L’histoire pas si rose du Jardin des Roses de Rome
Pendant des centaines d'années, les Juifs de Rome enterraient leurs morts ici - jusqu'à ce que le régime de Mussolini ne le transforme en hommage narcissique

ROME – Pendant la majeure partie de l’année, le petit jardin clôturé installé en face de la colline du Palatin est presque invisible pour les passants, éclipsé par les ruines de briques rouges spectaculaires qui se profilent au-dessus.
Mais chaque printemps, le Jardin des Roses public de Rome – situé au large de la Via Del Circo Massimo, au cœur de la ville – éblouit grâce à ses éclats de couleurs vives. Dès la fin avril et jusqu’à la mi-juin, les portes du jardin sont ouvertes et locaux et visiteurs internationaux peuvent profiter d’une promenade parmi les 1 100 espèces de roses qui s’y épanouissent.
Prêt à accueillir les visiteurs, Salvatore Ianni, est un fonctionnaire de l’Autorité des Jardins de Rome. Ianni travaille au Jardin des Roses depuis 23 ans et en connaît tous les coins et recoins.
Il sait aussi que les fleurs s’étirant vers le soleil sont partiellement conçues comme un gage de réparation, un rappel vivant d’une triste page de l’histoire juive de la ville éternelle. C’est une histoire qui parle d’oppression et de trahison, mais aussi de délivrance.
« Ce site est un carrefour de l’histoire et de la botanique, » raconte Ianni au Times of Israel, tout en me guidant dans le jardin.

Autour de nous, les touristes, les tourtereaux, et les amateurs de botanique se promènent dans le parc, une pause qui leur permet d’admirer et de photographier les espèces les plus belles et inhabituelles.
Certains s’arrêtent au « Soleil et Lune », dont les fleurs soyeuses fleurissent jaune, puis virent au blanc, et enfin au cramoisi ; d’autres s’accordent une pause devant la rose « Knock Out » qui survit à des températures aussi basses que -30° Celsius (-22 ° Fahrenheit).
Enchantés par la glorieuse beauté des pelouses, les visiteurs pourraient ne pas remarquer la caractéristique unique du jardin : les chemins et les plates-bandes sont conçus pour former une forme spécifique – une menorah – qui vise à rendre hommage à l’origine juive du site, avec une plaque des Dix Commandements près de l’entrée.
« Quand je dirige des visites guidées, je commence toujours par expliquer les racines juives de ce lieu. Rome a la communauté juive la plus ancienne du monde occidental. Les gens devraient être plus conscients de l’importance de la présence juive dans la ville, et en particulier ses propres citoyens », souligne Ianni.

« Pendant des siècles, cette zone, y compris le site où le boulevard à trois voies, la Via Del Circo Massimo se trouve, a été le cimetière juif de la ville, le seul morceau de terre que les Juifs romains ont été autorisés à posséder selon les lois anti-juives strictes appliquées dans l’Etat papal », explique Ianni.
Ianni élabore, plongeant plus profondément dans l’histoire du lieu.
En 1645, le pape Innocent X a accordé à la Compagnia di Morte e Carità juive (Compagnie de la Mort et de la Charité) la permission d’acheter une parcelle de terrain pour établir un cimetière.
Pendant 200 ans, la législation approuvée en 1625 par le pape Urbain VII interdisait les marques ou les signes distinctifs sur les parcelles funéraires juives. La loi n’a été abolie qu’en 1846 par Pie IX, après quoi la communauté juive a commencé à ériger des pierres tombales – beaucoup d’entre elles ont une importance artistique.
En 1934, le gouvernement de Rome a exproprié la terre afin de construire une nouvelle route, la Via Del Circo Massimo. La communauté juive a essayé de résister, mais finalement leurs dirigeants ne pouvaient pas éviter de passer un accord avec le gouverneur, qui a promis de construire une école juive et de veiller à ce que tous les corps seraient soigneusement déplacés vers un nouveau cimetière.

A cette époque, l’Italie était déjà sous le régime du dictateur fasciste Benito Mussolini. La nouvelle route était censée être prête pour un défilé pour célébrer le 12e anniversaire de la Marche de Rome notoire, l’insurrection par laquelle Mussolini est arrivé au pouvoir en octobre 1922.
« Afin de respecter le délai, l’entreprise de construction a voulu continuer l’exhumation également les samedis et les jours fériés juifs, lorsque les superviseurs juifs à qui l’on avait promis la possibilité de surveiller le processus ne pouvaient ne pas être présents », dit Ianni.
« Par conséquent, des milliers de cadavres ont été déplacés, mais des milliers sont encore enterrés ici, à la fois sous le Jardin des Roses et sous la route », ajoute-il.
Le 28 octobre 1934, Mussolini a parcouru la nouvelle route aux côtés de 15 000 athlètes italiens pour un défilé de célébration du régime fasciste. Les cyprès bordant la Via del Circo Massimo étaient ceux de l’ancien cimetière juif.
Moins de quatre ans plus tard, en 1938, l’Italie a ratifié ses lois raciales. L’école juive promise n’a jamais abouti et les Juifs romains et italiens se sont retrouvés victimes de persécutions une fois de plus, trahis par leur propre pays.
« Pendant la guerre, en raison de la pénurie de nourriture, la colline de l’Aventin a été transformée en jardin potager », continue Ianni.

« Ce n’est qu’en 1950 que le conseil municipal de Rome a tourné son attention vers le parc négligé. Ils ont consulté la communauté juive, qui a réagi positivement à la perspective de la création du site comme nouveau Jardin des Roses de la ville.
« Afin de reconnaître son origine juive, le conseil municipal a conçu le jardin sous la forme d’une menorah et fait mettre la plaque commémorative à l’entrée », conclut-il.
Les visiteurs juifs du jardin laissent souvent des pierres ou des cailloux sur la plaque – une coutume juive pour honorer les morts.
Le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, a expliqué dans une interview au journal juif italien Pagine Ebraiche que « le Jardin des Roses doit toujours être considéré comme un cimetière juif, avec toutes les conséquences que cela implique ».
Cela signifie, par exemple, que les Kohanim – les Juifs descendant des familles de la classe sacerdotale – ne peuvent pas visiter le site, tout comme il leur est interdit d’entrer dans les cimetières réguliers (à quelques exceptions près).

Depuis la partie supérieure du jardin, on peut apercevoir le dôme carré de la Grande Synagogue – construite en 1904 – l’un des centres fondamentaux de la vie juive aujourd’hui prospère de Rome. Avec plus de 13 000 membres, c’est la communauté juive la plus importante d’Italie.
Avant que l’on se dise au revoir, Ianni a lancé un appel : « Chaque année, le Jardin des Roses organise un concours international de nouvelles espèces de roses. Nous recevons des roses de partout dans le monde, mais nous n’avons jamais eu un seul participant d’Israël. J’espère que des roses hybrides israéliennes remédieront à cela bientôt ».
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