Mort de Marceline Loridan-Ivens, soeur de souffrance de Simone Veil
Meurtrie à jamais par sa déportation à Auschwitz-Birkenau à l'âge de 15 ans, l'écrivaine et cinéaste est morte mardi, à 90 ans, au terme d'une vie passée à dénoncer l'injustice
« C’est la fin d’une époque », celle des témoins de l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis, avait-elle affirmé à l’AFP en juin 2017, après la mort de sa camarade de déportation, Simone Veil.
« Nous étions dans le même convoi en route pour Birkenau. J’avais 15 ans, elle en avait 16. On s’est retrouvées dans le même bloc. Le matricule gravé sur mon avant-bras est 78750, le sien était 78651 », s’était-elle souvenue.
« Cet épisode de leur vie si difficile avait fait d’elles des amies indéfectibles », a expliqué mardi à l’AFP Jean Veil, le fils de l’ancienne ministre récemment entrée au Panthéon.
« Marceline était quelqu’un qui avait une vitalité exceptionnelle. On avait gardé, les uns et les autres, des relations quasiment filiales. Mon frère et moi étions très proches d’elle, sa présence était importante pour nous », a poursuivi, ému, l’avocat, confirmant une information de France Inter et du Monde.
Après une phase de « grand silence » sur sa déportation – « il fallait se geler de l’intérieur pour survivre », disait-elle -, Marceline Loridan-Ivens avait décidé de témoigner, sans jamais plus s’arrêter.
En 2015, dans le livre Et tu n’es pas revenu (Grasset), écrit avec la journaliste Judith Perrignon, elle évoquait le souvenir de son père, qui l’a obsédée toute sa vie.
C’est avec lui qu’elle avait été arrêtée par la Gestapo en février 1944, dans le Vaucluse, après être entrée très tôt dans la Résistance. Emprisonnés à Avignon puis à Marseille, père et fille avaient été transférés à Drancy et déportés à Auschwitz-Birkenau le 13 avril 1944.
Il y a quelques mois, dans L’amour d’après (également co-écrit avec Judith Perrignon), elle racontait la reconstruction d’une survivante.
« De l’enfer des camps Marceline Loridan-Ivens avait rapporté le secret d’une vie plus intense et plus gaie, plus intransigeante aussi. Son témoignage et sa leçon ne sauraient être oubliés. Ils nous obligent », a réagi le président Emmanuel Macron sur Twitter.
De l’enfer des camps Marceline Loridan-Ivens avait rapporté le secret d’une vie plus intense et plus gaie, plus intransigeante aussi. Son témoignage et sa leçon ne sauraient être oubliés. Ils nous obligent.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) September 19, 2018
« C’était une grande dame, une voix cinématographique, une écrivaine et une amie », a salué la ministre de la Culture Françoise Nyssen.
« Cette femme avait connu l’horreur, c’était peut-être une des dernières survivantes des camps, qui avait vécu et pouvait transmettre l’innommable de cette période », a-t-elle souligné.
« Je me souviens avoir été très impressionnée pour l’entrée au Panthéon de son amie Simone Veil, elle était droite, magnifique. C’était une grande dame, une voix cinématographique, une écrivaine et une amie », a-t-elle ajouté.
« Marceline Loridan-Ivens, une leçon de vie, à méditer et perpétuer », a réagi sur Twitter le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux.
« Reconquérir la liberté »
Dans un témoignage enregistré – comme celui de nombreux autres anciens déportés – au Mémorial de la Shoah à Paris, Marceline Loridan-Ivens avait dépeint sa descente aux enfers : les sélections faites par le docteur Mengele, les fosses communes qu’elle doit creuser pour les Juifs hongrois massivement assassinés à l’été 44, un épisode dont elle dira avoir tout oublié jusqu’à ce qu’une camarade le lui rappelle.
Après une ultime sélection devant Mengele, elle fait partie des déportés qui seront évacués par les nazis, à l’approche de l’Armée Rouge, vers le camp de Bergen-Belsen puis à Theresienstadt, près de Prague.
Rapatriée en France, pour « reconquérir (sa) liberté » loin d’une mère avec qui elle ne parvient pas à s’entendre, loin aussi d’une famille détruite, elle épouse en 1952 Francis Loridan. Elle ne restera pas avec lui mais gardera son nom.
C’est à Saint-Germain-des-Prés qu’elle finit de grandir, dans « ce monde de la pensée, de la modernité et de la poésie ». Elle fréquente la Cinémathèque, tape des manuscrits pour Roland Barthes, fait la connaissance d’Edgar Morin qui l’entraîne dans le tournage d’un film tourné en 1961 avec Jean Rouch, « Chronique d’un été ».
C’est par ce film qu’elle entre dans le monde du cinéma. Elle tournera l’année suivante son premier documentaire, « Algérie année zéro », avec son compagnon Jean-Pierre Sergent.
Elle rencontre ensuite celui qui sera son second mari, Joris Ivens, un cinéaste néerlandais de vingt ans son aîné, avec qui elle partira au Vietnam en pleine guerre. Ils tourneront « 17ème parallèle ». Suivront ensuite une longue série de films sur la Chine de Mao dont ils seront de fervents partisans jusqu’en 1975.
Marceline Loridan-Ivens était née Rosenberg, le 19 mars 1928 à Epinal, dans les Vosges, de parents juifs polonais, émigrés en France dix ans plus tôt pour échapper aux pogroms.
Ses parents avaient tenu à lui donner un prénom français mais le second, Meriem, était yiddish et c’est celui-là qu’elle choisira pour Anouk Aimée qui jouera son rôle dans « La Petite prairie aux bouleaux » (traduction du polonais Brezinka, Birkenau en allemand), un film tourné en 2003 sur le retour d’une ancienne déportée à Birkenau. Un film dont elle dira l’avoir porté pendant quarante ans.
« Une grande dame vient de nous quitter », a écrit sur Twitter la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
Pour la maire de Paris Anne Hidalgo, Marceline Loridan-Ivens était « une femme inspirante » : « son œuvre, sa force de caractère et son humour ont toujours suscité mon admiration », a-t-elle tweeté.
Le réalisateur Serge Moati a fait part de son « respect » et son « affection ».