Malgré le danger, les Juifs ukrainiens se préparent à célébrer Pessah en public
En dépit des violences, des couvre-feux et des difficultés d’approvisionnement, qui compliquent la préparation des fêtes, des milliers de Juifs se préparent à célébrer Pessah
Dans le vacarme des sirènes des raids aériens à Odessa, Svetlana Niselevitch, survivante juive ukrainienne de la Shoah âgée de 84 ans, se prépare à prendre part à un seder de Pessah pour la première fois de sa vie.
« Nous ne respections pas les traditions juives dans ma famille », a déclaré à la JTA la poétesse née à Kharkiv, ajoutant que l’invasion russe, ainsi que la pandémie de COVID-19, l’avaient convaincue que « chaque occasion de faire vivre le judaïsme était importante ».
Niselevitch, qui célébrera Pessah lors d’un événement organisé par l’American Jewish Joint Distribution Committee (JDC) fait partie de ces milliers de Juifs ukrainiens qui se préparent à célébrer Pessah lors de l’un des nombreux seders de groupe organisés en Ukraine et ailleurs, pour les réfugiés juifs ukrainiens.
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Les couvre-feux, les difficultés d’approvisionnement et les dangers de la guerre que connaissent les Juifs ukrainiens compliquent les préparatifs pour Pessah, fête qui célèbre la liberté et la sécurité retrouvée du peuple juif.
Le fait que tant de Juifs se préparent à Pessah témoigne à la fois de l’efficacité de l’action humanitaire mondiale en faveur des Juifs ukrainiens et de la résilience du judaïsme, dans une région qui porte encore l’empreinte de la Shoah et de la répression communiste.
Des milliers d’Ukrainiens ont d’ores et déjà péri dans le conflit et des millions ont fui leur pays, principalement à destination de pays européens voisins ou, pour les Juifs et les membres de leur famille, en Israël.
Des millions d’autres ont grossi les rangs des populations déplacées au sein de leur propre pays, à la recherche d’un refuge à l’abri des bombardements russes.
Pour les Juifs encore présents en Ukraine, vouloir participer à de grands rassemblements dans de telles circonstances peut sembler contre-intuitif, d’autant plus que la pandémie fait toujours rage en Europe de l’Est.
« C’est en fait complètement logique », assure Gershon Birenboim, un enseignant juif impliqué dans la préparation d’un seder de groupe pour les réfugiés juifs d’Odessa, Kharkiv, Kiev et au-delà, qui séjournent dans une station balnéaire d’Irshava, dans l’ouest de l’Ukraine. « Lorsque vous fuyez la guerre, que vous êtes séparé de votre famille, que vous avez tout abandonné, c’est à ce moment-là que vous vous raccrochez aux choses importantes », explique-t-il.
Habad et JDC organisent des seders de groupe dans toute l’Europe de l’Est depuis des décennies, parfois dans des circonstances géopolitiques difficiles. D’autres groupes, tels que l’agence pour les réfugiés juifs HIAS, vont au-delà de leur mission traditionnelle et organisent également des événements au moment de Pessah.
Selon Motti Seligson, directeur des relations avec les médias du mouvement Habad-Loubavitch, une vingtaine, au moins, de villes en Ukraine offriront des seders de groupe dirigés par Habad, comme de coutume.
À lui seul, le mouvement Habad a collecté pas moins de 20 tonnes de matzot en Ukraine malgré la fermeture des frontières, les retards en douane et autres défaillances de la chaîne d’approvisionnement liées à l’invasion russe.
Il y a d’autres difficultés. La tradition de Pessah veut que l’on évoque l’histoire de l’exode d’Égypte jusque tard dans la nuit, mais la plupart des villes en Ukraine ont mis en place des couvre-feux. Aussi, certains seders, dont un prévu pour 300 invités à Kiev, aurot lieu dans des hôtels où les participants pourront dormir.
Pour les personnes dans l’impossibilité de se déplacer ou effrayées à l’idée d’assister à des seders en personne, le JDC a mis en place un seder virtuel en ligne. L’événement s’appuiera sur la technologie et les techniques perfectionnées par l’organisation pendant la COVID pour rompre l’isolement de milliers de personnes âgées sans les exposer à des risques, et financées par l’UJA-Federation of New York, les Fédérations juives d’Amérique du Nord et la Claims Conference.
La fédération de New York a déclaré avoir envoyé plus de 20 000 kits de seder en Ukraine avant les fêtes.
Niselevitch, la poétesse d’Odessa, a opté pour la célébration en ligne, qui aura lieu avant le coucher du soleil afin de ne pas violer les interdits concernant l’utilisation de l’électricité au moment de Pessah.
« Nous célébrons les fêtes juives à la maison comme nous le pouvons et comme nous savons le faire : ce n’est sans doute pas parfait », a-t-elle précisé.
