Malade du covid, le romancier John Irving annule son déplacement en Israël
L'auteur aurait dû participer au Festival des écrivains de Jérusalem et y rédiger le dernier chapitre de son livre "Queen Esther", qui se déroule dans la Jérusalem des années 1980
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Cela fait 40 ans que le romancier John Irving, auteur des best-sellers « Le monde selon Garp » ou « Le règlement de la cidrerie » n’est plus venu en Israël.
Âgé de 82 ans, l’auteur avait prévu de revenir, cette semaine, à l’occasion du 12e Festival des écrivains de Jérusalem et aussi pour travailler au dernier chapitre de son tout dernier roman historique, « Queen Esther », qui se déroule dans la Jérusalem des années 1980.
Hélas, le COVID a contraint Irving à renoncer à son déplacement. Le soir du 28 mai, c’est via Zoom qu’il interviendra aux côtés du cinéaste Ari Folman, et assure qu’il viendra dès que possible.
« J’aime Jérusalem et j’étais vraiment impatient d’y aller pour le Festival international des écrivains de Jérusalem », a déclaré Irving par voie de communiqué, expliquant avoir attrapé le COVID pour la deuxième fois et s’être vu recommander par son médecin et ses proches de se montrer prudent.
« Ce voyage est, pour moi, empreint de beaucoup de nostalgie », confiait-il par téléphone depuis son domicile canadien, la semaine passée. Il s’est souvenu de sa dernière visite, lorsque ses éditeurs juifs européens l’avaient persuadé d’aller en Israël car « Hôtel New Hampshire » était en cours de traduction en hébreu.
« Ils m’avaient dit : ‘Vous devez absolument aller en Israël’ », s’est rappelé Irving.
A l’exception de deux d’entre elles, toutes ces personnes ont disparu depuis longtemps, tout comme le traducteur hébreu avec lequel Irving avait travaillé à ce moment-là.
« J’ai 82 ans, où que j’aille, tout me rappelle des personnes que j’ai connues. C’est un sentiment qui aura toute sa place dans mon roman », a-t-il précisé.
Le Festival aurait dû être « la partie amusante » du déplacement, a confié Irving. Au-delà de ces considérations, il souligne qu’il est vital de venir au moment où Israël affronte le Hamas à Gaza, prie pour la libération de ses otages et pleure les victimes des attaques du Hamas du 7 octobre.
« Je cois que c’est encore plus important au regard de ce qui se passe en ce moment et ce conflit interminable », a expliqué Irving.
Cette année, Irving avait donc prévu de prendre part au Festival des écrivain – du 27 au 30 mai prochains -, de se promener dans Jérusalem et de travailler au dernier chapitre de son roman.
« Je voulais profiter d’être sur place pour mettre la dernière main à l’ultime chapitre de mon roman », dit-il. « J’ai besoin de revenir sur mes pas, là où je suis passé. J’ai besoin de revoir les paysages. »
C’est dans les années 1980 qu’Irving s’était rendu pour la dernière fois en Israël, à l’occasion d’un voyage organisé par ses éditeurs européens, qu’il présente comme des Juifs européens très liés à Israël.
À l’époque, Irving travaillait avec son traducteur hébreu à la traduction de « Hotel New Hampshire », suite à celle de « Le monde selon Garp ». C’est durant ce séjour qu’il avait commencé à prendre des notes pour un prochain roman.
« Je me rappelle tous les endroits où je suis allé, avec qui j’étais, qui a dit quoi, à qui, bref tout ce qui s’est passé », explique Irving.
« Je savais que je reviendrais à Jérusalem pour me rafraîchir la mémoire et retrouver les détails visuels. »
Comme pour tous ses précédents romans, cela fait cinq ou six ans qu’Irving travaille à « Queen Esther ». Lui qui répugne habituellement à parler de l’intrigue de ses ouvrages avant leur publication, dit avoir toujours su qu’il reviendrait à Jérusalem pour le dernier chapitre.
