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Patrick Modiano couronné du prix Nobel de littérature

Né d'un père juif italien proche de la Gestapo et de la pègre, il est l'auteur d'une oeuvre singulière marquée par l'Occupation allemande

Patrick Modiano - 9 octobre 2014 (Crédit : AFP PHOTO / THOMAS SAMSON)
Patrick Modiano - 9 octobre 2014 (Crédit : AFP PHOTO / THOMAS SAMSON)

En archéologue de la mémoire qui ne peut écrire que sur le passé, notamment les années 1940, Patrick Modiano, couronné jeudi par le Nobel de littérature, est l’auteur d’une oeuvre singulière, quête identitaire sans fin, entre romantisme et roman policier en trompe-l’oeil.

Le manque de tendresse dans son enfance le hante. On peut même se demander si toute son oeuvre n’est pas une longue lettre adressée à ses parents. Toujours est-il que le jeune mal aimé a donné aux lettres françaises une trentaine d’ouvrages, autant de bijoux de mélancolie et de mystère.

Patrick Modiano publie son premier roman La place de l’étoile en 1967, à 22 ans. Il obtient en 1972 le Grand Prix du Roman de l’Académie française pour Les Boulevards de ceinture, le Goncourt en 1978 avec Rue des Boutiques Obscures et le Grand prix national des lettres pour l’ensemble de son oeuvre en 1996.

Depuis, cet homme intranquille, d’une courtoisie parfaite, a conquis le public avec des fictions, comme Dora Bruder (1997), Un pedigree (2005), Dans le café de la jeunesse perdue (2007), L’herbe des nuits (2012) et Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, son 28e roman paru, en octobre 2014.

L’auteur y vogue de nouveau dans ses souvenirs. Une citation de Stendhal, en exergue, donne le ton de cette ballade dans le passé sur laquelle planent abandon, secrets et menace diffuse : « Je ne puis donner la réalité des faits, je n’en puis présenter que l’ombre ». Tout Modiano s’y retrouve…

De ses livres, un néologisme est né : « modianesque » pour évoquer un personnage (ou une situation) ni logique, ni absurde, à mi-chemin entre deux mondes, entre ombre et lumière.

Modiano, qui n’éprouve aucun goût pour l’introspection, considère que plus les choses sont mystérieuses, plus elles sont intéressantes : « Et même j’essayais de trouver du mystère à ce qui n’en avait aucun », a-t-il admis dans « Un pedigree », un texte autobiographique.

Le terreau de l’Occupation allemande

On ne sait jamais vraiment d’où viennent ses personnages, parfois récurrents d’un livre à l’autre, ni ce qu’ils pensent réellement. Leur biographie reste incertaine.

On les croise dans un Paris banal pour l’oeil profane mais soudain paré, sous la plume du romancier, d’une beauté grise et nostalgique. Ses pages fourmillent de noms de rues parisiennes ou de banlieue, de places, de cafés, de stations de métro et de patronymes.

De beaucoup d’écrivains, on dit qu’ils font toujours le même livre : c’est particulièrement vrai de son oeuvre homogène, émouvante et distanciée. Des romans, qui sont comme « les motifs d’une tapisserie que l’on aurait tissée dans un demi-sommeil », selon ses propres mots. Longues rêveries sur la réalité, écrites dans une langue classique, précise et sobre.

« L’Occupation, c’est comme un terreau sur lequel j’ai poussé », dit l’écrivain de 69 ans qui a bâti plusieurs romans (« Remise de peine », « Quartier perdu », « Villa triste » ) sur cette période. Peu importe qu’il ne l’ait pas connue, il a su exprimer très tôt le rapport, forcément compliqué, du pays à la Collaboration avec l’occupant allemand.

Son père, Alberto Modiano, juif italien proche de la Gestapo et de la pègre, rencontre en 1942 à Paris une jeune comédienne flamande, Louisa Colpeyn.

Trois ans après, naît leur premier fils, Patrick, le 30 juillet 1945 à Boulogne, près de Paris. Le jeune Patrick vit une enfance vagabonde et solitaire, souffrant de longs séjours en pensionnats. Son frère cadet, Rudy, meurt en 1957 : il lui dédiera ses premiers livres.

Avec humour, il dira que leur mère avait le coeur si sec que son chow-chow, brisé par son indifférence, se serait suicidé en se jetant par la fenêtre.

A 17 ans, il décide de ne plus jamais voir ce père haï, qui sera la cible de plusieurs de ses livres. Il tiendra parole. Il cesse les études après le baccalauréat et, soutenu par Raymond Queneau, ami de sa mère, se met à écrire : « Je n’avais pas 20 ans mais ma mémoire précédait ma naissance ».

Livre après livre – écrits à la main, pour lutter contre le côté « abstrait » de l’exercice -, il va construire son musée imaginaire, hors des modes, jusqu’à être considéré comme un classique en France. Ses ouvrages se vendent bien, y compris à l’étranger, même si on ne le voit pas à la télévision.

Grand, le teint pâle, le regard doux, le visage un peu douloureux, il est connu pour sa difficulté à s’exprimer, sa discrétion et son indifférence aux honneurs, lui qui a refusé d’entrer à l’Académie française.

Cet amateur de fait divers, marié depuis 1970 avec Dominique Zehrfuss et père de deux filles, ne s’est toutefois pas retiré du monde. En 1974, il écrit, avec le cinéaste Louis Malle, le scénario du film à succès, « Lacombe Lucien », histoire d’un adolescent dans la France de 1944.

Il est l’auteur d’un essai avec Catherine Deneuve sur sa soeur tôt disparue, Françoise Dorléac. Juré en 2000 du festival de Cannes, il a aussi écrit des paroles de chansons, comme « Etonnez-moi Benoît ! », interprétée par Françoise Hardy.

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