux Juifs en Allemagne », a-t-il déclaré dans son témoignage. « J’avais de la famille là-bas et j’ai par la suite aidé à les faire sortir et à les amener dans ce pays. J’ai été témoin des effets de la dépression sur mes étudiants… Et à travers eux, j’ai commencé à comprendre à quel point les événements politiques et économiques pouvaient bouleverser la vie des hommes ».

Tout en sauvant les membres de sa famille, alors qu’il enseignait à Berkeley, 3 % de son salaire était consacré à venir en aide aux scientifiques juifs qui cherchaient à fuir l’Allemagne nazie. Sa détermination à vaincre cette dernière le conduira à diriger le projet Manhattan, programme ultra-secret visant à mettre au point une bombe atomique américaine, au laboratoire de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un groupe de physiciens à Los Alamos sur une photo non datée, de gauche à droite : Sir William Penney, Bea Langer, Emil Konopinski et Lawrence Langer. (Crédit : Corbis/Getty Images/JTA)

Il n’était pas vraiment le candidat idéal pour le poste. Considéré comme politiquement suspect par le FBI en raison de ses sympathies communistes, il était également un scientifique théorique, et non un scientifique ayant l’expérience de la gestion d’un laboratoire, qui n’avait même pas 40 ans. Mais en 1942, le lieutenant-colonel Leslie Groves a choisi Oppenheimer pour diriger le projet Manhattan, entre autres parce qu’il avait démontré un sens aigu des impératifs.

Oppenheimer aurait dit à Groves : « Écoutez, les nazis vont avoir leur propre projet de bombe et il sera dirigé par Heisenberg, qui est l’un des plus grands physiciens nucléaires au monde. Nous devons agir et nous devons agir vite », précise Monk.

D’autres grands scientifiques juifs se sont sentis obligés de se joindre au projet. Six des huit dirigeants du projet étaient juifs, ainsi qu’un nombre important de techniciens, de scientifiques et de soldats juifs, dont certains étaient des réfugiés d’Europe.

La querelle avec Strauss

Même si les deux bombes atomiques ont finalement été larguées sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, et non sur l’Allemagne – qui avait déjà capitulé – Oppenheimer a été salué comme un héros pour son rôle dans la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Et pourtant, neuf ans plus tard, il a été humilié devant la Commission de l’énergie atomique et s’est vu retirer son habilitation de sécurité. Lewis Strauss, le président de l’AEC, se méfiait d’Oppenheimer parce qu’il était contre la création d’une bombe à hydrogène. Oppenheimer avait insisté sur la nécessité d’un contrôle international des armes nucléaires, convaincu que l’objectif de l’arme atomique était de mettre fin à toutes les guerres.

Mais Strauss avait un autre objectif : La suprématie des États-Unis sur l’Union soviétique.

Robert Downey Jr. incarne Lewis Strauss, qui s’est opposé à Oppenheimer. (Crédit : Universal Pictures)

« Oppenheimer disait qu’il fallait être fou pour utiliser une arme 1 000 fois plus puissante que la bombe qui avait détruit Hiroshima et sa position était la suivante : ‘On ne peut pas développer cette chose’ », a confié Monk. « Lewis Strauss, lui, estimait que seule une personne ayant à cœur les intérêts de l’Union soviétique plaiderait pour que les États-Unis ne mettent pas au point une bombe à hydrogène. »

Strauss a également développé une haine personnelle à l’égard d’Oppenheimer, qui pouvait se montrer arrogant et hautain. Les deux hommes venaient d’horizons juifs très différents : Strauss était un juif réformé engagé, d’origine modeste, qui a travaillé comme vendeur de chaussures itinérant au lieu d’aller à l’université. Il s’identifiait étroitement à sa foi et a été président du Temple Emanu-El de New York de 1938 à 1948.

« Je pense que Strauss a également dû composer avec le fait d’être juif dans une société américaine où les juifs n’étaient pas totalement acceptés, et je pense que, d’une certaine manière, il se sentait menacé par la présence de quelqu’un comme Oppenheimer, dont l’approche vis-à-vis de son judaïsme consistait essentiellement à le cacher », a déclaré le physicien et rabbin Jack Shlachter à la Jewish Telegraphic Agency.

Dans le film, Strauss est présenté comme ayant secrètement orchestré la chute d’Oppenheimer aux mains de la Commission de l’énergie atomique. Il a notamment collaboré avec le physicien juif hongrois Edward Teller, qui partageait l’avis de Strauss sur la nécessité de fabriquer la bombe à hydrogène.

