Nager pour une ONG au service des victimes du 7 octobre – le défi du fabricant israélien de Boy Butter
Le 17 août, Eyal Feldman a parcouru 25 km sans pause, dans le lac Skaneateles, dans l'État de New York, au profit des enfants israéliens dont les parents sont morts dans le pogrom du Hamas
Lorsqu’Eyal Feldman plongera dans le lac Skaneateles, le 17 août prochain, pour une nouvelle baignade caritative Holy Moly, il le fera avec son maillot de bain et ses lunettes habituels. Il n’oubliera pas de se mettre un peu de vaseline au niveau des aisselles pour éviter les frottements. Mais pour une fois, il arborera un tatouage éphémère sur son épaule gauche, celui du drapeau israélien.
Son parcours dans ce lac du nord de l’État de New York, avec ses 25 km, sera le record de nage non-stop de Feldman. Ce sera aussi l’un des records les plus personnels de toute l’histoire américano-israélienne.
Car cette fois, Feldman le fera pour collecter des fonds en faveur de l’organisation israélienne à but non lucratif « Our Children Our War ». Cette organisation caritative aide, sur le court comme sur le long terme, les 50 enfants israéliens qui ont perdu leurs deux parents lors du pogrom du Hamas du 7 octobre, au cours duquel 1 200 personnes ont été assassinées et 251 enlevées dans le sud d’Israël.
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« J’aime faire des choses personnelles, originales et qui font avancer les choses. Cette ONG met un travailleur social à disposition de chacun de ces enfants. Pour eux, c’est un peu comme d’avoir une marraine ou un parrain, quelqu’un qui va s’occuper d’eux durant toute leur vie. Je ne connais rien de plus beau », confie Feldman, 47 ans, dans le cadre d’une interview via Zoom depuis Fire Island Pines, à l’endroit où son mari et lui passent leurs vacances.
Feldman fait également avancer les choses au quotidien, en sa qualité de fondateur et PDG de Boy Butter, marque de lubrifiant intime qui, comme le dit le site Internet, convient aux « hommes, aux femmes, à tout le monde ».
« C’est un vrai succès », commente Feldman.
Et c’est à coup sûr dans l’air du temps.
Depuis qu’il a lancé sa marque en empruntant 100 000 dollars à ses parents, il y a de cela plus de 20 ans, Boy Butter est devenu une référence dans la culture populaire – il a d’ailleurs eu les honneurs du dernier épisode de « Sex in the City » et fait de la publicité sur ESPN ou encore dans l’émission « RuPaul’s Drag Race ».
Né à Petah Tikva, Feldman s’est installé avec ses parents à Los Angeles en 1980, lorsqu’il n’avait que trois ans. Lui qui parle aussi couramment hébreu et espagnol vit désormais à Manhattan.
Il a commencé à nager dans le cadre du marathon Holy Moly pour passer du temps avec sa famille et ses amis tout en faisant une mitsva. Sa première nage de ce genre s’est faite en 2008 : il s’agissait d’une traversée à la nage du fleuve Saint-Laurent depuis Watertown, dans l’État de New York, jusqu’au Canada et retour, pour recueillir des fonds destinés á SAGE – Services and Advocacy for Gay, Lesbian, Bisexual and Transgender Elders [NDLT : Services et défense des droits des Seniors gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres.]
« Mon passeport se trouvait dans le petit bateau de secours. En passant devant je ne sais plus quel quai, j’ai entendu quelqu’un dire : « Bonjour, puis-je vous aider ? » « Salut ! Je viens d’Amérique ! lui a répondu Feldman.
Depuis, Feldman a nagé en freestyle sur la rivière Chicago ainsi qu’en mer de Galilée, en Israël. En juillet 2023, il a parcouru un peu plus de 19 km sans s’arrêter dans le lac de Constance, entre l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche – un aller/retour qui lui a pris 7 heures et 45 minutes.
« Je voulais être le tout premier Juif à retourner en Allemagne à la nage depuis 75 ans ! », explique-t-il. Cela lui a permis de collecter plus de 8 000 dollars pour acheter des vivres pour les fêtes et nourrir plus de 350 familles à Paranaiguara, au Brésil.
