Manifestations : Menaces de désobéissance civile en cas de reprise de la réforme
« La résistance sera plus forte » si le gouvernement tente de faire passer son projet de loi sur la nomination des juges, assurent les organisateurs des manifestations
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Les organisateurs des manifestations contre la réforme judiciaire agitent la menace de nouvelles actions de désobéissance civile si les députés tentaient de faire passer le projet de loi, signe des doutes que soulèvent les pourparlers tenus pour dégager un compromis.
Les organisateurs se disent très sceptiques envers les négociations entre Yesh Atid et Kakhol lavan d’un côté et la coalition au pouvoir de l’autre, sous les auspices du président Isaac Herzog. Ils craignent que ce ne soit au final qu’une ruse destinée à éteindre le mouvement de manifestations et faire discrètement passer le projet de loi.
Les manifestations de grande ampleur, qui avaient marqué une pause à l’occasion des fêtes de Pessah, vont reprendre maintenant que Pessah est terminé, estiment les organisateurs. Des manifestations sont d’ailleurs programmées à l’échelle du pays samedi soir, pour ce qui serait le 15e samedi consécutif d’action.
De plus petites manifestations, devant le domicile de politiciens clés de la coalition et de l’opposition, parmi lesquels le chef de Kakhol lavan Benny Gantz, auront lieu vendredi.
Fin mars, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a accepté le principe d’une pause dans le processus législatif de ce projet de loi destiné à donner au gouvernement un contrôle quasi total sur l’essentiel des nominations judiciaires à la Cour suprême et à d’autres tribunaux, ainsi que sur d’autres parties du paquet judiciaire.
La suspension du processus pour une durée d’un mois a été annoncée après des semaines de manifestations toujours plus suivies, qui ont pratiquement paralysé le pays.
Les manifestants craignent que le projet de loi sur les nominations judiciaires, qui avait fait l’objet d’une deuxième lecture et d’un vote à la Knesset avant l’annonce du gel, fasse l’objet d’un tout dernier vote, en session plénière, lors de la reprises des travaux parlementaires suite aux vacances de Pessah, à la fin de ce mois.
Les partisans des projets de réforme du gouvernement assurent que la réforme est nécessaire pour réfréner un activisme judiciaire aux motivations politiques.
Ziv Keinan, l’un des membres fondateurs de l’organisation Kumi Israel (Arise Israel), a déclaré jeudi que les députés, loin de négocier de bonne foi pour parvenir à un compromis, avaient en fait l’intention de faire passer le projet de loi en toute discrétion, ce qui rendait les manifestations « sur le terrain » plus nécessaires que jamais pour « faire passer le message que nous ne permettrons pas qu’ils fassent de notre démocratie une dictature ».
« Les gens seront dans les rues pour défendre la démocratie à tout prix », a déclaré Keinan, dont l’organisation a été déterminante dans la mise sur pied des manifestations antigouvernementales.
« Nous disposons d’un puissant arsenal d’outils [de désobéissance civile] avec lequel nous ferons monter d’un cran le mouvement, si nécessaire. »
Keinan n’a pas souhaité s’étendre sur ces nouvelles actions de désobéissance civile, se limitant à dire : « Jusqu’à présent, on n’a vu que la pointe de l’iceberg. »
L’une des principales formes de désobéissance civile non violente utilisée jusqu’à présent a constitué à bloquer les principales autoroutes et carrefours du pays, ce qui a provoqué de graves embouteillages et des affrontements avec la police, qui a fait usage de canons à eau et de grenades assourdissantes pour disperser les manifestants.
Josh Drill, porte-parole international de ce que l’on appelle le Mouvement des parapluies contre la dictature en Israël, a également fait savoir que les manifestations et la « résistance » s’intensifieraient si la coalition tentait de faire passer malgré tout son projet de réforme judiciaire.
« Si le Premier ministre Benjamin Netanyahu tente à nouveau de faire adopter ce projet de loi, nous serons là, mieux préparés et organisés que jamais, et la résistance sera plus forte », a déclaré Drill.