Comment le film de Nolan présente-t-il les différents personnages juifs de l’histoire ?

Bird relate dans un article la rencontre d’Oppenheimer avec Albert Einstein, l’une des figures juives les plus célèbres du XXe siècle, peu avant l’audition de 1954. Les deux hommes étaient amis et collègues à l’Institute for Advanced Study de Princeton ; Einstein avait rejoint la faculté après avoir fui l’Allemagne nazie en 1933, tandis qu’Oppenheimer était devenu directeur de l’institut en 1947.

Einstein avait signé une lettre adressée au président de l’époque, Franklin Delano Roosevelt, écrite par le physicien Leo Szilard, qui préconisait la mise au point d’une bombe à fission en 1939. Plus tard, Einstein a regretté d’avoir signé cette lettre.

Selon Bird, Einstein aurait exhorté son ami à ne pas se présenter devant l’AEC, lui disant qu’il avait déjà accompli son devoir envers l’Amérique et que si le pays le remerciait par une chasse aux sorcières, il « ferait mieux de lui tourner le dos ».

La secrétaire d’Oppenheimer, Verna Hobson, qui a assisté à la conversation, a déclaré qu’il ne s’est pas laissé dissuader. « Il aimait l’Amérique, dit-elle, et cet amour [du pays] était aussi profond que son amour de la science. »

Einstein a répondu en traitant Oppenheimer de narr, c’est-à-dire « idiot » en yiddish.

Capture d’écran d’une bande-annonce du film « Oppenheimer » montrant l’acteur Tom Conti dans le rôle du physicien juif Albert Einstein. (Crédit : YouTube – Utilisé conformément à l’article 27a de la loi sur le droit d’auteur)

Le film fait grand cas de la relation entre Oppenheimer et Einstein, interprété par l’acteur écossais Tom Conti. Les deux hommes se rencontrent fréquemment pendant et après la mise au point de la bombe.

Un autre ami et collègue physicien juif, Isidor Rabi, a attribué la solitude et les crises de dépression d’Oppenheimer à la distance qu’il a établie avec les autres Juifs – une communauté qui aurait pu lui apporter un peu de réconfort face au rejet de son propre gouvernement.

« Isidor Rabi disait que son problème était qu’il n’arrivait pas à s’identifier comme juif à part entière », explique Monk. « Même si Rabi n’était pas religieux, quand il voyait un groupe de Juifs, il se disait : ‘Ce sont mes gens’. Oppenheimer n’a jamais pu faire cela ».

Pourtant, dans le film, les personnages répètent les propos d’Oppenheimer qui insiste sur le fait que le « J » ne signifie « rien », et l’interrogent rarement sur son judaïsme. Il ne fait jamais l’objet d’un antisémitisme manifeste. Dans la version cinématographique d’Oppenheimer, interprétée par l’acteur irlandais Cillian Murphy, le personnage ne semble pas aussi torturé par son identité juive que Rabi a affirmé qu’il l’était dans la vraie vie. À plusieurs reprises dans le film, Oppenheimer se lie avec d’autres personnages de son entourage sur la base de leur judaïsme et exprime sa colère face à la façon dont Hitler a traité les Juifs allemands.

L’Oppenheimer du film prétend également savoir lire l’allemand, et donc être capable de lire Das Kapital de Karl Marx dans sa langue d’origine. Cela fait partie de la fascination du personnage pour les langues, qui l’a amené à citer le célèbre extrait de la Bhagavad Gita : « Maintenant, je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes ».

La seule langue que l’Oppenheimer du film semble n’avoir aucun intérêt à apprendre est le yiddish – un fait que Rabi (joué par l’acteur juif David Krumholtz) lui rappelle lors de leur première rencontre dans l’Allemagne d’avant-guerre, lorsque Rabi tente de se lier à Oppenheimer parce qu’il sent que les gens comme eux ne sont pas les bienvenus.

Dans le film, Oppenheimer est également présenté accueillant plusieurs physiciens juifs réfugiés dans les installations du projet Manhattan. Teller, interprété par l’acteur juif Benny Safdie, est l’un d’entre eux, même s’il finira par devenir un adversaire de taille.

Le personnage de Strauss, interprété par Robert Downey Jr, évoque fièrement son identité juive dès le début du film.

« Je suis le président du Temple Emanu-El à Manhattan », s’exclame-t-il.

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