Mise aux enchères de « L’Échelle de Jacob » de Chagall, volé en 1996 à Tel Aviv
Peinte au moment de la guerre de Kippour, vers 1973, l'oeuvre a été récemment découverte par une famille de Jérusalem dans les affaires de leur mère décédée
Quand Amihai Hazan Tiroche se saisira de son marteau, le 25 janvier, ce gérant d’une maison de vente aux enchères – qui appartient à sa famille depuis trois générations – vendra des dizaines d’œuvres d’art israéliennes, notamment une peinture à l’huile de Marc Chagall, qui avait disparu pendant longtemps et qui représente le Jacob biblique et l’échelle de l’ange de ses rêves.
Ce tableau de 22 sur 27 centimètres qui illustre ce récit biblique a été peint par Chagall avec des couleurs profondes, dramatiques, aux environs de 1973, quand Israël se battait – et se rétablissait ensuite – de la guerre des Six Jours.
« C’était une œuvre minuscule, elle était donc facile à voler », explique Amihai Hazan Tiroche.
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« L’échelle de Jacob » de Chagall avait disparu de la Gordon Gallery de Tel Aviv en 1996, quatre jours avant une vente aux enchères où le tableau devait être présenté. Il est resté introuvable jusqu’à récemment, lorsqu’une famille de Jérusalem a fait savoir qu’elle l’avait retrouvé dans le cagibi de leur mère après son décès.
La famille de la femme n’aurait pas eu connaissance de l’existence de la peinture, mais après avoir été identifiée, vérifiée et confiée à une compagnie d’assurances, l’œuvre a fini son périple entre les mains de Tiroche, une maison d’enchères familiale de Herzliya Pituah – dont les objets ont souvent une histoire trouble.
Tiroche s’est spécialisée dans les objets ayant un passé compliqué, voire pour le moins original – cela a été le cas des bottes que George Bush avait offertes à l’ancien Premier ministre Ariel Sharon, du traité de paix signé entre l’État juif et l’Égypte et du passeport de David Ben Gurion. Sans oublier, bien sûr, les peintures et dessins de nombreux artistes israéliens.
Quand Amihai Hazan Tiroche se tiendra derrière son bureau de commissaire-priseur, le 25 janvier, il procédera à la vente du Chagall ainsi qu’à celle de plusieurs autres tableaux cruciaux de l’histoire de l’art en Israël, dont « Jaffa » et « Printemps en Galilée » de Reuven Rubin, deux peintures romantiques dotées d’une sensibilité naïve et presque primitive qui était typique des œuvres des années 1920.
« Jaffa » – que le poète national Haim Nahman Bialik avait qualifié de sorte de midrash agada, ou adaptation mythique de la tradition juive – n’a jamais été montré au public jusqu’à présent. Seront également présentées aux futurs acquéreurs « Synagogue », de Nachum Gutman, et « Figures dans le kibboutz », deux autres peintures emblématiques.
Amihai Hazan Tiroche a passé la plus grande partie des six derniers mois à négocier les œuvres, qui, même si elles sont reliées à une période innocente du passé d’Israël, pourraient se vendre entre 400 000 et 600 000 dollars par tableau.
Il aime tous les détails des peintures qui arrivent à un moment donné dans sa maison de vente aux enchères. Il les évoque alors qu’il traverse les pièces, s’arrêtant pour observer une œuvre en particulier avec attention, effleurant le cadre d’une autre.
« Ce n’est pas le genre de tableaux qu’on trouve en permanence », s’exclame-t-il. « Nous sommes heureux d’avoir été choisis pour leur vente ».
Amihai Hazan Tiroche a grandi dans cette maison d’enchères, se formant à l’art – israélien en particulier – grâce à son grand-père, Jean Tiroche, un Juif polonais qui avait lutté aux côtés des partisans avant de fuir à Paris et était entré dans le commerce d’antiquités avant de venir en Israël, aux environs de 1948.
Son grand-père, décédé lorsqu’il était âgé de 22 ans, avait enseigné les affaires à son fils, Mickey Tiroche, et à son gendre, Dov Hazan (le père d’Amihai Hazan Tiroche), qui avaient travaillé ensemble pendant de longues années avant de se séparer et se répartir les différentes facettes du travail de négociation et de vente des œuvres d’art.
Et aujourd’hui, c’est le petit-fils, Amihai Hazan Tiroche (Hazan est le nom de son père, Tiroche celui de sa mère) qui dirige la maison avec son père et sa sœur, Galia Hazan Tiroche.
