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Interview

L’hommage d’un réalisateur juif aux Grateful Dead

Les quatre heures que dure le film d'Amir Bar-Lev sont un pur bonheur pour les fans, et une excellente initiation pour les néophytes

Jerry Garcia et Bob Weir en coulisses en 1977. (Crédit : Peter Simon)
Jerry Garcia et Bob Weir en coulisses en 1977. (Crédit : Peter Simon)

NEW YORK – Ce n’est pas donner à tout le monde de rafler une pluie de récompenses dans les principaux festivals du cinéma. C’est un thème récurrent dans le travail du documentariste Amir Bar-Lev, il a connu une carrière extraordinaire en attendant que son projet se réalise.

Bar-Lev, dont le père est arrivé d’Israël aux États-Unis encore enfant, a envoyé son premier e-mail à un membre de Grateful Dead en 2003.

Près de 15 ans plus tard, (et après ses films à succès, notamment The Tillman Story,My Kid Could Paint That”), le film épique de 4 heures Long Strange Trip (qui peut se vanter d’avoir Martin Scorcese dans son générique) est sorti au cinéma et sur la plate-forme streaming d’Amazon

Ce film est un bonheur pour les Deadhead qui ont longtemps attendu un document qu’ils pourraient montrer à ceux qui ne comprennent pas : « Regarde ça, et tu comprendras pourquoi ce groupe est tellement génial ».

Destiné aux novices, le film met également l’accent sur de nombreux sujets fascinants. Les racines musicales du groupe psychédélique des années 60 du nord de la Californie sont explorées, ainsi qu’un regard franc et scientifique sur le LSD. D’autres parties du film se penchent sur la spécificité de leur plate-forme de tournée (le « Mur du son ») et sur le fanatisme de leurs acolytes et sur leurs méthodes de négociation pré-internet.

En tant que fan hardcore de Grateful Dead, j’ai eu la chance de parler avec Bar-Lev récemment à New York. Voici une version éditée de la conversation que nous avons eue. La fin observe un raccourci pour ceux qui sont déjà initiés à l’enveloppe cryptique du groupe.

Le réalisateur Amir Bar Lev. (Crédit : autorisation)
Le réalisateur Amir Bar Lev. (Crédit : autorisation)

La projection de Sundance a été l’une des meilleures expériences que j’ai eue lors d’un festival de cinéma. J’aime tellement les Grateful Dead et j’étais tellement inquiet. Est-ce que cela « sera correct » ?

Je peux me mettre à votre place. En fait, j’étais presque en eux, en quelque sorte. Parfois, on m’a dit « Ne faites pas cela, un autre cinéaste le fait ». Il y a eu d’autres films, et il y avait un ancien régime [de la direction de Grateful Dead]. Mais quand j’ai écrit pour la première fois à [l’éditeur de musique des Grateful Dead] Alan Trist, il m’a répondu : « [Le parolier des Grateful Dead, Robert] Hunter et moi avons vu votre film ‘Fighter’ ». C’est un film juif sur deux anciens Juifs qui se disputent sur l’Holocauste. Mais il a dit : « Nous l’avons regardé et nous pensons que vous devriez vous lancer ». J’ai paniqué et je me suis dit : « Cela ne peut pas être aussi simple ». J’avais raison. Ce n’était pas si simple.

Le film devait, à l’origine, se pencher sur les paroles, mais cela a évolué au fil des années à cause de projets concurrents. C’était comme jouer à ‘Serpents et Échelles’. Je m’attirais les faveurs d’une personne clé, puis il se faisait licencier, et je revenais à la case départ.

Mais ce n’était pas comme si vous vous tourniez les pouces, vous faisiez des films importants pendant ce temps.

Mais mon cœur allait se briser. J’ai toujours eu ce film en tête. En fin de compte, il y avait deux camps, les personnes qui me soutenaient, et les autres. Il y avait même un moment où ils disaient : « Félicitations, Amir. Vous êtes l’un des quatre derniers à pouvoir faire ce film, et nous ne vous dirons pas qui sont les autres. Soumettez une nouvelle proposition, un seul d’entre vous gagnera ».

