Moins de confiance dans le gouvernement, moins de résilience nationale – étude
Une étude menée à l'université de Tel Aviv et au collège de Tel Hai montre que la capacité d'Israël à faire face à de futures crises risque d'être compromise
Des chercheurs de l’Université de Tel Aviv (TAU) et du Tel Hai Academic College affirment que les Israéliens manifestent une forte baisse de confiance dans leur gouvernement et leurs institutions nationales, ce qui, selon eux, pourrait avoir de graves conséquences sur ce qu’ils appellent la « résilience nationale ».
Les chercheurs définissent la résilience nationale comme un moyen de mesurer la capacité d’un pays à résister et à se remettre de défis tels que les guerres, les catastrophes naturelles, les troubles sociaux ou les pandémies.
Les résultats de l’enquête menée auprès de 2 000 Israéliens au cours des six mois qui ont suivi les attaques du Hamas du 7 octobre montrent que les personnes interrogées éprouvent une méfiance croissante à l’égard de leurs dirigeants et des institutions nationales telles que l’armée, la police, les tribunaux et le système éducatif, ainsi qu’une baisse des sentiments de patriotisme, de cohésion de la communauté et de sécurité.
Les chercheurs, qui ont présenté leurs conclusions le 19 juin lors de la convention annuelle de la TAU, intitulée « L’avenir d’Israël », ont appelé à tout faire pour stopper le déclin.
La professeure Bruria Adini, du département de gestion des urgences et des catastrophes de l’université de Tel-Aviv, a dirigé cette récente étude, qui a été publiée dans la revue Applied Psychology : Health and Well-Being.
La résilience nationale ou sociétale est la capacité d’une société à faire face à différentes adversités, a expliqué Adini au Times of Israel. La compréhension des facteurs qui influencent la résilience peut également aider les dirigeants à guider le rétablissement de leur pays après une catastrophe.
« Cela signifie non seulement être capable de rebondir, mais aussi de ‘rebondir vers l’avant’ et de se sentir encore plus autonome après une crise », a-t-elle déclaré.
Pour l’étude sur Israël, Adini a travaillé avec le Dr Hadas Marciano et le professeur Yohanan Eshel de Tel Hai, ainsi qu’avec le professeur Shaul Kimhi de TAU, qui travaillent tous au centre de recherche sur le stress et la résilience de Tel Hai. L’un des objectifs du centre est de mener des enquêtes annuelles sur la résilience des Israéliens.
Kimhi et Eshel sont des chercheurs en sciences sociales qui travaillent sur la notion de résilience nationale israélienne depuis les années 1990 et affirment avoir mis au point des paramètres pour l’évaluer.
Adini explique que les chercheurs utilisent des données objectives collectées à partir de sondages, d’enquêtes et d’analyses statistiques pour mesurer la résilience. Ils comparent ces données à des analyses subjectives telles que la confiance du public dans le gouvernement, la cohésion de la communauté et la perception de la sécurité. Ces facteurs combinés donnent une image des tendances en matière de résilience nationale.
L’équipe a étudié la résilience nationale après la guerre du Liban de 2006, par exemple, en évaluant comment la société israélienne a fait face à la guerre. Elle a ensuite étudié la résilience nationale après les conflits avec Gaza, notamment l’opération « Bordure protectrice » en 2014.
Les résultats de la récente étude révèlent une baisse de la résilience de la société israélienne au fil du temps. Cette baisse pourrait « nuire à la capacité du pays à faire face à de futures catastrophes », a fait remarquer Adini.
Adini et ses confrères ont commencé leur étude peu après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre, date à laquelle quelque 3 000 terroristes du Hamas ont assassiné 1 200 personnes et en ont enlevé 251, entre autres crimes de guerre. Depuis, l’équipe a étudié la résilience nationale et individuelle à quatre reprises.
Les chercheurs ont utilisé l’échelle de résilience de Connor-Davidson (CD-RISC), une mesure largement utilisée pour évaluer la résilience chez les individus.
L’individu face au collectif
L’étude suggère qu’à l’échelle individuelle, la résilience des Israéliens a en fait augmenté depuis le début de la guerre.
