Plaçant les otages en son cœur, un musée de Tel Aviv évoque la réactivité en temps de guerre
Ses objets de valeur ont quitté les entrepôts et de nouvelles expositions sont programmées - mais le musée d'art de Tel Aviv, au centre de la lutte contre les otages, se prépare toujours à la guerre, quelle qu'elle soit
Dans la matinée du 7 octobre 2023 – il était tôt – Tania Coen-Uzzielli, la directrice du musée d’art de Tel Aviv, était en train de rentrer chez elle, en Israël, après avoir assisté à une conférence sur le mécénat culturel à Florence, en Italie – son pays de naissance.
Tandis qu’elle lisait avec effarement les informations qui filtraient, petit à petit, des atrocités commises dans le sud d’Israël, qu’elle découvrait l’ampleur des tirs de roquette qui prenaient pour cible la plus grande partie du pays, les employés du musée, de leur côté, commençaient à démonter l’exposition consacrée à Alberto Giacometti, une rétrospective des travaux du sculpteur suisse qui était alors présentée dans l’annexe du musée. Le personnel avait passé un appel inquiet à la fondation française propriétaire de la collection pour s’enquérir de la meilleure manière de ramener les œuvres à Paris dans les meilleurs délais.
Dès le lendemain, le personnel du musée s’était résigné à ranger d’autres œuvres d’art de grande valeur dans des réserves souterraines.
L’institution avait fermé ses portes dans le contexte d’agitations qui avait suivi le pogrom du 7 octobre. Les employés n’avaient toutefois pas chômé, avec la conviction que le musée pouvait venir en aide aux milliers d’évacués en provenance du sud du pays qui affluaient à Tel Aviv, en quête de sécurité face au traumatisme et à la terreur éprouvée les jours précédents – et à la recherche également de distractions.
« Nous avons réfléchi à notre mission artistique et à notre rôle dans la communauté », raconte Coen-Uzzielli, qui ajoute que « nous avons commencé à faire venir ici les déplacés ».
Dans les deux semaines qui avaient suivi, la place qui se trouve à l’extérieur du musée, l’espace de Menashe Kadishman et d’Henry Moore, était devenu la Place des Otages – un espace extérieur conçu pour devenir un lieu de réflexion et de rassemblement pour les familles d’otages et leurs sympathisants.

L’organisation qui s’était formée en soutien aux familles d’otages avait demandé à pouvoir utiliser la place du musée, qui se trouve juste en face du ministère de la Défense – là où des décisions déterminantes sont prises concernant le sort des captifs depuis le début de la guerre menée à Gaza.
L’endroit, devenu le cœur des rassemblements et du mouvement de protestation en faveur de la remise en liberté des otages et des rassemblements, devait initialement être un espace accueillant des installations permettant d’attirer l’attention du public sur la situation critique qui est celle des captifs et de leurs familles.
La toute première installation, deux semaines après le pogrom, représentait une longue table de Shabbat dressée pour les otages, avec des chaises hautes, des tasses pour les enfants et des roses blanches.
Coen-Uzzielli avait recommandé de placer la table de manière à ce qu’elle donne sur les portes d’entrée du musée – mais elle avait par ailleurs cédé toutes les décisions prises par le Forum des familles d’otages et de portés-disparus, alors naissant, concernant l’utilisation de la place.
« Cela nous a amenés à réfléchir à notre rôle en tant qu’établissement culturel public et cela nous a permis de réaliser ce que nous pouvions et ce que nous ne pouvions pas faire pour eux », explique-t-elle. « Son installation, sur la place du musée, a donné une certaine tonalité – mais cette place n’est pas à nous, même si nous sommes le musée ».
La relation entre l’institution culturelle et les familles d’otages s’est maintenue au cours des 15 derniers mois et elle continuera tant qu’il y aura encore des otages à Gaza, note Coen-Uzzielli, qui est directrice du musée depuis 2019 et qui était auparavant conservatrice au Musée d’Israël à Jérusalem.
Plus qu’une simple offre de service, la mise à disposition de la place en faveur des familles d’otages a changé l’institution culturelle, renforçant sa détermination à rester un moteur, une boussole dans le monde de l’art israélien.

Le musée – comme tous les autres établissements du même type du pays – était resté fermé pendant les six premières semaines de la guerre, proposant toutefois des conférences consacrées à l’art sur Zoom et des activités pour les enfants évacués.
Lorsqu’il avait finalement rouvert ses portes au mois de novembre, il avait réorganisé ses expositions et sa programmation pour mieux s’adapter à la situation.
À ce moment-là, la place des Otages avait été complètement transformée – avec des chapiteaux qui avaient été installés pour accueillir des rassemblements et des débats ; des objets de toutes sortes ornés du slogan Ramenez-les à la maison maintenant » proposés à la vente, et de petites scènes construites pour les discours et les prises de parole impromptues des membres des familles d’otages.
Au cours de ces premiers mois, le musée avait offert aux organisateurs des espaces de stockage et il avait permis aux personnes présentes d’utiliser ses toilettes – en plus de ses abris antiaériens, lorsque les sirènes étaient activées – lors des rassemblements auxquels des milliers d’Israéliens prenaient part, le samedi soir.
Le hall de l’institution accueille dorénavant, le vendredi matin, les cours de yoga organisés en signe de soutien à l’otage Carmel Gat – elle avait finalement été tuée par ses geôliers du Hamas, à la fin du mois d’août 2024 – ainsi que l’office du Shabbat, le vendredi soir, qui est organisé par certains kibboutzim qui avaient payé un tribut particulièrement lourd lors du pogrom du 7 octobre.