Si la météo le permet, la baignade aura bien lieu et c’est le mari de Feldman, Brendan, qui se trouvera à bord du bateau de secours à ses côtés. Des proches et amis se trouveront également à bord pour immortaliser cette journée.
Finalement, c’est quelque chose de bon et de fédérateur – pour la famille, les amis, la forme physique et la foi, résume Feldman.
« J’ai cette envie de rassembler les gens, de faire une œuvre caritative et de m’amuser en même temps. C’est une façon de multiplier les mitsvot et d’être porteur de bonnes nouvelles. Nous avons tous besoin de bonnes nouvelles », affirme-t-il.
L’interview suivante a été modifiée pour des raisons de clarté et de concision.
The Times of Israel : En quoi votre rapport à Israël et au 7 octobre a-t-il joué dans le choix de votre action caritative, cette année ?
Eyal Feldman : Il se trouve que mes parents se trouvaient en Israël, le 7 octobre, et cela a été un vrai trauma, le pogrom bien sûr, mais aussi le fait que mes parents soient là-bas.
Tous les vols avaient été annulés et je ne savais absolument pas quoi faire. Je ne pouvais qu’attendre. J’ai des amis au gouvernement, mais personne ne pouvait m’aider. Le Département d’État disait : Prenez le premier vol pour la Grèce et rentrez chez vous. C’était vraiment fou.
Dans un second temps, j’ai voulu aider les gens de ma famille éloignée qui vivent là-bas. Mon cousin, qui a 20 ans, est dans la Marine. Il se bat depuis 10 mois pour sécuriser le périmètre de Gaza. J’ai pensé à tout ce qu’il devait vivre, et je me suis demandé ce que je pouvais faire.
En mars dernier, j’ai décidé de faire du bénévolat. Je me suis inscrit à Swords of Iron, sur Facebook, et je me suis rendu en Israël. Je travaillais dans une soupe populaire : je faisais la vaisselle, je réapprovisionnais la cuisine, je nourrissais les soldats et je cueillais des fraises. Cette semaine passée en Israël est de loin la plus belle chose que j’aie jamais faite, mais je voulais en faire plus, ce qui m’a amené à cette forme de nage.
Comment avez-vous commencé la nage longue distance ?
Au lycée et à l’université [l’Université de Californie à San Diego], je jouais au water-polo et je faisais partie de l’équipe de natation. À l’université, j’étais dans les deux équipes, plus les équipes des clubs de water-polo gays. En 1998, j’ai été l’un des plus jeunes concurrents des Gay Games aux Pays-Bas. J’y représentais Israël : j’ai remporté une médaille d’argent et deux médailles de bronze.
J’ai continué à m’entrainer en club, mais lorsque j’ai eu 38 ans, je me suis demandé si je pouvais encore suivre le rythme des jeunes. Je suis donc passé aux longueurs, comme tout le monde, mais je me suis demandé : « Pourquoi s’arrêter au bout de la piscine ? » J’ai donc commencé à nager sans m’arrêter. Cela m’a vraiment plu : je nageais 3 km par jour, ce qui me prenait une heure. Je me suis dit que je pourrais faire plus, alors je suis passé à 6 km par jour. Cela favorise l’introspection.
Comment sélectionnez-vous les lacs pour vos baignades caritatives ?
Je privilégie les endroits sympas qui me donnent envie de venir avec mes proches. J’adore nager en famille.
J’aime aussi l’idée de passer des frontières. Comme au lac de Constance, qui m’a permis d’aller d’Allemagne en Suisse puis en Autriche. Pour la nage du barrage Hoover, je suis allé d’Arizona au Nevada. L’un de mes critères est aussi que le nouveau défi soit plus long que le précédent.
Pourquoi avoir choisi le lac Skaneateles ?
