Mort à l’âge de 82 ans de Cynthia Weil, parolière lauréate d’un Grammy
L'auteure-compositeure, qui écrivait depuis des années avec son mari Barry Mann, est surtout connue pour 'You've Lost That Lovin' Feeling'
NEW YORK – Cynthia Weil, parolière lauréate d’un Grammy d’une remarquable longévité professionnelle qui a longtemps formé un duo d’écriture avec son mari Barry Mann et a coécrit « You’ve Lost That Lovin’ Feeling », « On Broadway », « Walking in the Rain » et des dizaines d’autres succès, est décédée à l’âge de 82 ans.
Sa fille, la Dre Jenn Mann, a fait savoir qu’elle était décédée, jeudi, à son domicile de Beverly Hills, en Californie, « entourée de sa famille ».
Unique enfant du couple, elle a refusé d’évoquer les causes du décès.
Mariés depuis 1961, Cynthia Weil et Barry Mann étaient l’un des duos musicaux mythiques, éminents membres de l’écurie des impresarios Don Kirshner et Al Nevins, dans le quartier de Brill Building à Manhattan, à quelques encablures de Times Square. Riche d’autres duos à succès comme Carole King et Gerry Goffin ou encore Jeff Barry et Ellie Greenwich, l’usine à chansons Brill Building a produit parmi les plus grands titres des années 60 et des décennies suivantes.
« J’ai grandi avec la musique et deux incroyables génies, brillants et créatifs », a déclaré Jenn Mann.
« Mes parents étaient une source d’inspiration l’un pour l’autre. Ma mère disait que quand tout allait bien entre eux, ils étaient là l’un pour l’autre, et quand les choses étaient moins faciles, ils avaient la musique. »
Weil et Mann ont été des collaborateurs clés du producteur Phil Spector sur des titres pour les Ronettes (« Walking in the Rain »), les Crystals (« He’s Sure the Boy I Love ») et d’autres interprètes. Ils ont également travaillé pour de nombreux autres artistes, comme Dolly Parton ou Hanson.
« Somewhere Out There », qui est issu d’une collaboration avec le compositeur James Horner pour la bande originale de « An American Tail », a remporté le Grammy de la meilleure chanson en 1987 et celui du meilleur titre de film ou de télévision, et a été nominé pour un Oscar et un Golden Globe. « Don’t Know Much », duo entre Linda Ronstadt et Aaron Neville qu’ils ont coécrit, s’est classé dans le top 5 des ventes et a remporté le Grammy de la meilleure performance pop en 1990.
Leur chanson la plus célèbre est sans doute « You’ve Lost That Lovin’ Feeling », titre iconique de « blue-eyed soul » produit par Spector, morceau tragique interprété avec une fureur désespérée par les Righteous Brothers.
« You’ve Lost That Lovin’ Feeling » a été en tête des charts en 1965 et a été repris par de nombreux autres artistes ensuite. Selon Broadcast Music Inc. (BMI), aucune autre chanson n’a été autant diffusée à la radio ou à la télévision au 20e siècle.
Pourtant, lorsque Weil et Mann ont présenté « You’ve Lost That Lovin’ Feeling », composé pour les Righteous Brothers, la réponse des chanteurs Bill Medley et Bobby Hatfield a été un « silence de mort ».
« Bill a dit : ‘Cela sonne bien pour les Everly Brothers, pas pour les Righteous Brothers’, » se rappelait-elle pour le magazine Parade en 2015.
« Nous nous sommes dit ‘Oh, mince’. C’est alors que Bobby a ajouté : ‘Qu’est-ce que je suis supposé faire pendant que le grand gars chante ?’, ce à quoi Phil Spector a répondu : ‘Tu peux passer à la banque.’ »
Nombre de paroliers comme Weil ont connu des fortunes diverses lorsque les Beatles ont débarqué, au milieu des années 1960, mais le succès ne l’a pas abandonnée, que ce soit en tandem avec Mann ou avec des partenaires tels que Michael Masser, David Foster ou John Williams, avec qui elle a écrit « For Always », titre issu de la bande originale de « A.I. Intelligence artificielle » de Steven Spielberg.
