Licenciées pendant la guerre, les épouses de réservistes s’unissent pour préserver la sécurité de l’emploi
Des épouses de réservistes ont créé un forum d'entraide sur les questions d'emploi et demandé au gouvernement de les aider économiquement au moment où les maris sont au front

Lorsque le mari d’Oshrat Kaminer a été rappelé par la réserve, le 7 octobre dernier, pour protéger le pays suite à l’attaque terroriste du Hamas, Kaminer s’est subitement retrouvée déchirée entre la question de la garde de ses jeunes enfants et celle de son travail à plein temps, tout en rendant service au pays et en faisant face à l’anxiété liée à la guerre.
Quelques semaines après le début des combats contre le Hamas à Gaza, elle a été licenciée.
Âgée de 39 ans et originaire de Nahariya, Kaminer était responsable de l’assurance qualité dans une entreprise d’emballage alimentaire. Mère d’un garçon de 4 ans et d’une fille de 9 ans avec des besoins spéciaux, elle a été licenciée un mois à peine après le début de la guerre, après avoir demandé à travailler à domicile afin de prendre soin de ses enfants, en proie à l’anxiété provoquée par les alertes et tirs de roquettes.
Kaminer fait partie des milliers de conjointes de réservistes qui se sont retrouvées seules pour s’occuper des enfants, des finances et des besoins du ménage, et qui, en pleine guerre, ont subi une baisse du nombre d’heures travaillées, ont été forcées de prendre un congé – avec ou sans solde – lorsqu’elles n’ont pas purement et simplement été licenciées.
« Lorsque votre partenaire ou votre mari a été rappelé dans la réserve, au-delà de l’absence et de l’inquiétude pour sa propre sécurité, la guerre rentre chez vous et affecte toute la vie quotidienne », explique Kaminer au Times of Israel. « Suite à mon licenciement, la question de l’emploi s’est avérée secondaire dans ma vie. Mes autres problèmes étaient nettement plus urgents et centraux, comme par exemple les soins à ma fille, l’inquiétude face au risque d’escalade dans le nord ou les communautés évacuées autour de nous. »
« Personne ne parlait alors des épouses de réservistes. Nous n’étions sur le radar de personne – personne dans mon entourage ne pouvait comprendre les difficultés auxquelles je faisais face. Mais avec un peu de recul, j’ai pris conscience que j’étais loin d’être seule dans cette situation », confie-t-elle.

Seule pour faire tourner la maison, se sentant abandonnée par le gouvernement alors que son mari était parti se battre pour le pays depuis cinq mois, Kaminer a trouvé du soutien au sein d’une communauté d’épouses de réservistes, mobilisées pour apporter de l’aide, des informations et un renfort émotionnel et juridique pour solliciter les aides de l’État et les indemnités.
Le Forum des épouses de réservistes a été fondé dès le début de la guerre afin de sensibiliser à la question des besoins des conjoints et conjointes de soldats et d’apporter les changements nécessaires aux mesures de politique publique pour mieux protéger leurs droits, en particulier sur le lieu de travail. Le Forum a ainsi exigé du gouvernement que certaines lois, comme celle de la protection contre le licenciement ou d’autres droits accordés aux réservistes, s’appliquent également à leurs conjoints et conjointes.
Le Forum, qui compte 5 000 membres et représente actuellement environ 100 000 familles de réservistes, comprend trente avocats bénévoles capables de conseiller sur l’ensemble des questions liées à la protection de l’emploi voire d’aider à renseigner les formulaires de plainte contre les licenciements ou de demandes d’indemnités publiques.
« Quelques semaines après le début de la guerre, alors que les enfants retournaient – même partiellement – à l’école ou à la maternelle, on avait le sentiment d’une forme de retour à la normale. Les gens vaquaient à leurs occupations quotidiennes, alors que nous nous débattions avec le quotidien tandis que nos maris se battaient pour protéger le pays », explique Shvut Raanan, avocate de 39 ans et mère de quatre enfants de moins de 10 ans, qui représente le forum.
D’étoile montante à « fardeau »
Avec son mari lui aussi réserviste, Mor Kisch, originaire de Rosh Haayin, avait du mal à faire face, au quotidien, en tant que responsable de la recherche dans une entreprise privée, travaillant à domicile, tandis que ses enfants – une fille de 3 ans et un garçon de 6 ans – souffraient d’anxiété et de stress.
Lorsque cette femme de 34 ans demande à son gestionnaire des modalités de travail plus flexibles, on lui annonce que son emploi va passer à mi-temps. Elle refuse et demande plutôt à être mise en congé, mais sa demande est refusée et elle perd son emploi.

« La situation est absurde : je suis passé d’étoile montante de l’entreprise à fardeau », confie Kisch.
Le gouvernement indemnise les entreprises affectées par la guerre, car des milliers d’employés ont dû aller au combat, mais les conjoints de réservistes confrontés à des difficultés économiques et à une détresse psychologique en l’absence de leur partenaire n’ont ni reconnaissance ni soutien financier correct, estime le Forum.
Ces deux dernières semaines, les conjointes de réservistes qui dirigent le forum, dont de nombreux avocats, se sont entretenus avec des politiciens, comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich, le ministre de l’Économie Nir Barkat, le ministre de la Défense Yoav Gallant ou encore le ministre de la Guerre Benny Gantz.
Souvent accompagnées de leurs enfants, les dirigeantes du Forum ont pris part aux discussions qui se sont tenues à la Knesset sur le thème de l’aide aux réservistes et à leurs conjoint(e)s au sein de la commission des affaires économiques, de la commission des affaires étrangères et de la défense ou de la commission de la condition de la femme et de l’égalité des genres.

