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Montréal: Un musulman veut débaptiser la station de métro honorant un antisémite

Une pétition en ligne, qui a recueilli plus de 18 600 signatures, veut remplacer Lionel Groulx, prêtre qui avait soutenu le fascisme, par la légende du jazz Oscar Peterson

  • Lionel Groulx s'exprimant devant une foule nombreuse, le 24 mai 1919. (Domaine public)
    Lionel Groulx s'exprimant devant une foule nombreuse, le 24 mai 1919. (Domaine public)
  • La station de métro Lionel Groulx à Montréal. (Avec l'aimable autorisation de la Société de transport de Montréal)
    La station de métro Lionel Groulx à Montréal. (Avec l'aimable autorisation de la Société de transport de Montréal)
  • La station de métro Lionel Groulx à Montréal. (Avec l'aimable autorisation de la Société de transport de Montréal)
    La station de métro Lionel Groulx à Montréal. (Avec l'aimable autorisation de la Société de transport de Montréal)
  • Lionel Groulx à l'hôtel Jean Bart à Paris, le 1er mars 1922. (Domaine public)
    Lionel Groulx à l'hôtel Jean Bart à Paris, le 1er mars 1922. (Domaine public)

MONTREAL — Depuis plus d’un demi-siècle, une station de métro animée de Montréal porte le nom d’un homme antisémite et admirateur du fascisme. Aujourd’hui, ce sont des milliers de Québécois qui ont signé une pétition réclamant de rebaptiser cette station – grâce à l’initiative d’un habitant musulman de Montréal issu du mouvement Black Lives Matter.

« L’antisémitisme n’a pas sa place dans notre société. Il ne doit pas y avoir de monuments, pas de sites historiques portant le nom de personnes qui ont pu croire en des idéologies si méprisables », dit Naveed Hussain, l’infirmier qui a lancé cette pétition pendant qu’il se rétablissait chez lui après avoir attrapé la COVID-19.

Hussain voudrait, à la place, que la station de métro puisse porter le nom du célèbre pianiste de jazz noir Oscar Peterson, qui a grandi dans ce quartier.

« Aucune station de métro, dans la ville, ne porte le nom d’une personnalité de couleur, ni d’ailleurs d’une personnalité juive », remarque Hussain. « J’ai la certitude que nous devrions rendre hommage à ces individus qui ont tant fait connaître Montréal et qui l’ont rendue célèbre ».

Le pianiste de jazz Oscar Peterson pose avec son Grammy pour la meilleure interprétation instrumentale de jazz lors de la 21e présentation annuelle des Grammy Awards à Los Angeles, Californie, le 16 février 1979. (AP Photo/Lennox McLendon)

Environ une semaine après le lancement de la pétition en ligne, cette dernière avait déjà recueilli plus de 16 000 signatures. En date du 29 juin, ce chiffre avait grimpé à 18 600 — et ça continue.

Une longue histoire d’antisémitisme canadien

La station de métro Lionel-Groulx est un pôle dans lequel transitent chaque jour des milliers de personnes. Il est pourtant peu probable qu’un grand nombre de ceux qui arpentent ses quais au quotidien sachent qui était Lionel Groulx et quelles étaient ses convictions.

Une recherche historique sommaire révèle que Groulx était un prêtre catholique qui, selon certains, avait été le père du nationalisme francophone canadien dans les années 1920 et dans les années 1930.

Mais l’historienne Esther Delisle, autrice d’un livre consacré aux mouvements politiques d’extrême-droite du Québec, explique qu’il a également été un antisémite assumé qui avait refusé l’immigration de réfugiés juifs pendant la Shoah et qui avait appelé au boycott des entreprises juives de Montréal.

L’historienne et auteur Esther Delisle. (Autorisation)

« C’est un fasciste. Il le disait lui-même », explique Delisle. « Je doute grandement que ses idées aient pu changer après. Peut-être a-t-il fait preuve de prudence pendant la guerre parce qu’il ne pouvait pas ouvertement soutenir les forces de l’axe alors que le Canada était en guerre avec l’Allemagne. Lionel Groulx incarne le nationalisme d’extrême-droite francophone ».