Weil a également co-écrit le grand succès pop de Parton « Here You Come Again », la ballade de Peabo Bryson « If Ever You’re In My Arms Again », « Just Once » de James Ingram, « He’s So Shy » des Pointer Sisters ou encore « Running with the Night » de Lionel Richie. En 1997, elle était à nouveau dans le top 10 avec « I Will Come to You » de Hanson.
« Quand elles ont du succès, les chansons sont comme des petits romans, avec un début, un milieu et une fin. On sent ce que ressent la personne qui la chante. C’est un condensé de la condition humaine », expliquait Weil, qui a publié en 1997 le roman « I’m Glad I Did » chez Parade.
Son talent allait bien au-delà des seules ballades amoureuses.
Mann et elle ont écrit l’une des premières chansons anti-drogue du rock, « Kicks », un succès de Paul Revere and the Raiders en 1966.
Elle était douée pour trouver les mots justes à propos de l’ambition et de la volonté, comme dans « On Broadway » et ses inoubliables premières paroles, « They say the neon lights are bright/on Broadway ». The Animals ont eu beaucoup de succès avec leur histoire de frustration de la classe ouvrière dans « We’ve Got to Get Out of This Place ». « Uptown », des Crystals, a été un grand succès en 1961 qui abordait les questions de race et de classe d’une manière inédite dans les premières années du rock.
Weil et Mann sont entrés au Songwriters Hall of Fame en 1987 et au Rock & Roll Hall of Fame en 2010. C’est King lui-même qui les a présentés lors de la cérémonie du Rock Hall.
Mann et Weil ont été des personnages dans la comédie musicale à succès de Broadway consacrée à King, « Beautiful », créée en 2013, qui évoque dans le détail l’amitié teintée de rivalité qui a existé entre les deux duos, unis à la ville comme à la scène. La comédie musicale de Mann et Weil « They Wrote That? » a été brièvement jouée en 2004.
« Les exceptionnelles qualités professionnelles de Cynthia ont fait de nous de meilleurs auteurs-compositeurs. Mes paroles préférées de Cynthia sont : « Just a little lovin’ early in the mornin’ beats a cup of coffee for startin’ out the day », a écrit King sur ses réseaux sociaux, vendredi, évoquant le titre co-écrit par Mann et Weil « Just a Little Lovin’ », notamment reprise par Dusty Springfield.
« Si nous avons la chance de l’avoir vécu, nous savons combien c’est vrai, mais elle a eu le mérite de l’écrire et elle a fait rimer ‘mornin’ avec ‘yawnin » dans le couplet suivant. Puissent les paroles créées par elle continuer à inspirer les générations futures. »
Fille d’immigrants juifs originaires d’Europe de l’Est, Weil avait vu le jour à New York et étudié le piano et le ballet. Elle s’était spécialisée dans le théâtre au Sarah Lawrence College, mais avait été encouragée par un agent à se lancer dans l’écriture de chansons. À l’âge de 20 ans, elle travaillait pour la maison d’édition du compositeur Frank Loesser de « Guys and Dolls » et allait bientôt rencontrer son futur mari.
« J’écrivais avec un jeune chanteur italien, le Frankie Avalon de l’époque, un certain Teddy Randazzo, lorsque Barry est venu lui proposer un titre », déclarait-elle au Los Angeles Times en 2016.
« J’ai demandé à la réceptionniste : ‘Qui est ce gars ? Il a une petite amie ?’ Elle m’a répondu : ‘Il a signé avec un de mes amis, Don Kirshner. Si j’appelle Donny, tu pourrais passer le voir pour lui proposer tes titres et ainsi revoir Barry.’ C’est ce qu’elle a fait. Et c’est ce que j’ai fait. C’était écrit. »