L’UE et les USA appellent à une enquête après la mort d’un détracteur d’Abbas
L'autopsie de Nizar Banat montre qu'il n'est pas mort naturellement ; sa famille accuse les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne de l'avoir battu lors de son arrestation
Un militant des droits humains critique de l’Autorité palestinienne est décédé jeudi peu après son arrestation par les forces de sécurité palestiniennes en Cisjordanie, suscitant l’indignation et des manifestations ainsi que des appels de la communauté internationale à une enquête.
Nizar Banat, un Palestinien de 43 ans, était connu pour ses vidéos postées sur Facebook critiquant l’Autorité palestinienne présidée par Mahmoud Abbas, qu’il accusait de corruption. Il avait également appelé les nations occidentales à couper leurs aides en raison de son autoritarisme et de ses violations des droits de l’homme. Sa page Facebook comptait plus de 100 000 abonnés.
Lors d’une conférence de presse à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, le médecin légiste a fait état de traces de coups à la tête, à la poitrine, au cou, aux jambes et aux mains.
Le docteur Samir Abu Zaarour, médecin légiste de la Commission indépendante des droits de l’homme, qui a assisté à l’autopsie de Banat, a déclaré que sa mort n’était pas naturelle et a exclu la possibilité d’une crise cardiaque ou d’un accident vasculaire cérébral.
Moins d’une heure s’est écoulée entre les coups et sa mort, a indiqué Samir Abou Zarzour.
Les photos du corps publiées par la famille semblent montrer des contusions sur sa tête et ses jambes.
Nizar Banat avait été arrêté à l’aube chez son oncle à Dura, près de Hébron, puis conduit en détention, selon sa famille.
L’envoyé spécial de l’ONU pour le Moyen-Orient, Tor Wennesland, s’est dit « alarmé et attristé » par ce décès, tandis que l’Union européenne a appelé à une enquête « indépendante et transparente ». Après l’arrestation de M. Banat pour quatre jours en novembre puis une descente des forces de sécurité chez lui en mai, l’UE avait déjà exprimé des inquiétudes.
À Washington, le département d’État a indiqué que les États-Unis étaient « profondément perturbés » par la mort du militant et dit avoir de « sérieuses inquiétudes concernant les restrictions de la liberté d’expression des Palestiniens par l’Autorité palestinienne et le harcèlement de militants de la société civile et d’associations ».
Dans une déclaration confirmant la mort de Banat, Jibrin al-Bakri, le gouverneur de Hébron a déclaré que « son état de santé s’est détérioré et il a été immédiatement transféré vers l’hôpital gouvernemental de Hébron où les médecins l’ont examiné et où (…) il a été déclaré mort », sans autre précision sur son arrestation ni sur les causes du décès.
#نزار_بنات#nizar_banat
"We die trusting the living who follow to find meaning in our lives … that is the sole method with which we can rebel against this cruel world"Rest In Peace https://t.co/wb1WMQzKWh pic.twitter.com/w70GyLogZx
— Mo, The orange owl ???? (@MoMahfouz5) June 24, 2021
Dans une déclaration au site d’actualité palestinien Quds, la famille du militant a accusé les forces de sécurité palestiniennes de l’avoir « assassiné ».
« À 03H30 du matin, une vingtaine de personnes ont pénétré dans la maison », a raconté à l’AFP son cousin, Hussein Banat. Il a d’abord été frappé avec un objet pointu à la tête alors qu’il dormait, puis plusieurs hommes l’ont battu, a-t-il ajouté, précisant que les forces de sécurité avaient « pointé leurs armes » vers la famille « empêchée de bouger et de parler ». Il a déclaré aux journalistes palestiniens que le « passage à tabac » avait duré huit minutes.
Le Premier ministre de l’Autorité palestinienne Mohammed Shtayyeh a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la mort de Banat.
Peu de temps après l’annonce de sa mort, des centaines de Palestiniens ont manifesté à Ramallah, ainsi qu’à Hébron, brandissant des portraits du militant.
« Abbas, pars ! », « le peuple veut la chute du régime » ou encore « les arrestations ne nous font pas peur », ont-ils scandé.
Alors qu’ils se dirigeaient vers la Mouqataa, le palais présidentiel, les manifestants ont essuyé des tirs de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes des forces de sécurité, a constaté un journaliste de l’AFP.
« On en a assez de ce régime corrompu », a affirmé Sameh Abou Awwad, un protestataire. « Nizar Banat n’hésitait pas à dire la vérité, quoi qu’il en coûte. »
Quelque 84 % des Palestiniens estiment que l’Autorité palestinienne est corrompue, selon une enquête publiée mi-juin par un institut de sondage à Ramallah.
« C’est un jour noir pour l’histoire du peuple palestinien », a estimé Farid al-Atrach, de la Commission indépendante des droits humains, une organisation palestinienne.
Tahani Mustafa, analyste au Crisis Group, un groupe de réflexion international, a déclaré qu’il y avait une « répression croissante » depuis que l’AP a été mise sur la touche et largement tournée en dérision pendant la guerre de Gaza le mois dernier. « À ce stade, l’Autorité palestinienne ne peut vraiment pas se permettre d’être critiquée à quelque niveau que ce soit », a-t-elle déclaré.