Un documentaire tourné en 2002 et qui s’appelait « Je me souviens » – qui était consacré à l’antisémitisme et au fascisme au Québec – débutait par une phrase frappante qui avait été prononcée par Groulx au mois d’avril 1933 : « Le problème juif aurait pu être résolu, pas seulement à Montréal mais bien d’un bout à l’autre du Québec. Il n’y aurait plus de Juifs ici, à l’exception de ceux qui seraient parvenus à survivre en vivant les uns des autres. Tous les autres auraient disparu ou auraient été obligés de se disperser et de chercher un gagne-pain dans autre chose que dans le commerce ».

La station de métro de Montréal n’est toutefois pas le seul site à porter le nom de Groulx. Il y a aussi un collège et de nombreuses rues qui ont été baptisées en son honneur dans toute la province.

Il était antisémite, mais ce n’était pas inhabituel à l’époque. Le Premier ministre du Canada de l’époque était également antisémite

Les historiens ne mettent pas en doute l’antisémitisme nourri par Groulx. Néanmoins, certains tentent de l’en excuser en expliquant que, dans les années 1930, la haine anti-juive était largement acceptée.

« Il était antisémite mais ce n’était pas inhabituel à ce moment-là. Le Premier ministre du Canada de l’époque était antisémite, lui aussi », note Pierre L’Heureux, membre du conseil municipal de Montréal et professeur d’histoire au Dawson College. « Mais c’est une personnalité importante au Québec dans la mesure où il a renforcé l’identité nationale québecoise ».

La station de métro Lionel Groulx à Montréal. (Avec l’aimable autorisation de la Société de transport de Montréal)

« Il a proposé que le Québec devienne une nation », ajoute L’Heureux. « Les Canadiens francophones avaient peu de pouvoir, notamment économique. Il a lancé un appel national, il a fait un coup de semonce, pour réclamer la restitution du contrôle politique et économique qui se trouvait entre les mains des anglophones. C’est la raison pour laquelle il est si important », continue-t-il.

Groulx était-il un fasciste ? A cette question, L’heureux apporte une réponse plus équivoque que Delisle.

Il appréciait l’idée d’un leader dictatorial, mais je ne pense pas qu’il souhaitait nécessairement un gouvernement fasciste, ici

« Etait-il un vrai fasciste ? Il ne rejetait pas les idées fascistes. Il appréciait l’idée d’un leader dictatorial », déclare L’Heureux. « Mais je ne pense pas qu’il souhaitait nécessairement un gouvernement fasciste, ici ».

L’Heureux indique soutenir personnellement le changement de nom de la station de métro. « Lionel Groulx n’est pas une personnalité que j’admire beaucoup », reconnaît-il.

Lionel Groulx s’exprimant devant une foule nombreuse, le 24 mai 1919. (Domaine public)

L’autorité en charge des transports à Montréal, la STM, a eu connaissance de l’existence de la pétition – mais elle applique un moratoire sur les changements de nom des stations de métro depuis 2006.

« La position globale de la STM est de conserver les noms des stations actuelles, qui font partie du patrimoine de Montréal et qui sont intégrés dans les habitudes de nos passagers », écrit la porte-parole de la STM, Isabelle-Alice Tremblay, dans un courriel adressé au Times of Israel. « Autrefois, le nom Lionel-Groulx avait été choisi par la ville de Montréal en référence directe à l’avenue qui porte le même nom. Et changer le nom de la station de métro exigerait de changer également celui de l’avenue », continue-t-elle.

La communauté juive de Montréal, pour sa part, est plutôt restée discrète dans cette affaire. Aucun des articles qui ont été consacrés au changement de nom de la station de métro, dans la presse canadienne, n’a présenté de réactions de la part des Juifs de la ville.

Pour sa part, Sarah Fogg, porte-parole du musée de la Shoah à Montréal, dit être favorable à cette proposition.

Lionel Groulx à l’hôtel Jean Bart à Paris, le 1er mars 1922. (Domaine public)

« Je pense que ce qui est le plus fascinant dans tout cela, c’est que c’est une initiative naît du public. Nous vivons un mouvement social incroyable. C’est un exemple de la manière dont les gens s’efforcent de venir à bout du racisme systématique ici, dans notre pays », note-t-elle.

Et même si la station Lionel Groulx devait conserver son nom, une plaque explicative devrait être installée dedans, continue Fogg.

