Lorsque des ONG de Portland condamnent Israël, la philanthropie juive est mise à l’épreuve
Post-7 octobre, des groupes ont publié des déclarations stridentes et partiales sur la guerre à Gaza, conduisant les Juifs locaux à reconsidérer des relations de longue date
JTA – À l’occasion de Pessah, le rabbin Michael Cahana a exhorté sa congrégation à utiliser la partie du seder commémorant la matza – le pain de la misère – pour « dénoncer la faim des civils palestiniens à Gaza ».
Un tel message « reflète les valeurs de cette congrégation, de cette communauté », a déclaré Cahana, qui sert la Congrégation Beth Israel à Portland, dans l’Oregon, à la Jewish Telegraphic Agency. « Le fait que des civils souffrent en temps de guerre est réel et terrible, et je pense qu’il est important que nous, en tant que communauté juive, reconnaissions cette souffrance. »
Deux semaines plus tard, la banque alimentaire de l’Oregon (OFB) – qui, depuis des années, reçoit un soutien financier et d’autres formes de soutien de la part de la congrégation – a rédigé sa propre déclaration sur la famine présumée à Gaza. Cette déclaration appelait à un cessez-le-feu dans la guerre entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas, accusait Israël de perpétuer une « guerre contre la Palestine » et affirmait que l’armée israélienne ciblait « sans discernement » les boulangeries, les travailleurs humanitaires et les hôpitaux, tout en entravant les efforts de secours dans la région.
Bien que le communiqué n’accuse pas Israël de « génocide », une allégation qui connaît un franc succès auprès des militants anti-Israël, il fait référence aux « idéologies coloniales » et indique que la banque alimentaire s’efforcera de « responsabiliser les décideurs politiques et de les inciter à s’abstenir de mettre en œuvre des politiques étrangères qui contribuent au génocide, à la guerre, à la famine et à la faim ».
Les fidèles de Beth Israel, qui savaient que leur synagogue avait organisé des campagnes de financement pour l’OFB, se sont indignés. Cahana l’était également : les propos de la banque alimentaire, pensait-il, ne tenaient pas compte des atrocités perpétrées par le Hamas et ne témoignaient guère de l’empathie pour toutes les victimes de la guerre que son propre message de Pessah avait cherché à transmettre. Même après avoir discuté avec la Jewish Federation of Greater Portland (JFGP), l’OFB a refusé de modifier sa déclaration.
En réaction, une dizaine de groupes juifs de Portland – dont la JFGP, plusieurs synagogues, Beth Israel, et un groupe d’office familial juif – ont décidé, fin mai, de cesser de la soutenir. Aujourd’hui, ils financent d’autres groupes locaux de lutte contre la faim, dont au moins deux sont gérés par des Juifs.
« De notre point de vue, il semble que vous cibliez ce conflit particulier parce que vous voulez diaboliser Israël », a déclaré Bob Horenstein, directeur du Conseil des relations avec la communauté juive de Portland, à la JTA. « C’est l’impact de ce qu’ils font. »
L’OFB n’est pas la première organisation caritative de Portland à perdre le soutien financier d’un groupe juif à la suite d’une déclaration sur Gaza. Hygiene4All (H4A), une association à but non lucratif qui gère un petit centre fournissant des installations sanitaires, des fournitures médicales de base et d’autres besoins aux sans-abri de la ville, s’est volontairement retirée de la liste des bénéficiaires d’une collecte de fonds communautaire juive au début de l’année. Ce fonds avait exprimé des objections à la déclaration de Hygiene4All du 5 février, qui appelait à « un cessez-le-feu immédiat et permanent, à la fin du génocide contre le peuple palestinien et à la libération de la Palestine, de la rivière à la mer [slogan anti-Israël] ».
L’ensemble de ces incidents met en évidence une préoccupation croissante dans les milieux de la philanthropie juive depuis le 7 octobre : la montée d’une « culture de la déclaration » autour de la guerre entre Israël et le Hamas, dans laquelle une série d’organisations, quelle que soit leur mission, prennent position sur la question, est en train de rompre les relations entre Juifs et non-Juifs dans les institutions à travers le pays.