Adini a cité le cas d’une mère qui, au début de la guerre, était tellement angoissée qu’elle ne pouvait pas s’occuper de ses enfants, et d’une enseignante qui ne pouvait pas aller travailler.
Aujourd’hui, dit-elle, les gens sont plus habitués à « vivre en parallèle de la guerre et à former une nouvelle routine d’urgence. Ils ont repris le travail, s’occupent de leurs enfants et sont plus opérationnels qu’avant ».
Cependant, les chercheurs ont constaté une baisse significative de la résilience à l’échelle de la société, qui s’explique par la méfiance croissante des Israéliens à l’égard des dirigeants et des instances gouvernementales.
Lorsqu’une population fait confiance à son gouvernement, elle est plus encline à suivre ses directives. Lorsque la confiance diminue, les citoyens peuvent ne pas adhérer aux lois du gouvernement, voire résister aux ordres.
Par exemple, selon Adini, si le gouvernement dit aux populations déplacées qu’elles peuvent retourner dans leurs maisons d’où elles ont été évacués, elles seront moins enclines à suivre ces directives.
« Ils diront : ‘Non, nous ne reviendrons pas, nous n’avons pas confiance en vous, nous ne pensons pas que vous puissiez nous défendre et assurer notre sécurité' », a-t-elle expliqué.
Peu après le début de la guerre, le volontariat pour des projets sociaux et militaires était très élevé, a rappelé Adini. « Cela reflète la solidarité israélienne, l’une des quatre composantes de la résilience sociétale. »
Mais en avril 2024, « ce sentiment de solidarité avait considérablement diminué ». Bien qu’il existe encore de nombreuses initiatives citoyennes, l’étude tient compte de la manière dont les personnes interrogées « perçoivent l’engagement civil », et non du nombre de projets et d’activités.
Le déclin de la résilience nationale pourrait finalement conduire à « une crise sans précédent dans l’attitude des citoyens israéliens à l’égard de l’État », ont déclaré les chercheurs.
Cela pourrait se traduire par une baisse de l’engagement civique, ont-ils averti.
« Certains risquent de ne plus se porter volontaires pour le service de réserve et le service militaire et de moins s’impliquer dans l’avancement du pays », ont-ils déclaré.
Les chercheurs avancent plusieurs raisons possibles pour expliquer le déclin de la résilience nationale.
« La déception quant à l’évolution de la guerre est immense », a déclaré Adini. Cette guerre « dure depuis bien plus longtemps que les précédentes et personne ne peut prédire quand elle se terminera. »
Il y a également la « menace très tangible » d’une guerre totale avec le Hezbollah.
La société israélienne reste divisée, les différents groupes se rejetant mutuellement la responsabilité des problèmes du pays.
Cependant, Adini a déclaré que les décideurs israéliens peuvent utiliser cette recherche pour mettre en œuvre des politiques gouvernementales qui amélioreraient la résilience de la nation.
Lorsqu’elle a formé des responsables à la gestion des urgences et des catastrophes, elle leur a suggéré d’être « transparents » sur ce qu’ils font.
« Les dirigeants doivent commencer à parler du ‘jour d’après’ pour montrer que la situation sera meilleure », a-t-elle déclaré. « Il ne suffit pas de dire que nous continuerons jusqu’à ce que la victoire soit totale. »
Selon elle, il est plus important de « dire aux gens où leurs enfants iront à l’école le 1er septembre ».
En outre, les municipalités locales doivent avoir les moyens d’aider leurs communautés. La force des communautés locales est essentielle pour renforcer la résilience. Lorsque les gens travaillent ensemble pour atteindre des objectifs communs, ils renforcent la résilience nationale.
Enfin, les décideurs doivent prévoir des plans pour donner de l’espoir.
« Ils doivent montrer comment ils renforceront l’économie, comment les gens pourront retourner dans leurs communautés dans le nord », a déclaré Adini.
« La trajectoire continue de se dégrader, ce qui est préoccupant », a-t-elle ajouté. « Mais les décideurs peuvent élaborer des plans pour renforcer l’espoir. Lorsque l’espoir est élevé, le niveau de résilience l’est aussi ».