Il faut faire quelque chose, c’est clair. C’est ce que le public demande

« Il faut faire quelque chose, c’est clair. C’est ce que le public demande », souligne-t-elle.

Elle déclare que l’antisémitisme était prévalent au Canada avant la Seconde Guerre mondiale et que, pour cette raison, les taux d’immigration dans le pays de la communauté juive ont été parmi les plus bas du monde pendant la Shoah.

« Le Canada a fait preuve d’un véritable antisémitisme pendant la Shoah – et ses politiques d’immigration le confirment », ajoute-t-elle.

La station nommée en hommage à Lionel Groulx n’est pas le seul site à porter le nom d’un antisémite, continue-t-elle, citant en exemple le MacKenzie King Parc, qui se situe devant le musée de la Shoah.

La station de métro Lionel Groulx à Montréal. (Avec l’aimable autorisation de la Société de transport de Montréal)

« Il a fait partie des Premier ministres qui n’avaient pas laissé entrer les Juifs pendant la guerre », explique-t-elle.

Mais tout le monde, dans la communauté juive, ne soutient pas ce changement de nom. Le rabbin Michael Whitman, de la congrégation Adath de Hampstead, au Québec, dit ne pas être dérangé par le nom donné à la station de métro, Groulx ne faisant pas partie de ces personnalités lourdement antisémites et reconnues comme telles comme c’est le cas, par exemple, de Hitler.

« Je ne sais rien de lui », confie le rabbin Whitman. « Personnellement, je ne me sens pas offensé ».

L’empathie née de l’expérience similaire

Naveed Hussain, 36 ans, est né à Montréal, dans un foyer d’origine pakistanaise. Lorsqu’il a eu dix ans, quelqu’un lui a crié « Rentre chez toi » alors qu’il se tenait à la porte du garage de la maison familiale. Il dit que cet incident l’a « mis mal à l’aise – parce qu’on réalise qu’on est différent ».

Mais pas question pour lui de se focaliser sur le négatif.

« Il n’y a qu’un petit nombre de personnes qui nourrissent ce type de sentiment. Il faut seulement les réduire au silence en leur imposant de la positivité », estime Hussain. « Je préfère me concentrer sur le grand nombre d’amis que je compte à travers le monde ».

Naveed Hussain a mené la charge pour faire renommer la station de métro Lionel Groulx de Montréal. (Autorisation)

Hussain a attrapé la COVID-19 alors qu’il s’occupait de malades hospitalisés au Royal Victoria Hospital de Montréal et il a passé presque deux mois à se rétablir chez lui. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à faire des recherches sur l’histoire de Montréal et pris la décision de faire une pétition pour donner le nom d’Oscar Peterson à une station de métro, raconte-t-il.

Il n’a pas pu prendre part physiquement aux manifestations du mouvement Black Lives Matter parce qu’il était encore positif au virus, ajoute-t-il, même s’il a guéri depuis et qu’il est retourné au travail.

La pétition postée par Hussain sur le site internet change.org se concentre sur les contributions incroyables apportées par Oscar Peterson au jazz et ne mentionne jamais l’antisémitisme de Groulx. Toutefois, de nombreux commentaires, laissés par les signataires, mettent la haine anti-juive du prêtre en exergue :

« Lionel Groulx a personnellement aidé un collaborateur des nazis à s’introduire dans le pays. Qu’il aille se faire f…e avec son racisme », écrit un commentateur.

« Lionel Groulx était un antisémite vicieux, un raciste et il haïssait la ville de Montréal. C’est un scandale depuis longtemps », note un autre.

« Je veux des modèles positifs pour les différents endroits de la ville où nous vivons, je ne veux pas d’un prêtre raciste », continue un troisième.

Hussain affirme qu’il soutiendrait également l’idée qu’une station de métro puisse porter le nom d’un Juif de Montréal célèbre – comme Leonard Cohen.

« Les Juifs ont tant contribué au patrimoine, et à ce que la ville de Montréal est devenue aujourd’hui. Même Leonard Cohen – nous n’avons aucun monument qui porte son nom. Nous devons, en tant que ville, reconnaître les grands individus qui ont contribué à notre histoire », dit-il.

Ce n’est pas la première tentative de débaptiser la station de métro Lionel Groulx pour lui donner le nom d’Oscar Peterson. Une initiative similaire avait eu lieu en 2008, peu après le décès de Peterson.

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