“Nazis dehors” : des Allemands dans la rue contre l’AfD, la communauté juive inquiète
Avec 13 % des suffrages, ce parti climato-sceptique anti-élite, anti-islam et anti-Europe s'impose comme la 3e force politique du pays, 72 ans après la Seconde Guerre mondiale
Des centaines de personnes ont manifesté dimanche soir dans plusieurs villes d’Allemagne pour protester contre le parti de droite nationaliste AfD qui a enregistré une percée historique pour un tel mouvement aux élections législatives allemandes, brisant un tabou dans le pays qui se retrouve face à « un nouveau défi » selon les mots d’Angela Merkel.
Peu après l’annonce des résultats provisoires, des manifestations spontanées devant les quartiers généraux de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ont été organisées à Cologne où se sont rassemblées 400 personnes, Francfort, Munich et Berlin.
Dans la capitale allemande, un imposant cordon de police encadrait le rassemblement d’un peu moins d’un millier de manifestants réunis devant la salle louée par l’AfD pour sa soirée électorale à Alexanderplatz, en plein centre de Berlin.
Aux cris de « tout Berlin hait les nazis », « nazis dehors » ou encore « le racisme n’est pas une alternative », les manifestants, plutôt jeunes, ont laissé éclater leur colère.
"Nazis raus!" Immer mehr @afd-Gegner vor der #AfD Wahlparty in der Nähe des Berliner Alexanderplatz #BTW17 #DeutschlandWaehlt pic.twitter.com/TURxh1FafM
— Kate Brady (@BradyinBerlin) September 24, 2017
"Ganz #Berlin hasst die @AfD" / "The whole of Berlin hates the #AfD" #Alexanderplatz #GermanyDecides pic.twitter.com/E2CNN10sCF
— Kate Brady (@BradyinBerlin) September 24, 2017
La police berlinoise a annoncé sur Twitter deux arrestations suite à des débordements de manifestants contre les forces de l’ordre.
« Il va falloir montrer que nous n’acceptons pas qu’un tel parti siège au Bundestag », a déclaré à l’AFP Mathias, un manifestant.
Inquiétude de la communauté juive
L’Allemagne, en raison de son passé nazi, demeura longtemps l’un des rares pays européens à ne pas connaître de poussée de grande ampleur de mouvements identitaires et anti-migrants. Une évolution que connaissent depuis longtemps ses voisins français, néerlandais ou autrichien.
« Je suis très préoccupée par la démocratie dans notre pays », a réagi dimanche Charlotte Knobloch, présidente de la communauté juive de Munich et ancienne présidente du Conseil central des Juifs en Allemagne. « Ce résultat est un cauchemar devenu réalité, un changement historique. Pour la première fois, un parti d’extrême droite sera fortement représenté au Parlement ».
Le Conseil central des Juifs d’Allemagne, présidé par Josef Schuster, a appelé le pays « à se battre pour la démocratie et à défendre avec véhémence ses valeurs ».
Schuster a dit que le parti « tolère les pensées d’extrême droite et agite les minorités », espérant que les autres partis allemands « révéleront le vrai visage de l’AfD et démasqueront leurs promesses vides et populistes ».
Le Congrès juif mondial (WJC) a lui qualifié l’AfD de « mouvement réactionnaire honteux qui rappelle le pire du passé de l’Allemagne ».
Le ministère israélien des Affaires étrangères a affirmé peu après les premiers résultats qu’il n’avait « aucun commentaire » à faire sur la percée de l’AfD.
« Les fantômes du passé reviennent », s’inquiète de son côté l’hebdomadaire de référence Der Spiegel.
Et les autres partis populistes européens
Avec 13 % des suffrages, ce qui lui laisse espérer près de 90 députés, ce parti anti-élite, anti-islam et anti-Europe s’impose dimanche soir comme la troisième force politique du pays. Dans les régions plus défavorisées d’ex-RDA à l’est, où vivent peu d’étrangers, l’AfD a même obtenu 21,5 % des voix, devenant la deuxième force politique derrière les conservateurs de la CDU.
Née en 2013, l’Alternative pour l’Allemagne est déjà présente dans 13 des 16 Parlements régionaux allemands et au Parlement européen mais l’élection de députés AfD au Bundestag constitue un tournant dans l’histoire allemande d’après-guerre.