Evgenia Malikova, retraitée du secteur humanitaire de Kiev âgée de 67 ans qui a fui le mois dernier pour la Belgique, a assisté à quelques seders, mais finalement très peu.
« Mon père était Juif, pas ma mère. Je ne suis pas très profondément immergée dans le judaïsme, bien que j’y sois attachée », a-t-elle déclaré à la JTA.
À Bruxelles, elle a décidé de rejoindre le seder organisé par HIAS au Centre communautaire juif européen. Avec une fille et deux petits-enfants à Berlin, elle se sent « un peu démunie » en matière de célébration des traditions juives, mais ce qui l’a poussée à vouloir assister à un seder, c’est « la similitude symbolique de l’exode [des Hébreux d’Égypte], qui me rappelle ce qui se passe en ce moment-même », a-t-elle ajouté.
Selon le rabbin Zushe Abelsky, directeur du Habad en Moldavie, de nombreux réfugiés ukrainiens souhaitent participer à un seder et recherchent la compagnie de leurs compatriotes juifs. La Moldavie, qui a accueilli des centaines de milliers d’Ukrainiens et parmi eux de nombreux Juifs, compterait pas moins de 43 000 Juifs.
La demande de seders à Chisinau, capitale de la Moldavie, est si forte qu’Abelsky et son personnel ont dû ouvrir la synagogue centrale de Chisinau, actuellement fermée pour rénovations. La communauté locale, qui compte environ 1 900 personnes, selon une étude de 2020, avait prévu de célébrer Pessah dans un autre lieu, plus petit, cette année.
Le mouvement Habad de Moldavie, qui s’approvisionne habituellement en matzot et autres fournitures de Pessah des mois à l’avance, ne les a reçues que cette semaine.
« Nous cherchions la matza, presque une par une », a déclaré Abelsky. La communauté juive de Moldavie, qui dépend en temps normal de l’Ukraine pour ces approvisionnements a dû les importer d’Israël et de Hongrie cette année, avec l’aide de l’International Fellowship of Christians and Jews.
Beaucoup d’autres mouvements ont envoyé des fournitures en Europe de l’Est dans la perspective de Pessah. L’Union orthodoxe, par exemple, a déclaré avoir envoyé plus de 200 tonnes de nourriture et fournitures médicales, dont 32 tonnes de matzah, 50 tonnes de viande et de poulet casher et près de 55 000 litres de jus de raisin.
Outre la Moldavie, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie font partie des pays d’Europe de l’Est où les communautés juives organisent des seders publics pour les réfugiés, avec des haggadot en langue russe contenant le texte du seder.
En Pologne, World Central Kitchen, le mouvement humanitaire d’aide alimentaire dirigé par le chef Jose Andres, servira 15 000 repas casher par jour pour Pessah aux réfugiés juifs, selon la fédération de New York.
En Hongrie, à la demande des dirigeants juifs locaux, le gouvernement a réservé un centre d’hébergement pour réfugiés qui a pu être rendu casher pour Pessah. Ils ont choisi la jolie station balnéaire de Őszöd, à une centaine de kilomètres de Budapest, où 200 Juifs ukrainiens séjournaient déjà. (C’est dans cette station qu’un ex-Premier ministre avait prononcé en 2006 un célèbre discours accusant son propre parti – le parti socialiste – de corruption. Ce discours aurait grandement contribué à l’arrivée au pouvoir du parti de droite Fidesz, du Premier ministre Viktor Orban.)
Les milliers de Juifs arrivés en Europe occidentale, en particulier en Allemagne et en Autriche, pourront également bénéficier des seders spécialement conçus pour eux, à l’instar de celui du campus Lauder Habad à Vienne.
En Israël, où des milliers d’Ukrainiens et de Russes se sont installés à cause de la guerre, l’Agence juive, Habad et certaines municipalités, telles que Nof Hagalil, organiseront également des seders publics pour les réfugiés, souvent dans les hôtels qui les hébergent.
À Chisinau, Abelsky, père de famille de 55 ans, mari de Chayah avec laquelle il a eu quatre enfants, s’apprête à prononcer quelques mots aux centaines d’Ukrainiens qui ont rejoint sa communauté, au moins temporairement, et qui vont prendre part aux trois seders publics.
« Les Israélites ont commencé à fuir l’Égypte sous le couvert de l’obscurité, la nuit », a-t-il rappelé à la JTA. « Mais alors le soleil s’est levé et un miracle s’est produit », a-t-il dit, faisant référence à l’histoire de la séparation de la mer Rouge.
« La même chose se produira pour nos réfugiés : c’est le milieu de la nuit pour eux maintenant, mais bientôt le soleil se lèvera et un chemin vers la sécurité s’ouvrira », a-t-il déclaré. « Ils reconstruiront une vie meilleure que celle qu’ils ont laissée derrière eux. »
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