Israël en guerre - Jour 585

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« L’identité gommée » d’une fille de soldat français née dans l’Allemagne d’après-Guerre

Aucune action en justice n'a jusqu'à présent été engagée sur ces adoptions organisées en plein vide juridique – l'Allemagne post-IIIe Reich n'avait pas de gouvernement. Et les faits sont aujourd'hui prescrits

Claudine Spire, 78 ans, fait une pause lors d'une interview à son domicile de Chaville, en banlieue parisienne, le 9 avril 2025. Claudine Spire fait partie des enfants de la partie de l'Allemagne occupée par la France qui, après la guerre, ont eu une mère allemande et un père français. Environ 1 500 d'entre eux ont été amenés en France par les autorités françaises entre 1946 et 1951, vraisemblablement de manière illégale, et confiés à des familles adoptives. Cette Française de 78 ans est toujours à la recherche de ses racines. « Dès mon enfance, j'avais l'impression de ne pas être à ma place, de ne ressembler à personne dans la famille », se souvient-elle. (Crédit : Xavier GALIANA / AFP)
Claudine Spire, 78 ans, fait une pause lors d'une interview à son domicile de Chaville, en banlieue parisienne, le 9 avril 2025. Claudine Spire fait partie des enfants de la partie de l'Allemagne occupée par la France qui, après la guerre, ont eu une mère allemande et un père français. Environ 1 500 d'entre eux ont été amenés en France par les autorités françaises entre 1946 et 1951, vraisemblablement de manière illégale, et confiés à des familles adoptives. Cette Française de 78 ans est toujours à la recherche de ses racines. « Dès mon enfance, j'avais l'impression de ne pas être à ma place, de ne ressembler à personne dans la famille », se souvient-elle. (Crédit : Xavier GALIANA / AFP)

Sur une photo en noir et blanc, Claudine Spire montre un groupe d’enfants. « Je pensais déjà m’être reconnue », dit-elle en pointant une fillette aux cheveux bouclés, vêtue d’un manteau court. Las, après quelques recherches, le constat tombe : ce n’est pas elle.

Cette femme de bientôt 79 ans a retrouvé début avril, au Centre des archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve, ce cliché de la fin des années 1940 dans un foyer de Nordrach, dans le sud-ouest de l’Allemagne.

Depuis près de 30 ans, elle tente de retracer ses racines, qui plongent dans un épisode sombre et méconnu de l’après-Guerre.

Claudine Spire est née à Fribourg en mai 1946, d’une mère allemande et d’un soldat français, en poste dans la zone occupée par la France après la défaite du IIIe Reich.

Comme environ 1 500 enfants nés de ce type d’union entre 1946 et 1951, elle n’a pas grandi en Allemagne mais a été placée dans une famille adoptive de l’autre côté du Rhin.

Alors que la France faisait face à un déficit de naissances, « il y avait une politique proactive des autorités françaises pour chercher des enfants et demander aux mères de les abandonner. C’est documenté et prouvé », explique Yves Denéchère, historien spécialiste de l’adoption internationale à l’université d’Angers.

Les femmes allemandes enceintes d’un soldat français étaient obligées de déclarer leur enfant aux autorités locales. Certaines recevaient à la maternité la visite « d’officiers de recherche » qui les incitaient à abandonner leur bébé pour lui offrir un meilleur avenir en France.

« Pour des raisons personnelles, je désire abandonner mon enfant entre les mains des Autorités Françaises », énonçait un formulaire proposé aux mères qui, en signant, renonçaient à tous leurs droits sur l’enfant.

« Trop teintée »

Enceinte à 19 ans, la mère de Claudine Spire a été poussée à se séparer de sa fille par ses parents, qui la considéraient comme un enfant de l’ennemi.

Claudine arrive à 18 mois à Nordrach, en Forêt-Noire. Le foyer a été créé par les autorités françaises dans un ancien centre du « Lebensborn », programme nazi destiné à promouvoir la race aryenne.

Claudine Spire, 78 ans, montre une photo de sa mère biologique en Allemagne lors d’un entretien à son domicile de Chaville, en banlieue parisienne, le 9 avril 2025. Claudine Spire fait partie des enfants de la partie de l’Allemagne occupée par la France qui, après la guerre, ont eu une mère allemande et un père français. Environ 1 500 d’entre eux ont été amenés en France par les autorités françaises entre 1946 et 1951, vraisemblablement de manière illégale, et confiés à des familles adoptives. Cette Française de 78 ans est toujours à la recherche de ses racines. (Crédit : Xavier GALIANA / AFP)

Les autorités françaises y « sélectionnaient surtout des enfants blancs, blonds et en bonne santé pour l’adoption », souligne Yves Denéchère.

Comme environ la moitié des soldats français en Allemagne venaient des colonies d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne, de nombreux enfants ne correspondaient pas à ces critères. Certains ont été rendus à leurs mères – en évoquant un doute sur leur paternité française – ou envoyés dans des orphelinats allemands.

« J’étais dans la liste des enfants qui ne pouvaient pas être proposés à l’adoption, parce que […] j’étais trop teintée, comme ils le disaient », assure-t-elle.

Elle a malgré tout été placée en avril 1948 dans une famille de région parisienne, où elle a connu une enfance sans histoire.

Histoire d’amour

Elle ne se lance dans la quête de ses origines qu’à la cinquantaine. Elle retrouve sa mère biologique allemande, qu’elle rencontre pour la première fois dans le hall d’un hôpital d’Offenburg (sud-ouest).

« C’était très… bizarre », raconte-t-elle, en cherchant le mot juste : « On était obligées de se rencontrer dans un lieu public parce qu’elle n’a jamais rien dit à son mari, ni à ses enfants ».

Elle ne la verra que deux fois, avant qu’elle ne décède. Le temps pour elle d’apprendre que son père était un Maghrébin et qu’elle était le fruit d’une histoire d’amour, pas d’un viol. Un soulagement.

Elle découvre également que sa mère l’avait appelée Margarete. Son nom a été changé lors de l’adoption. « Il fallait vraiment que l’identité soit gommée », dit Claudine Spire.

« Je trouve cette démarche absolument monstrueuse, de dire ‘on a besoin d’enfants, il faut repeupler la France’ », s’emporte-t-elle : « Monstrueux de la part de l’État français, et monstrueux de la part des autorités allemandes de l’époque qui ont accepté de jouer ce jeu-là ».

Aucune action en justice n’a jusqu’à présent été engagée sur ces adoptions organisées en plein vide juridique – l’Allemagne post-IIIe Reich n’avait pas de gouvernement. Et les faits sont aujourd’hui prescrits, rappelle Yves Denéchère.

Claudine Spire n’a, de fait, jamais pensé à se lancer dans une procédure. Le passeport allemand qu’elle a obtenu est une reconnaissance suffisante.

Mais elle continuera de fouiller les archives, rapatriées à partir des années 1950. Elle ne désespère pas d’y retrouver une photo d’elle.

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