« Mask Singer » et la curieuse nature de la célébrité en Israël
Pourquoi d'anciens députés, des responsables de la santé et même d'anciens repris de justice peuplent-ils les émissions de télé-réalité au sein de l'État juif ?

La seconde saison de l’émission Mask Singer (« Le Chanteur masqué ») s’est achevée d’une manière qui n’a pas été particulièrement spectaculaire quand le « Gorille » a remporté la victoire et qu’il s’est démasqué, laissant apparaître le visage du chanteur Shai Gabso.
Un chanteur remportant un concours de chant n’est pas réellement une surprise. Le véritable choc était arrivé plus tôt dans la saison, quand le « Pois » s’était avéré être Itamar Grotto, ancien directeur-adjoint du ministère de la Santé.
Tandis que ce sont en majorité des people de catégorie B (voire C) – chanteurs, acteurs, athlètes et autres personnalités du milieu de l’industrie des divertissements – qui, comme on pouvait s’y attendre, ont occupé l’écran pendant la plus grande partie de la saison, il y a eu quelques exceptions notables et inattendues dans le casting. Parmi elles, l’ex-députée à la Knesset Stav Shaffir déguisée en coccinelle et Nehemia Shtrasler, éditorialiste et commentateur économique au quotidien Haaretz, qui se cachait sous le costume du « porc-épic ».
Des personnalités en quête de célébrité (supplémentaire) dans une émission de télé-réalité, ce n’est pas une nouveauté, me diriez-vous. Mais la présence de figures si improbables dans l’un des programmes les plus regardés en Israël souligne un courant sous-jacent plus profond dans la société israélienne où la notion même de célébrité reflète ce que consomment les Israéliens avec toujours plus d’appétit de manière quotidienne : les informations. L’obsession des Israéliens pour les informations a donné naissance à un genre nouveau de célébrités – ou au moins à une définition plus élargie de cette dernière.
Sans la COVID, il est probable que Grotto n’aurait jamais été choisi pour participer à une émission de télé-réalité diffusée en prime-time. Mais la pandémie lui a ouvert l’accès aux plateaux de télévision et aux programmes d’information quotidiens – et, ce faisant, elle lui a permis d’entrer dans tous les foyers israéliens, qui voient dorénavant en lui un visage familier.
Les informations de la soirée figurent parmi les programmes les plus regardés du pays et l’information, de manière plus générale, domine le paysage audiovisuel avec presque sept heures par jour. Et les personnalités, les visages aperçus lors de ces émissions ont pénétré dans l’air du temps israélien – rendant certaines de ces personnalités aussi célèbres que les acteurs, les chanteurs, les artistes qui ont tendance à peupler les programmes de télé-réalité.

Yonit Levi, la présentatrice de l’émission d’information la plus regardée au sein de l’État juif – et qui, s’avère-t-il, est l’épouse de l’animateur Ido Rosenblum du « Chanteur masqué », ce qui prouve combien l’industrie du divertissement est interconnectée en Israël – est l’une des femmes les plus reconnues d’Israël.
Avec seulement trois canaux de diffusion en Israël – dont deux commerciaux – les Israéliens sont, en quelque sorte, un public captif. « Le Chanteur masqué » commence dès que se terminent les informations du soir sur Keshet 12, et « Survivor » débute une fois que s’achève le programme d’actualité en prime-time. Et les deux chaînes commerciales font une – énorme – publicité autour de leurs émissions pendant les informations de l’après-midi et de la soirée – ce qui rend naturel le fait de voir certains des mêmes visages réapparaître à l’écran dans ces deux différentes circonstances.

Si tous les visages des membres de la Knesset, passés et présents, ne sont pas forcément familiers, certains de ceux qui ont pu faire les gros titres, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons, sont devenus un vivier idéal pour la télé-réalité.
La surprise créée par l’apparition de Shaffir, amie de la chanteuse Keren Ann, sur le plateau du « Chanteur Masqué » a plus été entraînée par ses talents de chanteuse – elle a démarré neuvième et elle a déconcerté les juges par son identité – que par la probabilité de sa participation à l’émission.
Oren Hazan, ex-député du Likud déchu – plus taillé, semble-t-il, pour la télé-réalité que pour la représentation parlementaire – avait pris part et gagné la dernière saison de « Big Brother VIP. »
Les anciens députés du Likud Nava Boker et Inbal Gavrieli ont vécu l’aventure de « Survivor VIP » et la législatrice Pnina Rosenblum – qui avait fait une apparition éclair à la Knesset – a pris part à la première saison du « Chanteur Masqué », l’année dernière, qui avait également compris les présentateurs des journaux télévisés Lucy Aharish et Gadi Sukenik.