Selon Cahana, les groupes juifs ont la responsabilité de s’assurer que les causes qu’ils soutiennent correspondent à leurs valeurs. Pourtant, le retrait de fonds pour de telles déclarations peut avoir pour effet d’alimenter des stéréotypes antisémites pernicieux sur le pouvoir et l’influence des Juifs autour d’Israël, et pourrait même nuire aux communautés marginalisées que les Juifs ont décidé d’aider.
« C’est une situation triste », a déclaré Cahana, « parce qu’elle n’est pas nécessaire ».
En ce qui concerne l’OFB, les groupes juifs se sont opposés à deux points principaux : le fait que c’était la première fois que l’organisme de bienfaisance prenait position sur une question internationale, et les accusations spécifiques portées contre Israël dans la déclaration.
Les dirigeants juifs ont demandé pourquoi l’OFB n’avait rien dit au sujet de la famine cette fois malheureusement bien avérée qui sévit au Soudan ou en Syrie – cette dernière affectant, selon la JFGP, « des milliers de Palestiniens ». Ils ont également estimé qu’il était inapproprié pour la banque alimentaire d’accuser Israël de cibler « intentionnellement » les travailleurs humanitaires, les hôpitaux et les sources de nourriture.
Alors que la crise humanitaire se serait intensifiée à Gaza, les groupes d’aide et les organismes internationaux ont accusé Israël d’entraver l’acheminement de l’aide en tant qu’agenda politique, et ont reproché les frappes involontaires israéliennes qui ont tué des travailleurs humanitaires. Israël s’est excusé pour ces frappes, qu’il dit « tragiques et involontaires », et insiste sur le fait qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir pour acheminer l’aide dans l’enclave.
La JFGP a rencontré des responsables de l’OFB avant et après la publication de la déclaration dans l’espoir de contraindre le groupe à l’assouplir.
Horenstein, dont le groupe est affilié à la fédération locale, a déclaré qu’ils avaient dit à l’OFB : « Ne vous en mêlez pas. Contentez-vous de rester dans votre domaine. Votre domaine est de vous attaquer à la faim et à ses causes profondes. »
Mais ils estiment que leurs appels sont restés sans réponse. « Ils ont complètement ignoré nos préoccupations », a-t-il déclaré.
Le directeur-général de la JFGP, Marc Blattner, a déclaré lors d’un récent discours à l’issue de la réunion annuelle de la fédération : « Nous avons considéré cette déclaration comme une attaque unilatérale contre Israël. »
La banque alimentaire de l’Oregon ne voit pas les choses de la même manière.
Susannah Morgan, la présidente de l’organisation caritative, a assuré à la JTA qu’elle avait « pris en considération la diversité des points de vue » exprimés par des groupes, y compris la JFGP, avant de publier sa déclaration finale.
« Nous éprouvons de la peine lorsque certains de nos donateurs décident qu’ils ne peuvent plus soutenir notre mission », a déclaré Morgan. « Pour nous, c’est un moment de désaccord – et nous continuons à maintenir l’espace et la possibilité de relations avec ces organisations et les membres de la communauté ici à l’OFB. »
Du point de vue de Cahana, l’OFB a dépassé les bornes. Et en refusant de modifier sa déclaration au-delà d’une mention du pogrom du 7 octobre – lors duquel des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont assassiné près de 1 200 personnes dans le sud d’Israël, dont la plupart étaient des civils, et enlever 251 personnes dans la bande de Gaza, déclenchant la guerre en cours – l’organisation caritative semblait plus attachée à sa position sur Gaza qu’au maintien d’une relation avec la communauté juive.
« Vous avez demandé la participation de la communauté juive, en reconnaissant que cela va être lu d’une manière problématique, puis vous n’intégrez aucune de ces suggestions, ou vous les intégrez d’une manière telle qu’elles semblent n’être qu’un ajout et qu’elles n’abordent pas vraiment la question centrale, cela m’a semblé très insultant », a-t-il déclaré.
Pour les groupes juifs, le désaccord était trop important pour rester privé.
