Loi sur la « raisonnabilité » : l’opposition dépose 27 000 objections
L'opposition a déclaré que ce nombre sans précédent de propositions d'amendement soumises au parlement entrait dans le cadre de son "combat contre le coup d'État du régime"
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Les députés de l’opposition qui siègent au sein de la Commission de la Constitution, du droit et de la justice ont soumis un nombre sans précédent de réserves ou propositions d’amendement (27 676) dans le cadre du projet de loi controversé de la coalition visant à limiter drastiquement l’usage de la notion juridique de « raisonnabilité » par les juges lorsqu’ils sont amenés à réexaminer les décisions des politiciens – une initiative qui, ont-ils dit, vise à ralentir son avancée devant le Parlement.
Alors que le projet de loi est dorénavant dans la phase finale du processus législatif menant à son adoption définitive, les membres de l’opposition tentent dorénavant de stopper sa progression. Ils affirment que les débats sur la législation qui ont eu lieu au sein de la Commission – le texte est aujourd’hui préparé en amont de sa présentation en séance plénière – ont été superficiels et largement insuffisants.
La Commission devrait commencer à voter sur les réserves qui ont été soumises lundi – et il faudra au moins encore deux jours pour que ses membres s’expriment sur toutes les propositions qui ont été faites par l’opposition. Deux conseillers de députés siégeant au sein de cette dernière ont confié au Times of Israel qu’ils pensaient que ce nombre de réserves était « sans précédent » dans toute l’histoire d’Israël.
Et à cause de nombre record de propositions d’amendement soumises, Simcha Rothman, député d’extrême-droite et président de la commission de la Constitution, devrait organiser un vote par série sur ces réserves – ce qui est autorisé s’il y en a plus de 2 000. Le conseiller juridique de la Knesset et celui de la commission devront malgré tout approuver cette initiative.
En contraste, les parlementaires de l’opposition, au sein de la commission, avaient déposé 5 400 réserves, au mois de mars, contre le projet de loi qui cherchait à placer sous le contrôle des politiques le panel chargé de nommer les juges sur tout le territoire israélien.
Une fois que ces propositions d’amendement auront été votées, la commission organisera un autre vote consacré à la version finale de la législation – probablement mercredi ou jeudi.
La législation sera ensuite prête pour ses dernières lectures en séance plénière de la Knesset et elle pourrait être présentée au vote dès dimanche prochain.
Toutes les réserves approuvées par la commission seront présentées lors d’un vote au Parlement, parallèlement au vote en deuxième lecture du projet de loi. Si elles sont acceptées – ce qui est improbable – elles seront alors intégrées dans le texte, ce qui retardera la troisième et dernière lecture du texte.
« Dans la mesure où la Commission n’a pas organisé de débat substantiel, comme c’est nécessaire pour une loi qui portera préjudice à l’économie, à la sécurité et aux citoyens israéliens, et que le président de la Commission a continué à adopter un comportement liberticide, les membres de l’opposition sont déterminés à continuer leur combat contre le coup d’état du régime qui détruit la démocratie israélienne », ont fait savoir les membres issus de l’opposition au sein de la Commission dans une déclaration à la presse, lundi matin, après avoir soumis leurs réserves.
Le projet de loi – qui se présente sous la forme d’un amendement à la Loi fondamentale : Le système judiciaire – interdirait aux tribunaux d’invalider les décisions gouvernementales et ministérielles, voire seulement d’en discuter, sur la base de la notion juridique de la « raisonnabilité ». Si les nominations et les renvois des officiels ne pourront plus être examinés à l’aune de leur « caractère raisonnable », ce ne sera pas le cas des décisions prises par les fonctionnaires.
La coalition affirme que l’utilisation de la « raisonnabilité » revient à placer le jugement des magistrats non-élus au-dessus du jugement des politiciens du gouvernement et des responsables qui, eux, ont été élus, avec une capacité d’intervention judiciaire beaucoup trop importante dans les décisions prises en matière de politique.
Les opposants au projet de loi, pour leur part, disent que ce dernier ouvrira la porte à la corruption et empêchera de contrôler les responsables élus lorsqu’ils prennent une décision sensible, notamment celles qui sont susceptibles d’avoir un impact sur les droits civils.
Les inquiétudes portent spécifiquement sur la limitation des réexamens, par les juges, du limogeage de fonctionnaires déterminants dans une démocratie – procureur-général, procureur de l’État, commissaire de police… Ils craignent qu’en résultat de cette législation, les officiels ne perdent en indépendance, ce qui nuirait gravement à l’état de droit.
Les membres de la coalition insistent toutefois sur le fait que de nombreux outils efficaces resteront à la disposition des magistrats pour réexaminer les décisions potentiellement problématiques du gouvernement, même en l’absence de la notion juridique de « raisonnabilité ».
Le Mouvement de protestation étudiant a annoncé que ses militants avaient aidé les députés Yorai Lahav-Hertzano, Moshe Turpaz, et Yoav Segalovich, dans l’opposition, à préparer les 27 000 réserves au cours de ces derniers jours.
« Cette mobilisation historique de plus d’un millier d’activistes, qui ne se connaissent pas, dans l’objectif commun de lutter contre une loi anti-démocratique est l’incarnation même de ce qu’est une démocratie civile », a dit Nadav Salzberger, membre de l’organisation étudiante.
« Alors que le gouvernement se comporte de manière déraisonnable, les citoyens se rassemblent pour lui envoyer son reflet, en miroir. Cette initiative, qui est source d’inspiration, sera enseignée dans les livres d’Histoire en évoquant le combat mené au nom de la démocratie en Israël », a-t-il ajouté.