Netanyahu, le conservateur conciliant
Le Premier ministre, s’auto félicitant de sa gestion prudente sur l’économie nationale, n’aime pas la guerre et ses incertitudes
« L’expérience nous enseigne que dans des temps comme ceux-ci, il nous incombe d’agir calmement et responsablement, sans insouciance ou rhétorique excessive ».
Cette phrase a été prononcée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu dimanche comme pour réprouver les ministres de son cabinet qui demandaient une réponse plus forte à l’augmentation du nombre de tirs de roquettes depuis Gaza au début de la semaine. Les ministres n’avaient effectivement pas été très délicats dans leurs critiques.
« Il n’est pas possible qu’après l’enlèvement et le meurtre de trois adolescents et deux semaines consécutives d’attaques à la roquette, l’attitude d’Israël soit encore de dire ‘le calme entraînera le calme’ », s’est moqué le ministre des Affaires étrangères Avidgor Liberman vendredi dernier au cours d’une visite en périphérie de Gaza.
« Il faut donner au Hamas une leçon afin de ramener le calme aux communautés et aux résidents du Sud », a exigé le ministre de l’Intérieur Gideon Saar, peu connu comme figure de la sécurité nationale, mais néanmoins un des personnages clef du propre parti de Netanyahu, le Likud.
Tous ces commentaires n’ont pas affecté Netanyahu. Depuis plusieurs jours, il dirige l’armée, supporte une colère et un ressentiment collectif grandissants de ses ministres (et, il faut bien le dire, des résidents du sud constamment frappés par les roquettes) et s’est efforcé d’expliquer la difficile situation d’Israël aux dirigeants du monde.
Lundi, cette retenue lui a coûté très chère puisque Liberman, et avec lui les onze députés d’Israël Beytenu, ont quitté la coalition avec le Likud. Cela réduit le groupe du Premier ministre pour diriger de 31 à 20 membres sur les 120 membres de la Knesset au total. Cette rupture proviendrait de désaccords « fondamentaux » sur la gestion par Netanyahu de la situation à Gaza.
« La réalité dans laquelle nous vivons, avec des centaines de roquettes aux mains d’une organisation terroriste qui peut décider à tout moment de les utiliser, est intolérable », a déclaré Liberman au cours d’une conférence de presse organisée à la hâte pour expliquer sa décision.
« Les suggestions sont d’attendre, d’écouter, de prendre du temps : je ne vois pas du tout pourquoi nous attendons. A la fin de 2015, le Hamas aura des milliers de roquettes avec une portée de 80 kilomètres. Nous devons mettre un terme à cette situation. Nous ne pouvons pas vivre sous cette menace permanente où 1,5 million de personnes doivent être prêtes à courir aux abris à n’importe quel moment ».
Liberman s’est pourtant exprimé trop tôt. Le jour suivant, à cause d’une escalade de tirs de roquettes par le Hamas et une explosion inexpliquée (et en partie censurée) dans un tunnel du Hamas près de Kerem Shalom, Netanyahu a finalement donné l’ordre de lancer l’opération Bordure protectrice, une campagne aérienne intensive sur des cibles du Hamas dans la bande de Gaza.
Le conflit marque seulement la deuxième fois, au cours de ses huit années de pouvoir, que Netanyahu a ordonné une action militaire, un record remarquable pour le Premier ministre avec la deuxième plus longue durée en fonction dans l’histoire d’Israël. La dernière fois, c’était encore avec Gaza, en novembre 2012.
Ce conflit avait également montré l’engagement de Netanyahu à se contenir, avec la puissance de feu de l’armée prudemment dirigée loin des cibles civiles et, à la fin de huit jours de bombardement aérien mutuel, une décision fatidique d’éviter d’envoyer des troupes au sol au profit d’un cessez-le-feu imparfait. Le cessez-le-feu a été accepté par le cabinet malgré que le Hamas ait envoyé une bombe sur un bus à Tel Aviv peu de temps avant.
Netanyahu a aussi cherché une solution non violente à la crise actuelle, un fait attesté non par son propre porte-parole mais par les services de renseignement égyptiens, selon des rapports, et par des proches de l’activiste de gauche Gershon Baskin, dont les liens avec le Hamas ont aidé à obtenir la libération de Gilad Shalit en 2011.
Baskin n’est pas connu comme étant un grand soutien de Netanyahu, et c’est un euphémisme de le dire.
« Les dirigeants du Hamas ont décidé d’ignorer la possibilité d’un cessez-le-feu », proposé par Baskin à travers ses contacts, « et ont au contraire défié Israël de ‘se lancer’… je peux dire honnêtement que Netanyahu ne voulait pas une escalade de cette guerre », a-t-il dit.
Une retenue stratégique
Dans une défense éclatante du rôle oublié de l’ancien Premier ministre Levi Eshkol dans la guerre de Six jours de 1697, l’historien et ancien ambassadeur Michael Oren a ainsi caractérisé les contributions en temps de guerre d’Eshkol : « Eshkol avait compris bien mieux que les autres hommes d’état israéliens la nécessité de garantir le soutien américain pour Israël, et de résister à la pression de commencer une action militaire avant que ce soutien ne soit assuré. Une fois que la guerre des Six-Jours a commencé, il a pourtant rejeté les exigences internationales d’arrêter l’avance d’Israël avant qu’il n’ait atteint ses objectifs… en fin de compte, Eshkol a eu un rôle clé pour déterminer l’issue des deux batailles les plus fatidiques de le guerre, et dans toute l’histoire d’Israël, pour Jérusalem et pour le plateau du Golan ».