« Je suis très porté sur les fins, bien davantage que sur les débuts. Je ne commence jamais à écrire tant que je ne sais pas comment cela va finir », explique-t-il. « J’ai besoin de revenir sur mes pas, là où je suis passé, parce que je ne prends jamais ni photos ni notes. »
Cela aurait été le bon moment pour venir en Israël.
Irving compare son soutien et ses espoirs envers Israël à ce qu’il ressent pour les États-Unis, où il est né, a grandi et vécu jusqu’à ce que sa femme et lui partent s’installer au Canada et qu’il devienne canadien en 2019.
« Est-ce que je suis pro-Israël ? », s’interroge Irving. « Voyons la question sous un autre angle : si Donald Trump était président, serais-je toujours pro-américain ? Je détestais Ronald Reagan mais je n’ai jamais cessé d’être pro-américain, j’étais juste contre Reagan. »
Même s’il lui arrive d’être en désaccord avec les décisions du gouvernement israélien, il reste un partisan d’Israël, et il n’a pas « d’amis juifs ou israéliens en faveur [du Premier ministre Benjamin] Netanyahu. Les gens que je connais, là-bas, passent beaucoup de temps dans les manifestations ».
Irving estime que le monde est « dans une passe difficile » et que son pays natal, les États-Unis, n’ont jamais été aussi divisés, en « recul » constant.
Il évoque son livre de 1985, « Le règlement de la cidrerie », roman historique qui parle de l’époque où l’avortement était illégal et dangereux. Irving explique ne pas avoir écrit ce livre pour son côté pittoresque, mais pour dire que cela pourrait revenir, avec tous les dangers que cela comporte.
« Mon pays natal n’aurait pas pu régresser plus qu’il ne l’a fait sur le plan de la politique sexuelle. Pourtant, on a le sentiment que cela empire chaque jour », relève-t-il. « Je ne vais pas me lancer dans de grandes prophéties, mais je trouve que ce monde est de plus en plus stupide. »
Plusieurs fois récompensé pour son œuvre, il explique que son intérêt pour la société et la culture qui l’ont vu grandir est né il y a de cela des années, à l’époque où, étudiant âgé d’une vingtaine d’années, il vivait à Vienne.
« J’ai commencé à voir plus clairement mon pays natal lorsque je vivais ailleurs », se souvient-il. « Je l’ai regardé depuis le point de vue d’un autre pays. »
C’est l’une des raisons pour lesquelles il aime vivre au Canada, où sa femme, née au Canada, et lui se sont installés, explique Irving. « J’ai toujours aimé le point de vue que le Canada a sur les États-Unis. Je suis heureux d’y vivre. »
Aujourd’hui âgé de 82 ans, Irving a plus d’une fois dit qu’il avait fini d’écrire de longs romans. C’est peut-être difficile pour lui, car cet écrivain loquace parle comme il écrit, en faisant de longues phrases, parfois décousues, mais toujours pleines d’idées.
Il estime que les œuvres de fiction littéraire ont tendance à se raccourcir, depuis quelques années. Son dernier opus, « The Last Chairlift », qui n’a pas reçu de bonnes critiques, est sorti à un moment peu favorable pour la fiction longue.
« Queen Esther » devrait être un roman « de longueur normale, conforme aux canons d’aujourd’hui », juge Irving, pas une nouvelle ni un court roman. Mais « pour mes lecteurs, cela tiendra du roman court ». Les notes prises pour de prochains livres sont encore plus courtes que pour « Queen Esther ».
Les critiques mitigées ne dérangent pas ce grand habitué des cercles littéraires.
« Je pense qu’aucun de mes romans n’a été épargné par des critiques mitigées », dit Irving. « Mes romans dérangent, socialement parlant, parfois politiquement aussi. Mais ils comportent une certaine dose de provocation sur le plan social. Je n’ai jamais été le chouchou des critiques. Ce n’est pas pour eux que j’écris. »