Elle a ajouté que la communauté internationale, qui a formé et équipé les forces de sécurité palestiniennes, « doit assumer une certaine responsabilité » et faire pression pour qu’elles rendent des comptes et changent.
Début mai, des hommes armés ont tiré des balles, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes sur la maison de Nizar Banat, où se trouvait sa femme et ses enfants. Il a imputé l’attaque au parti Fatah d’Abbas, qui contrôle les forces de sécurité.
« Les Européens doivent savoir qu’ils financent indirectement cette organisation », a-t-il déclaré en mai à l’Associated Press lors d’une interview dans une maison où il se cachait. « Ils tirent leurs armes en l’air lors des célébrations du Fatah, ils tirent leurs armes en l’air lorsque les dirigeants du Fatah s’affrontent et ils tirent sur les personnes qui s’opposent au Fatah. »
Le militant, actif sur les réseaux sociaux, avait déjà été détenu à de multiples reprises par les forces de sécurité palestiniennes en vertu de la loi controversée de l’AP sur la cybercriminalité, qui permet d’arrêter des personnes pour avoir « calomnié » des institutions gouvernementales en ligne. Les groupes de défense des droits humains affirment que l’AP a abusé de cette pratique pour arrêter arbitrairement des opposants à des fins politiques.
En décembre, Banat a été arrêté par les forces de sécurité de l’AP, qui l’ont détenu au mépris d’une décision de justice pendant plus d’une journée avant de le relâcher sans explication.
Nizar Banat avait été candidat sur une liste d’indépendants aux législatives palestiniennes qui devaient se tenir en mai avant d’être reportées sine die par Mahmoud Abbas. Ses détracteurs, dont Banat, ont accusé Abbas de craindre une défaite face à ses rivaux du Fatah et du groupe terroriste du Hamas.
Dans l’une de ses dernières vidéos avant sa mort, Banat avait critiqué un accord récent entre l’AP et Israël prévoyant le transfert à l’AP de 1,4 million de vaccins Pfizer bientôt périmés qui se trouvaient entre les mains d’Israël. En échange, Ramallah enverrait sa future livraison de nouveaux vaccins à Israël.
Mais vendredi dernier, l’Autorité palestinienne a annulé l’accord après des réactions négatives sur les réseaux sociaux, affirmant que les vaccins devaient expirer à la fin du mois de juin. Israël a déclaré que les vaccins étaient tout à fait utilisables et que la plupart d’entre eux avaient une date d’expiration bien au-delà de la fin du mois.
La mort de Banat a suscité une indignation générale sur les réseaux sociaux palestiniens.
« L’Autorité palestinienne tue Nizar Banat, un militant des droits de l’homme, un critique de Mahmoud Abbas et un candidat au Parlement lors des élections récemment annulées. La seule raison pour laquelle ils l’ont tué est sa critique franche de la corruption de l’Autorité palestinienne », a tweeté Fadi Elsalameen, militant anti-corruption et critique d’Abbas.
La Cisjordanie a connu une recrudescence des arrestations de militants opposés à l’Autorité palestinienne depuis la récente bataille de onze jours entre Israël et le Hamas à Gaza. Les combats ont vu les dirigeants de l’Autorité palestinienne à Ramallah, très peu appréciés, perdre encore plus de soutien, tandis que la popularité de leurs rivaux du Hamas augmentait.
Mardi, les forces de sécurité de l’AP ont arrêté Issa Amro, un autre militant de Hébron, pour des déclarations accusant les dirigeants de Cisjordanie de corruption. Amro a été libéré dans l’attente d’une audience avec le procureur général de l’AP sur son cas.
« J’ai le sentiment que ma vie est en danger comme Nizar Banat. Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui puisse me protéger des attaques des hors-la-loi affiliés à certaines autorités de sécurité », a déclaré Amro. « Malheureusement, il y a un état de chaos sécuritaire depuis l’annulation des élections. »
Selon le groupe de défense juridique palestinien Lawyers for Justice, au moins 23 Palestiniens de Cisjordanie ont été arrêtés par l’AP pour des « raisons politiques » entre mai 2020 et mai 2021. Vingt autres ont été arrêtés pour avoir « exercé leur droit à la liberté d’expression », a précisé le groupe.
Le Hamas, groupe terroriste islamiste rival du parti Fatah d’Abbas et au pouvoir dans l’enclave palestinienne de Gaza, a affirmé dans un communiqué tenir le président de l’AP « pleinement responsable de toutes les conséquences » de la mort du militant.
« Ce crime prémédité reflète les intentions et le comportement de l’Autorité d’Abbas et de ses services de sécurité à l’égard de notre peuple, des militants de l’opposition et de ses opposants politiques », a déclaré le Hamas, qui est en désaccord avec le mouvement Fatah d’Abbas depuis la guerre civile de 2007 entre les deux camps pour le contrôle de Gaza.
Le rival en exil d’Abbas, Mohammad Dahlane, a appelé à « une large réponse populaire et légale pour que les tueurs répondent de leurs actes ».
« Il n’y a pas de mots pour décrire le meurtre de l’éminent activiste national, le martyr, Nizar Banat », a tweeté Dahlane, qui dirige une faction dissidente du Fatah connue sous le nom de Courant de la réforme démocratique.