Au cours de la préparation de la guerre de 1967, Moshe Dayan et les hauts gradés de l’armée avaient préconisé une frappe immédiate pour reprendre l’initiative après le déploiement à la mi mai des troupes égyptiennes dans le Sinaï et la fermeture suivante du 22 mai du Détroit de Tiran. Eshkol s’est retenu pendant deux semaines, l’infâme « période d’attente » en envoyant des messages frénétiques (avec le ministre des Affaires étrangères Abba Eban), et dialoguant avec les capitales occidentales.
Ce délai, qui a coûté très cher à Eshkol à l’intérieur du pays, créant tellement d’inquiétude parmi la population qu’il a été forcé de nommer l’ancien général Dayan comme ministre de la Défense le 1er juin, a été très payant lorsque que les hostilités ont commencé.
L’armée avait utilisé ce temps pour rappeler tous les réservistes et pour entraîner précisément l’aviation à mener des raids aériens sur les aéroports militaires ennemis, ce qui allait se révéler décisif dans les premiers jours de la guerre.
Avec du recul, le ménagement prudent de Washington par Eshkol au cours de cette période semble avoir été un élément capital dans la volonté de la Maison Blanche, alors sous Johnson, de retarder toute action des Nations Unies contre Israël au cours des combats, même pour éviter une menace soviétique directe d’intervenir sur le front syrien.
C’est Eshkol, et non pas le plus charismatique Dayan, qui a pris certaines des décisions déterminantes et difficiles de la guerre. Sur le plateau du Golan, Dyan a préconisé que les villages israéliens soient déplacés loin de la frontière syrienne, une action qui, selon lui, serait préférable à toute tentative de prendre le Plateau par la force afin de faire taire les armes syriennes.
C’est Eskhol qui a poussé à prendre le Plateau du Golan. A Jérusalem, au contraire, Eshkol préconisait la retenue. Tandis que les généraux voulaient absolument prendre la Vieille ville et que l’artillerie jordanienne faisait pleuvoir les obus sur les quartiers juifs de la ville, Eshkol a retardé l’avancée vers l’est de l’armée afin d’offrir un accord de trêve avec le roi de Jordanie King Hussein. Lorsque Hussein a ignoré l’accord, à la vue de l’administration américaine, la poussée israélienne vers Jérusalem a reçu le soutien tacite des Américains.
L’historien militaire Eliot Cohen considère que les dirigeants civils qui comprennent le contexte politique plus large de la guerre, ont tendance à prendre de meilleures décisions en temps guerre que les généraux grisonnants qu’ils supervisent. Il est difficile de penser à un dirigeant méritant plus cet éloge que le politicien tourné vers le peuple qui a conduit un pays effrayé à travers un triomphe militaire sans équivoque.
L’inflexible
Au cours de ses trois mandats, Netanyahu a souvent été décrit dans la presse internationale comme un ‘inflexible’. En effet, si l’on en vient aux négociations de paix avec les Palestiniens, il y est clair qu’il a fixé la barre plus haut pour les exigences d’Israël que certains de ses opposants à gauche ne l’auraient fait.
Pourtant, si l’on examine les conflits armés, ‘l’inflexible’ s’est révélé moins enclin à des actions militaires que n’importe quel Premier ministre dans l’histoire d’Israël. En cela, il ne suit pas la tradition des dirigeants du Likoud comme Menachem Begin ou Ariel Sharon qui n’hésitaient pas devant la confrontation militaire. Il s’inscrit plutôt dans le pas d’Eshkol, le dirigeant de gauche du Mapai, qui préférait la diplomatie et la politique à la guerre et qui n’a jamais perdu de vue les objectifs politiques plus globaux, même dans l’effervescence de la bataille.
Comme Eshkol, Netanyahu a construit une part significative de sa réputation politique sur son bilan comme ministre des Finances compétent. Comme Eshkol, il ne veut pas aller en guerre sans prendre grand soin de s’assurer que les alliés d’Israël à l’étranger comprennent la situation. Et comme Eshkol, il ne semble pas affecté par les grandes déclarations de ses rivaux politiques.
S’il s’auto félicite de sa gestion prudente de l’économie israélienne prospère, Netanyahu n’aime pas les incertitudes et les conséquences inévitables et involontaires de la guerre.
Aucun politicien élu ne peut rester longtemps au pouvoir si on ne le voit pas agir avec force face aux tirs de roquettes injustifiés sur les citoyens. Il se peut que Netanyahu continue l’escalade dans la confrontation avec le Hamas, y compris jusqu’à une coûteuse incursion terrestre dans une bande de Gaza avec une très forte densité de population.
S’il choisit cette option, toute dans sa longue expérience de service public suggère que la campagne sera calibrée avec précision, limitée dans son but, et aussi courte que possible.
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