« Nous avons décidé à ce moment-là de rendre public ce qu’ils faisaient », a déclaré Horenstein. Le résultat a été une lettre envoyée à la fin du mois de mai, intitulée « A Jewish Statement to the Oregon Food Bank » (« Une déclaration juive à la banque alimentaire de l’Oregon »). Elle a été signée par une dizaine de groupes, qui se sont également engagés à rediriger leurs fonds vers d’autres organisations caritatives locales à vocation alimentaire qui n’avaient pas adopté une position similaire sur le conflit.
« Nous restons attachés à la mission d’élimination de la faim dans l’Oregon et à ses causes profondes », indique la lettre. « Mais nous ne voyons pas en quoi le fait d’appeler une partie d’un conflit à des milliers de kilomètres de là à s’engager à un cessez-le-feu, tout en permettant au groupe terroriste qui a rompu le cessez-le-feu de continuer à s’épanouir à ses frontières, contribue à éliminer la faim dans l’Oregon. »
Certains donateurs juifs individuels de l’OFB ont également annulé leur soutien à la suite de la déclaration, selon plusieurs dirigeants juifs locaux. C’est un résultat que la JFGP n’avait pas recherché, mais qu’elle n’est pas particulièrement motivée à inverser.
« Nous n’avons jamais dit aux gens de ne pas faire de dons. Cela n’a jamais été notre intention. Nous avons décidé que les gens pouvaient se faire leur propre opinion », a souligné Horenstein. Mais, a-t-il ajouté, « le fait qu’ils aient perdu un soutien important au sein de notre propre communauté – vous savez, nous ne pleurons pas à ce sujet ».
La séparation d’Hygiene4All s’est faite à l’amiable. À l’origine, le groupe figurait parmi les six bénéficiaires d’une campagne de financement axée sur les sans-abri lancée cette année par la Fondation de la communauté juive de l’Oregon (OJCF), une entreprise philanthropique locale. Dans une question-réponse sur le site de la fondation, Sandra Comstock, directrice de Hygiene4All, les a remerciés pour leur « généreux » soutien et a déclaré que l’argent servirait à payer les salaires du personnel, à acheter des articles tels que des tentes et des sacs de couchage, et à publier une lettre d’information mettant en lumière des « histoires de BIPOC, de LGBTQ+ et de personnes en situation de handicap ».
Mais Hygiene4All a ensuite publié sa propre déclaration sur Instagram. En plus d’accuser Israël de « génocide », il s’est également excusé d’être « en retard de 120 jours » – indiquant que les membres pensaient que le jour suivant le pogrom du 7 octobre aurait été le moment approprié pour appeler à un cessez-le-feu.
Peu après, l’OJCF a contacté H4A pour lui faire part de ses inquiétudes concernant sa déclaration, ont indiqué les deux groupes à la JTA. En réponse, Hygiene4All s’est volontairement retiré de la campagne de financement ; les informations concernant le groupe ont été supprimées du site internet de la fondation.
Les deux groupes affirment maintenant qu’ils poursuivent « un autre type de partenariat » qui impliquera un dialogue plus approfondi entre les conseils d’administration. « Nous sommes reconnaissants d’avoir eu l’opportunité d’engager une discussion plus approfondie avec H4A et les membres de notre communauté sur des questions importantes et nous espérons que ces discussions mèneront à un effort de collaboration pour améliorer le monde », a déclaré Rachael Evans, directrice de la gestion de l’OJCF, dans un communiqué.
Comstock a décrit cette nouvelle relation comme « une relation où une conversation sans pression, réfléchie et remplie [sic] pourrait approfondir la confiance et élargir le terrain d’entente et l’engagement mutuel à long-terme ».
Ces questions surviennent alors que les Juifs de Portland connaissent des tensions accrues avec une communauté locale connue pour ses positions progressistes et qui s’enflamme au sujet de cette guerre. Des inquiétudes sont apparues à propos de l’intense militantisme anti-Israël d’un syndicat d’enseignants et, au printemps, des militants ont gravement endommagé une bibliothèque de l’Université d’État de Portland.