Des visites thérapeutiques et des réunions au musée ont finalement été organisées pour les personnes touchées par le deuil, pour les blessés et pour les survivants de la rave Supernova, qui avait eu lieu dans le désert.
« Un musée peut prendre la température », explique Coen-Uzzielli. « C’est son super pouvoir : être réactif et résistant. Il doit affronter ce qui se passe, ne pas se contenter de fermer ses portes et de les fermer sur le monde ».
Le musée doit donc constamment trouver un équilibre entre sa mission – qui est d’offrir au public un accès à l’art – et les souffrances profondes qui s’expriment juste à l’extérieur de ses portes.
Les tirs de roquette se sont largement apaisés, ces derniers mois. De nombreuses œuvres d’art ont récemment quitté les entrepôts et elles ont retrouvé leur place légitime sur les murs de la galerie.
Un miroir de la société
Dans le même temps, le musée – comme de nombreux autres musées israéliens – a dû faire face aux réactions du monde de l’art international face au 7 octobre et face à la guerre qui a suivi à Gaza.
Coen Uzzielli a été l’une des nombreuses directrices israéliennes de musées à répondre publiquement à une lettre ouverte qui avait été diffusée par Artforum quelques semaines après le pogrom du Hamas – un courrier qui appelait à mettre un terme au « silence institutionnel qui entoure la crise humanitaire actuelle à laquelle sont confrontés 2,3 millions de Palestiniens dans la bande de Gaza, une bande occupée et assiégée ».
Elle a découvert que tous les projets internationaux alors en cours, que toutes les collaborations avec les institutions artistiques israéliennes étaient suspendus – d’abord à cause de la guerre, puis en raison des boycotts culturels pro-palestiniens dont l’objectif était d’isoler l’État juif.

« On nous a écrit pour nous dire : ‘Nous ne voulons pas être en contact avec vous’ et nous avons compris qu’il fallait trouver une solution à long-terme », explique Tania Coen-Uzzielli.
Sans prêts internationaux, avec de nombreuses pièces de valeur entreposées, le personnel du musée a dû faire preuve d’encore plus de créativité.
Le musée a mis sur pied l’exposition « Saisir un instant fugace : 150 ans d’impressionnisme », qui a été présentée au public du mois de juillet au mois de décembre, avec des œuvres majeures qui ont été prêtées par des collectionneurs juifs amis du musée, mettant l’accent sur les artistes impressionnistes qui avaient travaillé sur des œuvres après les deux guerres mondiales – un angle qui a trouvé un écho auprès des visiteurs, selon Coen-Uzzielli.
Il y a eu aussi « Cascade », de l’artiste éclairagiste Muhammad Abo Salme – une installation composée de milliers de mètres de chaînes de perles métalliques du type de celles utilisées pour les plaques d’identité militaires, du même type que celui qui est utilisé en signe de solidarité avec les otages.
Abo Salme est un artiste bédouin qui a vécu au kibboutz Kfar Aza, l’une des communautés les plus durement touchées dans le sud – et l’homme a voulu montrer quelque chose de son lien, en tant qu’Arabe, avec les tragédies de ces derniers mois.
L’expression d’une empathie aveugle à l’égard de la souffrance juive a parfois perturbé les visiteurs arabes du musée, confie la directrice qui évoque toutefois avec fierté le programme qui est encore proposé par le musée aux écoles arabophones.
« Un musée peut contenir tous ces aspects », explique Coen-Uzzielli. « La société israélienne les contient et le musée – qui peut être aussi un lieu complexe – est une sorte de miroir de la société ».

Les musées sont censés susciter des questionnements sans offrir nécessairement de réponses, ajoute-t-elle.
« Nous sommes devenus différents depuis le 7 octobre », déclare la conservatrice. « Parfois, nous voyons les choses différemment et nous sommes plus sensibles à ce qui peut heurter les gens, à ce qui peut les mettre en colère ».
Une exposition sur le corps de la femme – et sur la manière dont il peut être traité – était programmée pour l’année 2024 mais en raison du pogrom du 7 octobre, qui s’était notamment illustré par des violences sexuelles à grande échelle, elle a été reportée.
Au cours de l’année prochaine, des femmes et des artistes arabes seront à l’honneur. L’accent sera mis aussi sur les artistes israéliens, qui disposent actuellement d’une plateforme internationale moins importante.
« Nous sommes perçus comme un pays combatif dans le monde de l’art, mais nous, au musée, nous pouvons également montrer une autre facette. Nous sommes une plateforme illustrant toute cette complexité », dit Coen-Uzzielli. « Je pense que certains [de nos collègues, à l’étranger, reviendront – d’autres non. Nous allons devoir faire preuve d’habileté et de réactivité pour réagir au mieux à ce qui se passera ensuite ».

Coen-Uzzielli a déclaré que les plans du musée étaient en place jusqu’à l’été 2025. C’est un délai beaucoup plus court que d’habitude, mais l’institution doit être plus réactive que par le passé, consciente de ce qui peut changer.
« Nous sommes en mode de planification », note Coen-Uzzielli, « en fonction de l’évolution de la situation ».
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