Raanan, qui s’est entretenu avec les dirigeants du gouvernement, a déclaré qu’à la suite de la campagne du Forum, de nombreuses demandes d’aide économique et de protection de l’emploi pour les conjoints des réservistes avaient été adoptées dans le cadre du programme d’aide en temps de guerre doté de 9 milliards de shekels de fonds pour les réservistes et approuvé plus tôt cette année.
Ce programme comprend une allocation mensuelle pour les familles de réservistes ayant des enfants jusqu’à 14 ans, la prolongation des indemnités de congé de maternité, une subvention unique pour les conjoints mis en congé sans solde, des subventions pour les enfants avec des besoins spéciaux, le financement d’un soutien psychologique et de traitements complémentaires. Par ailleurs, les conjoints ont droit à un maximum de huit jours supplémentaires de congé payé, grâce à une convention collective signée en février avec la Fédération syndicale Histadrout.
Une nouvelle force avec laquelle il faudra compter
Shvut Raanan, dont le mari est en service de réserve depuis le 7 octobre, a rejoint le Forum en quête de soutien émotionnel, mais elle s’est vite rendue compte qu’on avait besoin d’elle en tant qu’avocate, car de nombreux conjoints de réservistes avaient grand besoin de conseils juridiques pour conserver leur emploi et protéger leurs droits sur leur lieu de travail.
Il existe une certaine forme de protection contre le licenciement, mais elle n’est pas absolue. En Israël, la loi sur la protection des travailleurs en temps d’urgence interdit aux employeurs de licencier un employé qui s’absente du travail, soit en raison du service de réserve, soit en raison d’un ordre du Commandement du Front intérieur, soit pour garder un enfant de moins de 14 ans ou avec des besoins spéciaux, alors que les écoles sont fermées.
Fin novembre, un décret temporaire est entré en vigueur, pour protéger les conjoints de réservistes contre la mise à pied s’ils s’absentent de leur travail pour s’occuper d’enfants de moins de 14 ans.
Selon un sondage mené pour le Forum cette année, plus de 30 % des conjointes de réservistes ont signalé un changement dans leur situation professionnelle. 6 % de ces femmes ont été licenciées, 6 % ont été mises au chômage technique, 9 % ont décidé de donner leur préavis et 38 % ont réduit leur temps de travail à leurs frais.

Ces derniers mois, le Forum a traité plus de 500 plaintes pour licenciement et aidé 115 conjointes à conserver leur emploi.
« Nous avons agi dans des cas où des employeurs voulaient congédier les épouses de réservistes : il leur a été dit qu’ils n’en avaient pas le droit et, par conséquent, elles n’ont pas été licenciées et des conditions de travail plus flexibles ont été trouvées », explique Raanan. « Dans d’autres cas, les employeurs ont fait ce qu’ils voulaient en pariant sur le fait qu’en temps de guerre, il n’y aurait pas de contrôle de la loi. »
Michal Dan-Harel, directrice générale de Manpower Israël, a convenu qu’à mesure que le pays revenait lentement à une certaine forme de normalité, la plupart des employeurs s’attendaient à ce que les conjointes de réservistes reviennent à l’équilibre travail-vie personnelle en place avant la guerre.
« Dans l’ensemble, la majorité des employeurs ont tenu compte de la situation de guerre, surtout au début, mais ils n’ont pas tous réagi de la façon dont les épouses et les partenaires des réservistes s’y attendaient », analyse Dan-Harel. « La plupart du temps, les grandes entreprises ont pu autoriser une certaine flexibilité, comme une réduction temporaire des heures de travail, mais pour les employeurs de petites entreprises, c’est beaucoup plus difficile, car il n’y a parfois qu’une seule personne à un certain poste. »

Le Forum continue de se battre pour que l’aide de guerre bénéficie aux conjointes de réservistes, comme par exemple la prolongation de la période de protection contre les mises à pied de 30 à 60 jours après le retour des réservistes sur leur lieu de travail, adoptée en mars, ou des dispositions spéciales pour les divorcés et les travailleurs autonomes.
Pour l’heure, l’équipe juridique du Forum travaille encore sur les dossiers de Kaminer et Kisch.
Privées de leur emploi depuis décembre, Kisch et Kaminer sont à la recherche de nouvelles opportunités de travail, mais elles sont bien conscientes que leur situation actuelle et les incertitudes quant à la durée de la guerre rendent presque impossible leur retour à l’emploi.
« En tant que famille, nous sommes fières et fiers de servir notre pays, mais je pense que le gouvernement doit intervenir et partager une partie du fardeau pour répondre non seulement aux besoins de ses citoyens, mais aussi pour fournir une aide économique aux employeurs afin qu’ils puissent apporter un filet de sécurité à leurs employés en temps de guerre », conclut M. Kisch.
« L’aide doit venir d’en haut et non seulement de la mobilisation des citoyens. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel