Mort à 92 ans de Marvin Chomsky, lauréat d’un Emmy pour la série « Holocauste »
Ce réalisateur de cinéma et de télévision aura aidé des millions de personnes à mieux connaître le génocide nazi grâce à sa mini-série tournée à la fin des années 1970
JTA — Marvin Chomsky racontait souvent un souvenir déchirant du tournage de sa mini-série « Holocauste », tournée en 1978.
Alors qu’il filmait des scènes de la série en Autriche pour présenter le massacre en masse des Juifs, à la fois dans les camps de concentration et à Babyn Yar, ce ravin situé aux abords de Kiev, en Ukraine, Chomsky relatait la manière dont un jeune caméraman avait mis en doute le narratif des événements qu’ils étaient en train de rejouer.
« Marvin, tu as fait ça uniquement pour le film », lui avait dit le caméraman, comme s’en était souvenu Chomsky dans une vidéo commémorant sa carrière pour le Guild of America. « Ce n’est jamais réellement arrivé. »
Et Chomsky s’était alors tourné vers un membre de l’équipe qui travaillait sur la série, un Allemand. « C’est vrai ou ce n’est pas vrai ? », avait-il interrogé.
« Et tous les regards se sont tournés vers lui, il a d’abord gardé le silence, réfléchissant, et il a répondu : ‘Ja, das ist war,‘[Oui, c’est vrai] », racontait Chomsky. « Tous les enfants, les plus jeunes, avaient pleuré de tout leur saoul, ils ne voulaient pas y croire. Et je n’avais rien dit de plus. »
Grâce à Chomsky, qui est mort le 28 mars à Santa Rosa, en Californie, à l’âge de 92 ans, « Holocauste » a montré à des millions de personnes – et notamment à environ 20 millions d’Allemands – que la Shoah a été une réalité.
Lorsqu’elle avait été diffusée aux États-Unis et en Allemagne de l’Ouest, cette série en quatre épisodes avait été suivie par 120 millions de spectateurs et avait aidé à entraîner un dialogue ouvert sur les causes et les conséquences du génocide des Juifs d’Europe. De nombreux Allemands avaient appelé leurs chaînes de télévision, en larmes, pour expliquer leur honte face aux événements dépeints et certains anciens soldats nazis avaient confessé les détails de leurs crimes.
Frank Bösch, un historien allemand, a expliqué à la BBC penser que la diffusion à la télévision allemande de la mini-série, en 1979, avait été – comme cela avait été aussi le cas de la révolution iranienne et de l’élection de la Première ministre britannique Margaret Thatcher – l’un des événements qui, cette année-là, avait contribué à transformer le monde.
Première œuvre de fiction majeure consacrée à la Shoah et à destination du grand public dans le monde anglophone, la série avait présenté en tête d’affiche Meryl Streep et James Woods. Elle avait suivi la vie de deux familles dans l’Allemagne occupée par les nazis – une famille juive et une famille chrétienne qui devait finalement épouser l’idéologie nationale-socialiste. Couvrant un grand nombre d’événements réels survenus pendant le génocide – la nuit de Cristal, le soulèvement du ghetto de Varsovie et évoquant les camps de concentration de Buchenwald, Auschwitz et Sobibor – les quatre épisodes avaient été une révélation pour de nombreux téléspectateurs. Ils avaient aussi été à l’origine d’une controverse : le survivant Elie Wiesel avait prétendu que la série banalisait les atrocités commises pendant la Shoah.
Chomsky avait pris la tête du projet (développé à partir d’un script de Gerald Green), une expérience qui l’avait, selon son fils, « traumatisé ». Il avait remporté un Emmy pour « Holocauste », l’un des quatre qu’il devait gagner dans sa carrière. Intuitivement, il avait eu le sentiment que transformer cette tragédie monumentale de la Shoah en simple histoire familiale rendrait plus facile, pour le public, de comprendre les événements.
« J’avais dit : ‘Ce n’est pas un documentaire que je vais faire. Cela ne va pas être non plus un docu-fiction. Je vais faire une fiction qui s’intéressera aux gens et si vous-même vous intéressez aux gens, alors vous la regarderez », avait-il dit lors de son interview pour la DGA.
Fils d’un couple juif originaire de Biélorussie, Chomsky avait commencé à sa carrière à la télévision alors qu’il était encore lycéen. Après l’université et son service militaire, il avait été directeur artistique et créateur de décors pour des émissions de télévision comme « Captain Kangaroo », passant à la réalisation au début des années 1960.
En plus de « Holocauste », Chomsky avait aussi réalisé plusieurs projets importants pour la télévision. Il avait dirigé deux épisodes de « Roots », la série historique tournée en 1977 qui s’était plongée dans l’Amérique de l’esclavage, et il avait aussi réalisé des épisodes de la série de science-fiction culte « Star Trek ».
Il avait également dirigé quelques projets sur des thématiques juives, notamment « Victoire à Entebbe », un film pour la télévision consacré à l’Opération Entebbe, et « Inside the Third Reich », un autre téléfilm basé sur les mémoires d’Albert Speer, qui avait été l’architecte de Hitler. Le tournage du film a été récemment cité dans un documentaire israélien controversé qui n’a pas mentionné par ailleurs l’implication de Chomsky.
Mais « Holocauste » a laissé sa plus grande empreinte culturelle – une empreinte qui ne s’est pas encore effacée aujourd’hui. En 2019, la télévision allemande a rediffusé la série pour marquer son quarantième anniversaire.
« Des survivants étaient venus pour les procès d’Auschwitz et les journalistes ne les avaient même pas interrogés », s’est souvenu Bösch. « Personne ne s’intéressait aux victimes. Mais ça a changé avec ‘Holocauste’. »