Mort de Neal Sher, infatigable chasseur de nazis, à l’âge de 74 ans
L'homme avait aidé à extrader des dizaines de nazis des États-Unis et il avait, plus tard, brièvement dirigé l'AIPAC
&JTA — Neal Sher, qui devait consacrer une importante partie de sa vie à retrouver les anciens nazis réfugiés aux États-Unis et qui avait mis au point une formule qui devait entraîner l’expulsion de dizaines d’anciens soldats allemands du Troisième Reich, s’est éteint à l’âge de 74 ans.
Sher, qui avait dirigé le bureau d’enquêtes spéciales du département de Justice pendant onze ans et qui avait été, pendant une période, à la tête de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) est mort dimanche à Manhattan, a fait savoir sa veuve Bonnie Kagan dans un courriel adressé à ses amis.
D’une beauté froide, élégant et vif, Sher avait été une personnalité remarquée pendant les années 1980. Dans des conférences de presse, il dévoilait l’histoire de monstres vivant une vie quotidienne normale dans les banlieues américaines.
Derrière ces histoires, il y avait néanmoins un travail acharné mené dans le cadre d’une formule mise au point par Sher lorsqu’il était au Bureau des enquêtes spéciales. Il y était entré comme avocat avant de devenir son directeur de 1983 à 1994.
Il avait transformé le système de recherche d’anciens nazis au département de la Justice qui, jusqu’à ce moment-là, s’appuyait sur des informations transmises par des tiers – qui ne sont pas toujours fiables – pour y substituer un contrôle systématique des registres allemands de la Seconde Guerre mondiale sur la base des noms figurant dans les registres d’immigration aux États-Unis. Grâce à ce système, le bureau aura retrouvé 69 anciens nazis depuis 1979, dont la citoyenneté américaine aura été révoquée en raison des mensonges des personnes concernées sur leur passé lors de leur arrivée dans le pays. Un certain nombre devaient se donner la mort pour éviter d’être arrêtés par les fédéraux.
Dans un dossier explosif, Sher, citant les éléments prouvant que l’ancien secrétaire-général des Nations unies Kurt Waldheim avait tu son passé nazi, avait obtenu son interdiction d’entrée sur le territoire des États-Unis.
La ténacité de Sher avait aussi permis de retrouver, en plus de simples exécutants de l’armée allemande, des personnalités déterminantes du Troisième Reich et, parmi elles, l’archevêque Valerian Trifa, qui avait été à l’origine d’un pogrom contre les Juifs de Bucarest et Arthur Rudolph, scientifique de la NASA déporté en Allemagne après que Sher eut démontré qu’il avait dirigé une usine pendant la guerre en Allemagne, où les Juifs étaient employés jusqu’à épuisement et jusqu’à la mort.
« Que ces gens vivent librement aux États-Unis est contraire à toutes les valeurs défendues par ce pays », avait-il déclaré à CBS en 1983.
Il y avait eu des erreurs occasionnelles : Les efforts livrés par le bureau des enquêtes spéciales avaient permis l’extradition, en 1986, du gardien d’un camp de concentration nazi, John Demjanjuk , en Israël ; le bureau américain avait identifié en lui Ivan le terrible, meurtrier de masse à Sobibor et Demjanjuk avait été condamné à mort par un tribunal israélien pour ces crimes. Une cour d’appel israélienne avait établi, en 1993, que Demjanjuk n’était pas Ivan et l’homme avait été renvoyé aux États-Unis. Une cour américaine avait blâmé le bureau des enquêtes spéciales qui, selon elle, avait tu les informations qui pouvaient le disculper.
Le bureau avait continué ses recherches dans le dossier, notant les innombrables preuves prouvant que ce Demjanjuk avait été un gardien de camp du bas de la hiérarchie impliqué dans le meurtre de milliers de personnes. Il avait été extradé en Allemagne en 2009 et jugé. Il y était mort en 2021.
L’acharnement de Sher avait entraîné la fureur des dirigeants des communautés ukrainienne, polonaise et roumaine aux États-Unis qui avaient déclaré que les vieillards poursuivis par le chasseur de nazis devaient pouvoir vivre tranquillement, des décennies après les crimes commis.
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Ils avaient ajouté que certains éléments trouvés contre les anciens nazis étaient douteux dans la mesure où ils avaient été rassemblés dans l’ex-Union soviétique, des objections qui avaient été rejetées par Sher.
« Il n’y a pas de date de péremption pour les massacres », avait rappelé à juste titre Sher à CBS.
Sher était devenu directeur exécutif de l’AIPAC en 1944 mais il n’avait assumé ce poste que pendant deux ans. Les deux parties avaient reconnu qu’il n’était pas à l’aise dans ce rôle ; un responsable de l’AIPAC, à l’époque, avait déclaré à la JTA que Sher ne parvenait pas à faire preuve de la même passion dans la défense d’Israël que celle qu’il avait affichée en chassant les nazis.
Sher avait gardé le silence à ce moment-là mais dans une lettre ouverte écrite en 2007 pour la JTA, il avait décrit la manière dont des subordonnés avaient tenté de placer l’AIPAC en opposition avec l’administration Clinton en présentant un projet de loi lié à Jérusalem auxquels les gouvernements américain et israélien étaient tous deux défavorables.
« Nous pleurons la disparition de Neal Sher qui a mené une vie consacrée à la justice et à la défense des Juifs », a commenté l’AIPAC dans un communiqué émis jeudi.
En 1998, Sher était devenu le premier chef de cabinet de l’ICHEIC (International Commission on Holocaust Era Insurance Claims), une commission internationale d’indemnisation des victimes de la Shoah. Il s’était trouvé dans l’obligation de démissionner en 2002 après la découverte, par le Baltimore Sun, qu’il avait déclaré de fausses dépenses à hauteur de 100 000 dollars. Il avait remboursé l’agent mais il avait été radié du barreau de Washington et suspendu du barreau de New York.
Il devait connaître encore une victoire : Après avoir réintégré le barreau de New York, il avait représenté les familles des victimes d’une fusillade terroriste survenue à Forth Hood, au Texas, en 2009. L’armée avait qualifié ces meurtres, qui avaient été commis par un psychiatre converti à l’islam radical, de « massacre sur le lieu de travail ». Le travail de Sher avait finalement amené le Congrès à adopter une législation en 2015 qui avait permis que les 13 personnes tuées lors de l’attentat et les plus de trente blessés lors de cette attaque reçoivent la médaille militaire du Purple Heart.