Et je n’ai pas gagné.

Finalement, cependant, vous avez obtenu gain de cause. Et Martin Scorsese s’est porté garant ?

Eh bien, il y avait un moment où les Grateful Dead se sont dégonflés. Et Scorsese a rencontré le [batteur] Bill Kreutzmann lors d’une soirée et leur très courte conversation a sauvé ce film de l’oubli.

Il connaissait votre travail ?

Vous en demandez beaucoup… C’était plutôt du genre : « Hé, alors on en est où ? »

Mickey Hart durant un concert des Grateful Dead sur Haight Street, le 3 mars 1968. (© Jim Marshall Photography, LLC. Tous droits réservés)
Mickey Hart durant un concert des Grateful Dead sur Haight Street, le 3 mars 1968. (© Jim Marshall Photography, LLC. Tous droits réservés)

Ouaw. Bon, il faut ce qu’il faut. Et je suis bien content que ça ait pu se faire.

Le rôle de Jerry Garcia était d’être très attaché au présent.

Pour un gars comme vous et moi, nous sommes intéressés par la postérité. Le groupe n’était pas intéressé par la postérité. Mais c’est comme ça que je suis entré dans le groupe, à cause de ces bandes. C’est une relation symbiotique.

Notre rôle ainsi que le rôle du fan est de préserver cela pour les générations futures. Mais il existe un moyen de préserver et un moyen de ne pas préserver. Vous devez faire attention à la dévotion servile d’un culte de la personnalité.

Et trouver également une nouvelle façon de raconter l’histoire. J’aime le fait que vous ne mentionniez pas même une fois « Woodstock » dans ce film.

Parce que cela a pour effet de faire décrocher immédiatement les gens.

Jerry Garcia, à terre, vers 1970. (Crédit : Herb Greene)
Jerry Garcia, à terre, vers 1970. (Crédit : Herb Greene)

Bien que le film dure quatre heures, il y a beaucoup de choses que vous omettez. Vous vous attardez sur des choses cool sans faire attention au temps.

On ne se souciait pas de savoir si le film durerait 90 minutes ou quatre heures. Tout ce dont nous nous souciions était d’être un bon vecteur pour [Bar-Lev nomme alors la chanson très émouvante de la fin du film, qui m’a rendu à l’agonie en le voyant la première fois. Pas de spoilers !].

Donc, vous avez commencé par la fin ?

Si vous considérez ce moment comme la fin, alors la réponse est oui. Il y a cette idée que l’énergie qui transcende dans le temps, n’a pas commencé avec les Grateful Dead, ne se terminera pas par les Grateful Dead, mais les Grateful Dead en ont été un bon vecteur. De la même manière, les Grateful Dead montrent Jack Kerouac du doigt, et Kerouac montre [le chimiste et ingénieur audio des Grateful Dead] Owsley du doigt. Il suffit juste de construire une histoire convaincante et Wikipedia n’est clairement pas la méthode optimale pour le faire.

Quand j’ai vu le film, il m’a semblé qu’il se faisait, d’une certaine manière, le reflet d’un spectacle des Dead. La première moitié était un peu plus traditionnelle, et c’est là que vous placez les chansons accrocheuses, puis, après la coupure, il part dans tous les sens, de façon imprévisible, un peu comme quand « Drums » devient « Space » en spectacle.

Je me souviens de vous avoir lu écrire cela. Et c’était un accident. Je n’y pensais pas consciemment. Mais il y a une raison. Une fois que vous arrivez dans le vif du spectacle ou du le film, vous cuisinez avec du beurre. Votre public a un ensemble de codes partagés. Il y a un langage symbolique qui est créé, et vous pouvez vous amuser avec. Vous pouvez élaborer une signification. Et je pense que c’est ce que les Grateful Dead ont fait aussi. Une fois qu’ils ont eu le public qu’ils voulaient, ils pouvaient commencer à jouer avec leurs attentes et à créer des attentes, voire à les briser.