Mais, ostracisé par toutes les autres formations qui le qualifie de « honte pour l’Allemagne », l’AfD n’a aucune chance de figurer au prochain gouvernement, sans doute dirigé une nouvelle fois par Angela Merkel.
« Nous allons changer ce pays », a lancé la co-tête de liste, Alexander Gauland, en promettant de mener « une chasse » contre Angela Merkel et de « regagner notre pays et notre peuple ».
Pour l’autre co-tête de liste, Alice Weidel, l’AfD a enregistré un « résultat éblouissant ». « Nous sommes là pour rester », a-t-elle assuré.
Elle a promis que le premier geste de son parti serait de réclamer une commission d’enquête parlementaire sur la décision d’Angela Merkel d’ouvrir la porte de son pays aux réfugiés en 2015 et 2016.
Les chefs de file de l’extrême droite française, Marine Le Pen, et néerlandaise, Geert Wilders, ont félicité dimanche l’AfD, parti de droite nationaliste qui a enregistré une percée historique lors des élections législatives en Allemagne.
« Bravo à nos alliés de l’AfD pour ce score historique ! C’est un nouveau symbole du réveil des peuples », a écrit Mme Le Pen, présidente du parti Front national (FN), sur Twitter.
« Je félicite @FraukePetry (coprésidente de l’AfD, ndlr) et @AfD », a déclaré de son côté Geert Wilders, chef du Parti de la liberté (PVV), également sur Twitter, avant de publier une photo de lui aux côtés de Marine Le Pen et de Frauke Petry.
« Le PVV est 2e aux Pays-Bas, le FN est 2e en France, le FPÖ (extrême droite, ndlr) est 2e en Autriche, l’AfD est 3e en Allemagne. Le message est clair. Nous ne sommes pas des nations islamiques », a-t-il poursuivi.
Le PVV a remporté 20 sièges aux élections législatives de mars 2017, faisant de lui le deuxième parti à la chambre basse des Pays-Bas.
Un eurodéputé allemand de l’AfD siège au sein du groupe « Europe des Nations et des Libertés » (ENL) au Parlement européen, aux côtés de cinq élus du FN et quatre du PVV.
L’AfD, malgré une guerre fratricide entre ses dirigeants, a su profiter du mécontentement dans une partie de la société allemande né de l’afflux de plus d’un million de demandeurs d’asile en 2015 et 2016.
Si quelques élus au passé nazi ou membre de petites formation de droite dure ont siégé dans le passé au Bundestag, le score de l’AfD marque « une césure historique », analyse l’historien Michael Wolffsohn. « Pour la première fois, un parti nettement à droite du centre et à certains égards d’extrême-droite sera représenté au Bundestag ».
Agitateur des peurs face aux migrants essentiellement musulmans, l’AfD a multiplié les sorties fracassantes avec une présence massive sur les réseaux sociaux.
Le parti, dont une frange souhaite un rapprochement avec le Front national français ou le FPÖ autrichien, a radicalisé son discours depuis sa création, adoptant la stratégie inverse d’une Marine Le Pen qui a cherché à « dédiaboliser » le FN.
Durant cette campagne, Alexander Gauland a dénoncé une « islamisation grandissante de l’Allemagne ». Cet ancien militant de la CDU d’Angela Merkel, âgé de 76 ans, a assuré que le terrorisme trouvait ses racines dans le Coran.
Ses sympathisants ont perturbé à maintes reprises les meetings de la chancelière, en particulier dans l’ex-RDA (est) où le rejet des autorités fédérales est jugé préoccupant.
« La République va changer », indique à l’AFP le politologue de Düsseldorf, Fabian Virchow.
« Au Bundestag, les autres partis vont se déplacer un peu vers la droite sur les questions d’ordre et de sécurité », juge le chercheur.
Une partie de ses cadres puise volontiers dans le vocabulaire nazi, en qualifiant Angela Merkel de « traître à la patrie » par exemple, et remet en cause le consensus mémoriel des Allemands basé sur le repentir.
Alexander Gauland n’a pas hésité à vanter « les performances des soldats » de l’armée d’Hitler et certains candidats ont tenu des propos révisionnistes.
Partisan d’une sortie de l’Allemagne de l’euro, l’AfD prône des positions traditionnelles sur la famille. Climato-sceptique, le parti réclame également l’annulation de l’Accord de Paris sur le climat.