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Analyse

Un rapport sur Gaza révèle que les sombres prévisions de famine étaient exagérées

L'étude semble mettre l'accent sur les résultats marginaux de la malnutrition et ne divulgue pas les données relatives à la mortalité, ce qui remet en question le fondement des nouvelles projections

Jeremy Sharon

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Illustration : Des enfants palestiniens déplacés attendant de recevoir de la nourriture dans une école publique, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 février 2024. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)
Illustration : Des enfants palestiniens déplacés attendant de recevoir de la nourriture dans une école publique, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 février 2024. (Crédit : Mohammed Abed/AFP)

Un rapport publié la semaine dernière par l’organisation Integrated Food Security Phase Classification (IPC), selon lequel il n’y a pas de famine à Gaza, a confirmé les doutes émis au début de l’année sur les allégations de famine massive, en raison de l’absence de preuves.

Un examen approfondi du rapport révèle des divergences, non seulement entre les affirmations des agences de l’ONU et des responsables humanitaires sur la situation à Gaza, mais aussi entre les affirmations rhétoriques de l’IPC lui-même et les données de son propre rapport.

Les données démontrent également que la projection de l’IPC en mars, selon laquelle quelque 1,1 million d’habitants de Gaza souffriraient du plus haut niveau d’insécurité alimentaire possible d’ici au mois de juillet, était totalement erronée, selon la nouvelle étude de l’IPC : ce chiffre était plus de trois fois supérieur au nombre réel de personnes dans cette catégorie au 15 juin.

Ces écarts ont conduit certains experts à remettre en question le fondement des nouvelles projections de l’IPC, qui prévoient à nouveau une aggravation de la famine dans la bande de Gaza.

Le professeur Aron Troen, de l’école des sciences de la nutrition de l’Université hébraïque de Jérusalem, a déclaré que la « transparence limitée » de l’étude et les « projections biaisées » qu’elle contient sapaient « la confiance dans le rapport et dans la neutralité et l’impartialité » de l’IPC et de ses institutions.

L’IPC n’a pas répondu à une demande de commentaire du Times of Israel et a refusé de nombreuses demandes d’interviews et d’informations au cours des deux derniers mois.

L’IPC, lié à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, est considéré comme une agence neutre et faisant autorité, dont l’objectif est d’alerter et d’attirer l’attention sur les famines et les menaces de famines dans le monde.

Des enfants palestiniens à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 24 juin 2024. (Crédit : Bashar Taleb/AFP)

Son rapport du mois de mars, qui prévoyait une famine à Gaza avant le 15 juillet, a déclenché la sonnette d’alarme dans le monde entier, prédisant l’imminence d’une catastrophe humanitaire.

Les allégations de famine imminente ont également constitué un élément central des procédures juridiques engagées contre la conduite par Israël de la guerre contre le Hamas devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale de La Haye, cette dernière ayant accusé le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour avoir prétendument utilisé la famine comme méthode de guerre contre les Palestiniens.

Dans ce contexte, l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza est devenu une préoccupation majeure et les agences des Nations unies et certains groupes d’aide ont reproché à Israël de ne pas laisser entrer suffisamment d’aide et de ne pas en faire assez pour faciliter son transfert vers la population gazaouie.

Israël a cependant toujours affirmé qu’il avait facilité le transfert de dizaines de milliers de camions d’aide contenant suffisamment de nourriture pour répondre aux besoins nutritionnels de Gaza, et a reproché à l’ONU de ne pas intensifier ses opérations de logistique et de distribution.

Selon l’IPC, une famine peut être déterminée lorsque trois conditions sont réunies : 20 % des ménages sont confrontés à un manque extrême de nourriture, 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë et au moins deux décès d’adultes ou quatre décès d’enfants par 10 000 personnes, par jour, dus à la famine.

Le dernier rapport de l’IPC publié mardi dernier ne remplit aucun de ces critères.

Selon la dernière étude de l’IPC, 5 % de la population de Gaza se trouve actuellement dans ce qu’il définit comme la « phase 2 – stress » sur son échelle d’insécurité alimentaire, tandis que 51 % sont définis comme étant dans la « phase 3 – crise ».

29 % sont classés en « Phase 4 – Urgence » et 15 % en « Phase 5 – Catastrophe », la classification la plus élevée qui soit.

Cependant, bien que 56 % de la population soit définie comme étant, au pire, en phase 3, le dernier rapport de l’IPC a déterminé que l’ensemble de la bande de Gaza se trouvait au niveau d’insécurité alimentaire de « phase 4 – urgence ».

Des Palestiniens attendant le passage de camions d’aide humanitaire dans le centre de la bande de Gaza, le 19 mai 2024. (Crédit : Abdel Kareem Hana/AP)

L’organisation a également prévu qu’entre le 16 juin et le 30 septembre, le pourcentage de la population souffrant d’insécurité alimentaire en phase 5 passerait à 22 % et celui de la population en phase 4 à 33 %.

Mais les projections précédentes de l’IPC se sont révélées extrêmement imprécises.

Dans son rapport de mars, l’IPC prévoyait que 50 % de la population atteindrait le niveau « Phase 5 – Catastrophe » à un moment ou à un autre avant le 15 juillet, mais le chiffre réel au 15 juin était de 15 %.

Concrètement, la projection de l’IPC était erronée d’environ 233 % ; en termes humains, elle a manqué sa cible d’environ 777 000 personnes.

