Liban : des domestiques deviennent mannequins le temps d’un soir
Ce défilé veut mettre en valeur les plus de 200 000 domestiques étrangères souvent méprisées qui travaillent au pays du Cèdre
Vêtue d’une robe de soirée sans bretelle, Anna Fernando, une employée de maison sri-lankaise, défile dans un café branché de la capitale libanaise.
Cette femme de 43 ans travaille depuis 21 ans au Liban comme domestique afin de pouvoir offrir à ses enfants une vie meilleure que la sienne.
Dimanche, avec une dizaine d’autres employées de maison, elle est devenue mannequin le temps d’un défilé de mode organisé par l’ONG libanaise Insan, qui signifie en arabe « être humain ».
« Même si je travaille comme femme de ménage, je suis avant tout un être humain », dit dans l’arrière-salle cette belle femme aux yeux fardés, avant d’être appelée pour présenter le travail de jeunes créateurs de mode qui ont dessiné ces robes pour l’évènement.
Ce défilé entend mettre en valeur les plus de 200 000 domestiques étrangères souvent méprisées qui travaillent au Liban.
Pour sa quatrième édition, ce défilé visait à ce que les participantes montrent d’elle même une autre image que celle d’une femme de ménage.
« Elles vivent comme toutes les autres femmes en dehors de leur travail », assure Randa Dirani, une des organisatrices et membre d’Insan, faisant allusion à leur coquetterie.
Racisme
Le Liban est accusé par des ONG d’avoir un comportement raciste envers les employées de maison étrangères, souvent appelées « bonnes » ou « sri-lankaises », un terme générique qui ne tient pas forcément compte de leurs origines.
La majorité de ces étrangères travaillent selon un système de parrainage, appelé kafala, qui les soumet à la volonté de leur employeur. Et elles ne sont pas protégées par le droit du travail malgré la création début 2015 d’un syndicat.
« Avec ce défilé, nous voulons dire à tout le monde que nous ne sommes pas seulement des domestiques », explique Sumy Khan, du Bangladesh.
Cette jeune femme de 22 ans, le dos tatoué et les cheveux courts, explique qu’elle voulait étudier le journalisme dans son pays mais qu’elle a dû le quitter pour pourvoir aux besoins de sa famille.
Elle évolue dans le café en combishort crème et blanc sous les ovations d’un public composé de Libanais et d’étrangers alors que ses amis la prennent en photo.
Ce défilé ne représente qu’une des initiatives de la société civile pour combattre les mesures discriminatoires et l’exploitation dont sont victimes ces travailleuses.
L’an dernier, à l’occasion de la Fête des mères, un bureau de placement au Liban avait réalisé une publicité jugée raciste par les militants.
« Pour la Fêtes des mères, faites plaisir à votre maman en lui offrant une domestique. Offres spéciales durant dix jours sur les domestiques d’origine kényane ou éthiopienne », assurait le message envoyé sur des milliers de téléphones portables.
Redonner confiance
L’Université américaine de Beyrouth avait lancé en 2015 une étude auprès de 12 000 employeurs au Liban pour connaître leur opinion sur leurs employées de maison et l’organisation des droits de l’Homme Kafa en avait publié les résultats lors d’une campagne sur internet.
« 51% des Libanaises considèrent que (leurs) employées de maison ne sont pas dignes de confiance, alors même qu’elles leur confient leurs enfants », relevait l’étude.
Au milieu des mannequins d’un soir s’affaire Alix Lenoir, une Franco-libanaise de 20 ans étudiante en design industriel.
« J’ai décidé de participer (au défilé) car je trouve que c’est dommage que dans notre société au Liban on enlève à ces femmes un peu de confiance en elles », dit-elle.
En fin de soirée, Alix prend dans ses bras Imane Bachir, 18 ans, la fille d’une employée de maison originaire du Soudan, et elles se promettent de se revoir.
Anna Fernando assure que son sacrifice, en vivant deux décennies loin de sa famille, a été payant. Aujourd’hui, sa fille de 21 ans est étudiante en pharmacie et son fils de 22 ans va sortir diplômé d’une académie militaire au Sri Lanka.
Et en plus de son travail d’employée de maison, elle a commencé un service de traiteur.
« C’est délicieux, plein d’épices et c’est très bon pour votre santé », est-il écrit sur sa carte de visite.
Elle cuisine des recettes sri-lankaises, indiennes et népalaises et les commandes peuvent se faire par téléphone, par mail ou Facebook.
« J’ai désormais la toque de chef cuisinier », dit-elle.