La plupart du temps, ils prennent place devant un bureau ou s’assoient sur un canapé situé au milieu d’une immense galerie occupant le rez-de-chaussée d’un immeuble sans prétention du quartier aisé de Herzliya Pituah, au nord de Tel Aviv, entourés par des dizaines d’œuvres d’art.
Les murs sont actuellement recouverts des peintures qui seront vendues lors des prochaines enchères ; une œuvre d’Igael Tumarkin, connu pour son ouvrage compliqué, qui ressemble à des collages, à côté d’un tableau de Zoya Cherkassky, artiste russo-israélienne qui a récemment fait l’objet d’une exposition en solo au musée d’Israël.
Père et fils se divisent habituellement les cinq à six heures de vente aux enchères, s’occupant du public dans la salle ainsi que des acquéreurs potentiels via internet.
Le site internet héberge le catalogue tout entier, chaque œuvre d’art ayant été photographiée et mise en ligne pour d’éventuels acheteurs aux États-Unis, en Australie, à Hong-Kong et d’ailleurs. Tandis que la vente aux enchères en ligne est un processus animé — Tiroche a vendu son œuvre la plus chère pour 30 000 dollars à un acquéreur qui entrait dans un taxi au même moment – le brouhaha d’une salle pleine (pouvant accueillir jusqu’à 500 personnes) reste un plaisir tout particulier.
« La majorité des gens viennent encore parce que c’est en soirée, que c’est un point de référence dans l’industrie et qu’ils veulent être là », explique-t-il. « Mais s’il y a 200 personnes entre les quatre murs, il y en a 400 en ligne. Internet change tout ».
C’était très différent lorsque son grand-père, Jean Tiroche, s’était lancé dans les affaires.
Il avait ouvert la première galerie d’art du vieux Jaffa et s’était installé dans la ville portuaire où la famille habite encore.
Le commerce se développa, et Jean Tiroche devint agent artistique, ouvrant des bureaux à New York et à Miami. L’activité de vente aux enchères commencera en 1992.
La famille entière était plongée et vivait dans l’atmosphère de l’entreprise familiale. Amihai Hazan Tiroche se souvient d’avoir passé du temps, enfant, dans les musées européens en compagnie de son grand-père et d’avoir joué, avec sa sœur, à organiser des ventes aux enchères fictives où les deux enfants vendaient leurs créations au crayon.
La petite fratrie avait également été chargée de sceller les enveloppes d’invitation pour la toute première vente de la maison Tiroche.
Il ne pensait pas alors rejoindre l’entreprise. Mais il devait, un jour, être amené à remplacer son père en tant que commissaire-priseur à un moment où les œuvres artistiques locales gagnaient en valeur grâce aux ventes de certains collectionneurs israéliens majeurs.
La vente en 2008 d’œuvres appartenant à la collection du diplomate et ancien héritier de Coca-Cola Israel Ami Brown fut ainsi un tournant.
« Ça a tout dépassé », explique-t-il. « Il y avait des œuvres très connues, mais il y a eu aussi beaucoup de bruit et de battage, et cela a changé l’estimation des prix de l’art israélien ».
Il y a plus de collectionneurs d’art israéliens dorénavant, et un grand nombre préfèrent acheter en Israël que dans des collections ou des enchères hors du pays, précise Amihai Hazan Tiroche.
Ces dernières années, la maison a commencé à présenter également les œuvres d’artistes internationaux pour les clients israéliens qui ne désirent pas se rendre à l’étranger pour y procéder à des acquisitions.
Le commissaire priseur organise désormais une vente aux enchères toutes les deux semaines, attirant des collectionneurs et des acquéreurs plus jeunes, qui commencent avec de petits achats. Les ventes plus importantes attirent des noms connus – oligarques, directeurs-généraux israéliens et autres individus aisés susceptibles d’acheter sans problème une œuvre à 100 000 dollars, révèle-t-il.
« Nous n’avons pas mis en place nous-mêmes cette règle du jeu, c’est comme ça que ça se passe partout », dit-il. « Nous tentons de trouver l’équilibre entre l’appréciation des œuvres d’art et le coût de leur acquisition ».
Concernant « L’Échelle de Jacob » de Chagall, il est impatient d’être au soir de la vente, le 25 janvier.
« Qui sait ? », interroge-t-il. « Peut-être quelqu’un pourra-t-il nous donner des informations sur ce qu’il lui est arrivé pendant les 24 dernières années ».
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