De même, le rapport de mars prévoyait que 38 % de la population de Gaza se trouverait en phase 4 à un moment ou à un autre avant le 15 juillet, contre 29 % au 15 juin, soit une erreur de 31 %.

Le rapport de l’ICP semble également minimiser les tendances positives de la situation en matière de sécurité alimentaire.

Le seul indicateur physique de la malnutrition dont dispose l’IPC pour ses rapports est une mesure appelée « Middle Upper Arm Circumference » (MUAC), c’est-à-dire une mesure de l’avant-bras généralement effectuée sur des enfants âgés de 6 à 59 mois.

Dans son rapport de mars, l’IPC a constaté une prévalence du MUAC de 12,4 % à 16,5 % pour les gouvernorats du nord de Gaza, où le risque de famine était considéré comme le plus élevé. Il s’agit d’une forte augmentation par rapport aux résultats précédents.

Des Palestiniens achètent de la nourriture sur un marché local à côté d’un immeuble résidentiel détruit par des frappes aériennes israéliennes à Rafah, dans la bande de Gaza, le 14 mars 2024. (Crédit : AP Photo/Fatima Shbair)

Une prévalence du MUAC supérieure à 15 % indique qu’un territoire est entré dans la phase 4 ou 5 de l’échelle d’insécurité alimentaire de l’IPC.

Mais dans son nouveau rapport, elle a constaté que les scores MUAC avaient diminué encore plus fortement dans le nord de la bande de Gaza pour atteindre à peine 1 %, soit le même niveau qu’avant la guerre.

Malgré cette chute brutale de la prévalence de la malnutrition en fonction des résultats du MUAC, le nouveau rapport de l’IPC estime néanmoins que « les changements rapides de la prévalence de la malnutrition aiguë » signifient que la détérioration future des conditions « pourrait entraîner » une aggravation de la malnutrition.

Mais une telle évaluation est « tout à fait hypothétique », a déclaré Troen, l’expert de l’Université hébraïque. Il a également souligné d’autres problèmes liés à l’interprétation par l’IPC de ses propres données.

Dans le gouvernorat de Rafah, au sud de Gaza, l’IPC a indiqué que les résultats du MUAC variaient de 1 % à 12 %, avec une médiane de 2,6 %. À Khan Younès, au sud, et à Deir al-Balah, au centre de Gaza, les résultats variaient de 1 % à 10 %. Aucune valeur médiane n’a été communiquée.

Le rapport indique que cela signifie qu’il y a une tendance à la hausse de la prévalence de la malnutrition dans ces gouvernorats, mais Troen note que les résultats de la prévalence élevée sont des valeurs aberrantes parmi l’ensemble des données collectées, et que la moyenne est beaucoup plus basse.

La nouvelle étude n’a pas non plus fourni de données des mois précédents pour démontrer qu’il y avait eu une tendance à la hausse. Le rapport de mars de l’IPC ne contenait pas non plus de résultats du MUAC pour ces gouvernorats.

Les taux de mortalité due à une famine ont également été obscurcis dans une certaine mesure par l’IPC.

Le rapport cite les résultats d’une enquête téléphonique menée par un institut de sondage palestinien pour le compte du Programme alimentaire mondial (PAM), du 20 avril au 9 juin, auprès de 1 104 ménages représentant un total de 5 707 personnes, au cours de laquelle 42 décès ont été signalés, toutes causes confondues, y compris des morts violentes dues à des blessures subies pendant la guerre.

Cela donne un taux de décès brut de 0,55 décès pour 10 000 personnes, par jour, toutes causes confondues.

« L’exclusion des décès causés par la violence a permis d’abaisser les taux de mortalité estimés », indique le rapport, sans préciser le nombre de morts violentes enregistrées dans l’étude du PAM.

Selon les critères de l’IPC, pour qu’il y ait famine, il faut qu’il y ait au moins deux décès d’adultes ou quatre décès d’enfants par 10 000 personnes, par jour, uniquement dus à la famine.

« Étant donné que seuls 42 décès ont été enregistrés, on peut supposer que le taux de mortalité non violente est proche de zéro », a déclaré Troen.

Le Programme alimentaire mondial n’a pas publié les résultats de l’enquête citée par l’IPC, et l’IPC lui-même n’a pas fourni les données dans son rapport, de sorte qu’il est actuellement impossible de déterminer le nombre et le taux réels de décès dus à la famine.

« Le but de l’IPC est de tirer la sonnette d’alarme pour inciter à agir avant qu’il ne soit trop tard. Dans une certaine mesure, ils y sont parvenus, en sacrifiant la précision et la prudence », a déclaré Troen.

« Il ne fait aucun doute qu’il y a de graves souffrances à Gaza et qu’il n’y a pas lieu de se reposer sur ses lauriers », a-t-il poursuivi, ajoutant qu’un effort conjoint des Israéliens, des agences internationales et des Palestiniens était nécessaire pour garantir une réponse humanitaire efficace.

« Malheureusement, il semble que le manque de transparence et les projections biaisées de l’IPC aient l’effet inverse. Le fait de présenter les pires scénarios extrêmes comme l’issue la plus probable mine la confiance dans le rapport et dans la neutralité et l’impartialité des institutions et des organisations partenaires qui composent l’IPC pour fournir les données et produire le rapport, entrave la coopération entre les parties et incite à blâmer plutôt qu’à résoudre le problème, et fait le jeu des extrémistes qui exploitent cyniquement, cruellement et stratégiquement la souffrance humaine pour faire avancer leurs objectifs néfastes. »

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