Lithuanie : les victimes des nazis attendent du pape un « plus jamais »
L'Allemagne nazie avait anéanti la culture juive fleurissante de cette ville appelée autrefois "Jérusalem du Nord"
En 1983, le prêtre catholique lituanien Sigitas Tamkevicius a été détenu et interrogé plus de 70 fois dans une prison du KGB soviétique à Vilnius pour avoir témoigné de la discrimination religieuse pratiquée par le régime communiste.
Trente-cinq ans plus tard, le pape François se rendra dimanche dans sa cellule de l’époque, au sein d’une prison transformée depuis en musée, pour rendre hommage à ceux qui ont défié la dictature soviétique athée.
« Enfermé dans ces cellules enfouies profondément sous terre, si quelqu’un m’avait dit à l’époque que le pape viendrait ici… ç’aurait été inimaginable », dit aujourd’hui à l’AFP cet ecclésiastique promu archevêque dans les années 1990, dans une Lituanie déjà indépendante.
« La visite du pape en ce lieu et son hommage rendu aux sacrifices pour la liberté ne sauraient être surestimés », insiste-t-il.
Mgr Tamkevicius avait été accusé de propagande antisoviétique pour avoir fondé et édité une chronique de l’Église catholique en Lituanie. Ce périodique clandestin était centré sur la répression contre les catholiques, et envoyé clandestinement de l’autre côté du « rideau de fer ».
« Nous avons pensé que si nous arrivions à obtenir plus de liberté pour l’Église, cela apporterait également plus de liberté en Lituanie. Tout le monde savait que l’Église se battait non seulement pour ses propres droits mais aussi pour les droits de la nation », se souvient-il.
Bientôt octogénaire, l’archevêque reconnaît avoir été motivé par le pape Jean Paul II, qui exprimait publiquement sa solidarité avec « l’Église du silence » dans les pays où la foi était mise à l’épreuve. Et par le refus obstiné du Vatican de reconnaître l’occupation soviétique des trois pays baltes, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie.
La justice soviétique a condamné le père Tamkevicius à dix ans de détention, notamment dans des camps de travail au fin fond de la Russie.
Il a été libéré seulement en 1989, pendant la perestroïka. Mais nombre de ceux qui avaient connu avant lui la prison de Vilnius ne l’ont jamais quittée vivants.
Des noms de victimes de la dictature de Staline restent gravés sur les vieilles pierres.
Selon Vilnius, plus de 50 000 Lituaniens sont morts dans les camps et les prisons soviétiques ainsi que lors des déportations massives dans les années 1944-1953, tandis que 20 000 autres ont été tués dans des combats livrés par la résistance anti-soviétique.
Autorité morale
Le pape va rendre aussi hommage aux victimes de la Shoah, devant le mémorial du ghetto de Vilnius. L’Allemagne nazie avait anéanti la culture juive fleurissante de cette ville appelée autrefois « Jérusalem du Nord ».
« Nous nous sentons honorés par la visite du pape, et peu importe que nous soyons d’une autre confession. Nous apprécions qu’il rende hommage aux victimes, exactement 75 ans après la liquidation du ghetto », a déclaré à l’AFP la responsable de la communauté juive, Faina Kukliansky.
« Je crois aussi que ses pensées se dirigeront également vers ces chrétiens qui ont sauvé des juifs, dont ceux qui ont sauvé ma famille à moi », a-t-elle ajouté.
Environ 200 000 juifs de Lituanie ont péri des mains des nazis et de leurs collaborateurs locaux sous l’occupation allemande de 1941 à 1944, soit la quasi-totalité de la communauté.
Aujourd’hui, elle ne compte qu’environ 3 000 membres, dans ce pays de 2,9 millions d’habitants, membre de l’Union européenne et de l’OTAN.
Selon la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaite, le soutien que l’Église catholique a apporté à la dissidence fait toujours beaucoup pour son image dans le pays.
« L’Église était l’un de nos piliers de résistance, aux côtés de notre langue, de notre culture et de nos chansons. Nous voyons les difficultés et les défis auxquels l’Église est confrontée dans d’autres pays, mais nous sommes heureux qu’elle ait conservé une autorité morale ici », a-t-elle déclaré à l’AFP.