De son côté, l’ancien député Travailliste Eitan Cabel était apparu sur le petit écran lors de la saison VIP – plus distinguée – de « My Kitchen Rules ».
Certains responsables élus, de leur côté, n’attendent pas la fin de leur mandat pour s’essayer à la télé-réalité. Merav Ben-Ari, législatrice de Yesh Atid, figure ainsi au générique de l’émission de télé-réalité consacrée au football « Goalstar » – qui a été tournée lorsqu’elle n’était pas à la Knesset.
L’actuel ministre du Tourisme actuel, Yoel Razvozov, ancien judoka olympique, devait participer à l’émission « Ninja Israel » quand il était député, mais il s’était froissé un muscle et il s’était en conséquence retiré du casting.
Le député du Likud et ancien ministre David « Dudi » Amsalem s’est pour sa part illustré dans une saison de « Master Chef VIP » qui n’a pas encore été diffusée à ce jour.

Mais la façon dont d’autres Israéliens ont su exploiter un quart d’heure d’infamie en le transformant en monnaie sonnante et trébuchante grâce à une participation à une émission de télé-réalité est peut-être encore plus choquante.
Shula Zaken – ancienne conseillère de l’ex-Premier ministre Ehud Olmert incarcérée suite au même scandale de corruption qui avait entraîné la chute de son patron – a participé jusqu’à présent à deux programmes de télé-réalité depuis sa libération : « Goalstar » et « Big Brother ».

Meni Naftali – l’ancien manager de la résidence du Premier ministre pendant le mandat de Benjamin Netanyahu et qui est devenu par la suite l’un de ses critiques les plus féroces et qui a manqué de devenir témoin de l’accusation – a pris part à l’aventure de « Survivor VIP. »
Azzam Azzam, ce Druze israélien qui avait été condamné en Égypte pour espionnage en faveur d’Israël et emprisonné là-bas pendant huit ans avant d’être libéré en 2004, a lui aussi participé à « Survivor VIP. »
Et – c’est l’un des exemples les plus choquants – Orly Revivo, qui avait été connue pendant des années sous la lettre « Aleph », qui était la principale plaignante dans le dossier ouvert contre l’ancien président Moshe Katsav qui avait été finalement condamné pour l’avoir violée, est apparue dans « Big Brother VIP. »
Il n’est pas surprenant que de telles personnalités acceptent – ou qu’elles se mettent en quête – des opportunités offertes par la télé-réalité. Après être devenues célèbres, après avoir accédé à la notoriété, il peut être souvent difficile de retrouver un travail stable à cause du regard du public.
Mais les chaînes de télévision prennent le risque de faire appel à ces mêmes personnalités parce que leurs visages sont précisément familiers aux téléspectateurs.

Tous les soirs, plus de 25 % des foyers israéliens dotés d’une télévision regardent les informations. Avec les guerres, les élections, les attentats terroristes et les éternels scandales politiques, de nombreux Israéliens ont pris l’habitude d’être scotchés devant le petit écran. Et dans un pays si petit, une information qui serait purement locale n’existe presque pas. L’information la plus importante du jour à Eilat est probablement aussi la nouvelle majeure de la journée à Jérusalem, à Tel Aviv et à Kiryat Shmona.
C’est vrai, je pourrais me brancher sur la télé-réalité américaine pour le divertissement – mais en Israël, la télé-réalité a un élément géographique. Je ne peux pas regarder « Mariés au Premier regard » sans apprendre dans la foulée quel est le participant qui a fréquenté le même lycée qu’un ami, et quel autre a connu l’épouse de mon cousin. Même moi, qui suis immigrante, j’ai retrouvé à un moment ou à un autre un visage familier pendant les auditions de « Master Chef » ou de « La Nouvelle star » et, pour ceux qui sont nés ou qui ont grandi en Israël, cette probabilité est encore plus forte.
La dynamique de l’industrie israélienne du divertissement – appelée souvent « le marais » – est fluide. Avec moins de bassin de population que dans les pays occidentaux, il semble qu’Israël possède quelques célébrités, ou qu’environ 10 % des Israéliens sont « célèbres ». Les stars de la télé-réalité deviennent des célébrités, les célébrités s’affichent dans les télé-réalités et les téléspectateurs continuent à dévorer toutes les informations disponibles à leur sujet.
Mais ne faisons pas toutefois l’erreur de les prendre pour des modèles à suivre.
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