L’oncle de mon mari vivait à Rochester, dans l’État de New York. Quand il est décédé, nous sommes allés à ses obsèques à Rochester, en passant par Skaneateles. Il y a 2 000 lacs dans l’Etat de New York, mais aucun n’est aussi beau que celui de Skaneateles ; l’eau y est claire comme de l’Evian et le fond est turquoise, par endroits. Je me suis dit : « C’est fou ? On se croirait aux îles Caïmans. En plus, la ville a connu un âge d’or encore palpable. C’est l’endroit le plus charmant qui soit. Et en plus, nos proches qui vient à New York peuvent facilement venir, ce qui nous permet de nous faire un week-end ensemble.
Quel est le moment le plus effrayant ou le plus désagréable que vous ayez vécu en nageant dans le cadre des vos nages Holy Moly ?
Le plus difficile a sans doute été cette nage de plus de 14 km à Hawaï, en 2012, entre Lanai à Maui. Je l’ai fait en eaux libres. Nous avions un véritable bateau équipé d’un sonar, d’un fusil harpon et d’un répulsif à requins. Je savais que les attaques de requins étaient rares, je n’avais pas peur. J’étais concentré sur ma nage.
Mais lorsque je me suis mis à l’eau, je me suis fait piquer par des méduses.
On ne les voit pas, mais elles sont partout. Pendant les cinq heures et demie non-stop durant lesquelles j’ai nagé, cela faisait le bruit du lait que l’on verse dans un bol de Rice Krispies. Un crépitement. J’ai été brûlé chimiquement cinq heures durant. À la fin, une fois arrivé à Lahaina, j’étais en larmes, à cause du stress.
C’était comment de faire son coming out gay au beau milieu des années 1990 ?
J’ai fait mon coming out en 1994 : j’étais en 10ème année [NDLT : l’équivalent français de la classe de Seconde]. J’ai commencé par le dire à mes parents, qui m’ont dit : « Nous t’aimons inconditionnellement, mais sache que tout le monde n’est pas aussi mûr ni capable de bien le vivre, alors dis-le seulement à ceux en qui tu as confiance. » Ce qui était un excellent conseil.
Il y avait 80 % de Juifs dans mon école, tout le monde s’en fichait. Je ne ressentais aucune homophobie, je me sentais en sécurité. J’étais le plus grand des jeunes du quartier. Je faisais déjà 2 mètres pour 115 kg. Tout le monde m’a soutenu.
Vous êtes fier de votre double nationalité américano-israélienne et vous portiez un pendentif avec une étoile de David dans « RuPaul’s Drag Race ». Avez-vous rencontré beaucoup d’antisémitisme ou de sentiment anti-israélien au sein de la communauté LGBTQ depuis le 7 octobre ?
J’ai toujours été très ouvert sur mon identité. Je suis à Fire Island en ce moment et nous avons un drapeau israélien sur le toit de notre maison. Dans l’ensemble, je dirais que les gays et lesbiennes sont plutôt pro-Israël et que les gens sont sympas avec eux. Il y a bien des gens sonores et désagréables en marge de la communauté, mais pas plus. Et personnellement, je n’ai jamais eu de problème.
Mais certains de mes amis, de mes connaissances, des gens que je connaissais depuis des années, m’ont littéralement laissé tomber. Tout comme ces hétéros qui n’ont subitement plus rien voulu avoir à faire avec moi, comme si je faisais moi-même la guerre là-bas.
Parlez-moi un peu de Boy Butter, l’entreprise que vous avez créée dans la maison de vos parents.
J’ai mis au point ce produit il y a de cela 21 ans. Je voulais un produit pour adultes, mais avec un packaging inspiré des rayons épicerie, pour qu’il ne suscite aucune gêne. À l’époque, la sexualité était encore entourée d’un halo de honte. Les gens ont adoré.
Depuis cette époque, ce puritanisme a reculé. Les lubrifiants sont passés des magasins pour adultes aux rayons des supermarchés. Ils se vendent maintenant comme n’importe quelle lotion pour le corps, mais le côté kitsch du produit demeure. On en parle notamment beaucoup sur HBO, par exemple dans le dernier épisode de « Sex and the City ».
C’est un boulot à plein temps, j’adore ce que je fais. Je participe à beaucoup de salons professionnels et je porte toujours mon étoile de David. Les gens savent que je suis israélien et on me demande parfois si le produit est casher.
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