De gauche à droite, Phil Lesh, Bill Kreutzmann, Jerry Garcia, durant un concert des Grateful Dead sur Haight Street, le 3 mars 1968. (© Jim Marshall Photography, LLC. Tous droits réservés)
De gauche à droite, Phil Lesh, Bill Kreutzmann, Jerry Garcia, durant un concert des Grateful Dead sur Haight Street, le 3 mars 1968. (© Jim Marshall Photography, LLC. Tous droits réservés)

Votre film ne craint pas d’aborder le LSD autrement que sous forme d’avertissement

Ce film est destiné à un public adolescent, accessoirement. Et je pense que les adolescents feraient mieux de sortir leurs nez de leurs téléphones. Le LSD n’est pas comparable à l’alcool. Il ne vous procure pas une sensation de bien-être immédiat. Il ne vous fait pas réfléchir. Ce n’est pas pour rien qu’il est à l’origine de leur système de sonorisation. Toutes les sonos sont redevables à Wall of Sound.

Il semble qu’il y ait de nombreux fans de Grateful Dead qui soient juifs, plus que de fans de, je ne sais pas, de Led Zeppelin.

Oui, le journaliste de Tablet Magazine a dit la même chose.

Certains fans étaient particulièrement attachés à Jerry Garcia. Ils le voyaient comme un shaman, quelqu’un de mystique. Y a-t-il quelque chose de spirituel qui se passe, qui correspondrait à une expérience juive, dont vous voudriez discuter.

Catégoriquement, non.

J’ai compris.

[Sourires] Il y a bien évidemment une composante profondément religieuse chez les Grateful Dead, mais je dirais que c’est catégoriquement anti-autoritaire et non-hiérarchique, que les fans co-créent la magie. Et ceux qui n’ont pas compris ça et qui ont mis Jerry sur un piédestal, non seulement n’ont pas réellement compris les Grateful Dead, mais ils ont également participé à la mort de Jerry.

The Wall of Sound. (Crédit : Amazon Prime Video)
The Wall of Sound. (Crédit : Amazon Prime Video)

Votre film le prouve assez bien.

Dans chaque religion, dans chaque mysticisme, il y a des tensions. Je pense qu’au cœur des activités des Grateful Dead, il y avait quelque chose de mystique, comme dans la plupart des religions. Mais vous savez, en Israël, tout le monde vous dira qu’i y a mille façons d’être juifs.

La majorité de ma famille vit dans un kibboutz. La notion d’entreprise collective et d’avancer vers le partenariat avec des gens qui diffèrent de vous, est, pour moi et ma famille, l’essence du judaïsme. Les choses avancent lentement. Cela vous oblige à endurer des réunions interminables, mais c’était le judaïsme de mes grands-parents, et c’est ce que sont les Grateful Dead.

Quel est votre spectacle préféré des Grateful Dead ?

Eh bien, j’écoute souvent Barton Hall, même si ce n’est pas la chose la plus cool à dire. [Note de l’auteur : je pourrais vous expliquer ce que veut dire Amir, mais cela nécessiterait des pages et des pages de rédaction, et n’avancerait pas beaucoup le lecteur qui ne connait pas bien les Grateful Dead. Je me contenterais de dire que c’est assez drôle « pour ceux qui savent ».]

J’écoute tout le temps 3/1/69. Et Pauley Pavilion [11/17/73]. J’aime les spectacles « sandwich » [quand ils passent] de « Playing » à « Uncle », puis à « Dew » puis de nouveau « Playing » et [qu’ils reviennent] à « Playing ».

Si [le membre fondateur Ronald Charles McKernan] ’PigPen’ était encore en vie, ce film aurait-il vu le jour ?

Non. Et en réalité, si Jerry était encore en vie, ce film n’aurait pas été réalisé non plus.

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