Comme Keinan, Drill n’a pas souhaité révéler quelle forme prendrait la désobéissance civile, mails il a tenu à préciser qu’il s’agirait d’actions non violentes. Il a ajouté que si la loi était finalement adoptée, il y aurait « une révolte en Israël », que « le pays ne fonctionnerait pas et que Netanyahu n’aurait pas de pays à gouverner ».
« Nous avons dit qu’il y aurait des actes de résistance, que nous gardons secrets pour l’heure, durant la semaine prévue pour l’adoption du projet de loi. Nous avons dans notre manche bien d’autres projets de désobéissance civile », a-t-il ajouté.
« À la seconde où le gouvernement fera un geste pour mettre en œuvre son coup d’État judiciaire – et cela passe par les déclarations de ministres –, les manifestations s’intensifieront. »
Drill estime que les négociations entre la coalition et l’opposition sont « de la poudre aux yeux » jetée par Netanyahu pour démobiliser le mouvement de manifestations et « l’endormir », afin de faire passer ses réformes.
Les organisateurs des manifestations ont fait en sorte de maintenir l’élan chaque semaine, que ce soit à Tel Aviv ou ailleurs, afin d’éviter une certaine forme d’engourdissement, a expliqué Drill.
« Sans ces mobilisations hebdomadaires, la population et les médias oublieraient [la réforme] : il est donc crucial que les manifestations se poursuivent », a-t-il ajouté.
Drill a évoqué les manifestations spontanées organisées suite aux propos de Netanyahu, annonçant son intention de limoger son ministre de la Défense Yoav Gallant, le 26 mars dernier. Il y voit une preuve de l’efficacité et de la rapidité avec laquelle les manifestants se mobilisent désormais.
Il a déclaré qu’un réseau de groupes WhatsApp et Telegram avait été utilisé pour faire descendre la population dans la rue, et que ces outils seraient à nouveau activés en cas de reprise du processus législatif.
Shy Engelberg, figure éminente des manifestants du secteur de la Tech, a exprimé le même scepticisme quant à la possibilité qu’un accord puisse être conclu avec la coalition dirigée par Netanyahu pour préserver les valeurs démocratiques.
« Les gens qui veulent la dictature ne reculent devant rien », a déclaré Engelberg.
« Je ne pense pas que ce gouvernement puisse tenir sans ces réformes, avec tous les extrémistes de la coalition, et parce que c’est ce que les extrémistes veulent pour avoir plus de pouvoir. »
Engelberg et Drill étaient extrêmement réticents à dire à quoi pourrait ressembler un compromis acceptable.
Vendredi, plusieurs manifestations doivent avoir lieu devant le domicile de politiciens de la coalition et de l’opposition considérés par le mouvement de manifestation comme essentiels pour mettre un terme au projet de loi.
Une manifestation aura lieu devant le domicile de Gantz à Rosh Haayin. Des avis ont été publiés sur les réseaux sociaux pour inviter les manifestants à se joindre à cette action, disant que l’ex-ministre de la Défense « n’avait pas de mandat pour transiger sur la démocratie » et lui demandant de ne pas être « le maillon faible ».
D’autres manifestations auront lieu devant le domicile du président de la Knesset, Amir Ohana, ainsi que de six ministres, parmi lesquels le ministre de l’Economie Nir Barkat, le ministre de l’Agriculture Avi Dichter, le ministre de l’Education Yoav Kisch, le ministre de la Justice Yariv Levin, la ministre de la Protection de l’environnement Idit Silman et le ministre des Affaires de la diaspora et de l’Égalité sociale Amichai Chikli.
Une grande manifestation aura lieu pour la quinzième semaine consécutive rue Kaplan, à Tel Aviv, en plus d’autres manifestations, dans 150 villes de tout le pays.
Prendront la parole à la manifestation de Tel Aviv la célèbre leader de la contestation Shikma Bressler, ainsi que l’ex-chef d’état-major de Tsahal, Dan Halutz.