En réponse à ces réactions, l’OFB est restée fidèle à sa déclaration, arguant que, puisqu’elle estime que les habitants de Gaza sont confrontés à un risque de famine de plus en plus probable, il est tout à fait dans la mission de l’organisation de dénoncer la conduite d’Israël dans la guerre.
L’organisation caritative a également indiqué qu’elle avait reçu un « soutien massif » depuis que la nouvelle de la dispute a éclaté, et qu’elle avait encouragé ses sympathisants à donner également à l’organisation caritative américaine World Central Kitchen (WCK), un groupe d’aide qui distribue de la nourriture à Gaza. Sept des travailleurs de cette ONG ont été tués lors de la frappe aérienne involontaire sur un convoi du WCK en avril.
Morgan a déclaré que, malgré le départ de certains donateurs, « les pertes financières n’ont pas été significatives » et l’OFB appelle sa communauté
« à réorienter son soutien vers la population de Gaza qui, malheureusement, est confrontée à une véritable famine ».
Le groupe anti-sioniste Jewish Voice for Peace (JVP) a quant à lui lancé une campagne de collecte de fonds pour la banque alimentaire. « L’OFB a appelé à un cessez-le-feu et a été attaqué par certains membres de la communauté sioniste ici à Portland », a écrit la section de Portland de JVP sur Instagram. Dans une publication de suivi, le groupe a qualifié la position de la communauté juive de « déraisonnable et punitive pour les membres les plus vulnérables de notre communauté », ajoutant que « la Fédération juive ne parle pas au nom de tous les Juifs de Portland ».
Une lettre de soutien à l’OFB, lancée par JVP, a été signée par des centaines de personnes et de groupes, dont le rabbin de Havurah Shalom, une congrégation reconstructionniste locale.
Dans son discours adressé à la communauté le 7 juin, Blattner, le directeur de la JFGP, a défendu la décision en décrivant un appel téléphonique récent avec un critique d’Israël.
« Au cours de ma conversation avec une personne qui m’a appelé pour exprimer sa colère, je lui ai demandé si elle contribuait à la Fédération juive. La personne a répondu : ‘Non, je n’aime pas votre soutien à Israël et je donne donc à d’autres causes juives.’ J’ai alors demandé en quoi notre choix de nous tourner vers d’autres organisations alimentaires est-il différent ? Ils ont raccroché. »
Horenstein reconnaît que le fait de retirer son soutien à une banque alimentaire ne donne pas forcément une image très positive des groupes juifs.
« Pour la personne qui ne comprend pas ce qui se passe, l’optique ne nous est pas favorable ? Oui, c’est probablement vrai », a-t-il déclaré. « Mais à un moment donné, lorsqu’une organisation franchit une ligne rouge – et c’était le cas pour nous – nous devons être ce que nous sommes, et nous devons défendre nos principes. »
Les groupes juifs se sont engagés à réorienter leur soutien vers d’autres organisations caritatives alimentaires locales, dont certaines ont été fondées par des juifs, notamment Stone Soup PDX, qui tire son nom d’un conte populaire juif sur l’insécurité alimentaire. Le co-fondateur de ce groupe, Craig Gerard, a déclaré à la JTA qu’il n’avait pas constaté de différence significative dans le financement de la communauté juive depuis la controverse sur les banques alimentaires. Il a noté que Stone Soup a reçu un soutien important de la part de la campagne actuelle de l’OJCF, qui mentionne toujours le groupe comme l’un des cinq bénéficiaires restants.
Cahana a déclaré que le travail de Beth Israel pour réorienter le financement a commencé « immédiatement » et qu’il a déjà eu des conversations avec une autre organisation alimentaire locale, Urban Gleaners, au sujet de l’envoi de dons à cette organisation. Comme Stone Soup PDX, Urban Gleaners a été fondée par un fidèle de Beth Israel.
Il restait cependant une question importante à régler avant de pouvoir approuver la réorientation des fonds collectés vers cette organisation. Cahana devait demander au responsable d’Urban Gleaners « s’ils avaient l’intention de faire des déclarations publiques sur des événements internationaux ».
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