Pendant des siècles les Juifs de Sarajevo ont célébré un autre Pourim
Un bon nombre des 900 Juifs de Bosnie célèbrent cette semaine la première des deux fêtes annuelles de Pourim, une coutume qui se retrouve en Italie, en Espagne ou au Maghreb
JTA — Depuis ce lundi, de nombreux Juifs du monde entier ont célébré Pourim de la même manière : en lisant l’histoire héroïque de la reine Esther, en enfilant des costumes festifs et en buvant de l’alcool.
Pour un grand nombre des 900 Juifs – environ – qui sont originaires de Bosnie-Herzégovine, ce sera la première de deux fêtes de Pourim.
Depuis 1820, les locaux observent également le Pourim de Saray (Saray étant l’une des racines du mot « Sarajevo ») qui a lieu au début du mois hébreu de Cheshvan, qui tombe habituellement au mois de septembre ou au mois d’octobre du calendrier grégorien.
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Cette année-là, raconte la légende, un derviche locale avait été assassiné, amenant le pacha ottoman corrompu de Sarajevo, un responsable de haut-rang, à kidnapper 11 Juifs de premier plan au sein de la communauté, et notamment le grand-rabbin, un kabbaliste nommé Moshe Danon. Le pacha les avait accusés du meurtre du derviche – un Juif qui s’était converti à l’Islam – et il avait demandé une rançon pour leur libération à la communauté, consistant en 50 000 groschen d’argent.
Mais le pacha, qui venait d’une autre partie de l’empire ottoman, avait profondément offensé la population multiethnique de Sarajevo qui considérait la communauté juive – elle constituait alors environ un cinquième des habitants de la ville – comme partie intégrante d’elle-même. Et les Juifs, les musulmans et les chrétiens locaux s’étaient révoltés, mettant à sac le palais du pacha et libérant les prisonniers.
Depuis, les Juifs bosniaques célèbrent cette histoire en se rendant sur le tombeau d’un historien juif de Sarajevo, Zeki Effendi, qui avait été le premier à la raconter. Un pèlerinage a également lieu, tous les étés, sur le tombeau du rabbin Danon, qui est enterré dans le sud de la Bosnie, non loin de la frontière avec la Croatie. Il s’est éteint alors qu’il voyageait vers la Terre d’Israël, qui était placée sous le contrôle ottoman à ce moment-là.
Depuis des siècles, d’autres communautés juives du monde entier ont leurs propres versions de Pourim sur la base de récits de résistance locale à l’antisémitisme, inspirées par Esther et par son oncle Mordecai qui, dans l’histoire originale, sauvent tous les Juifs de Perse d’une mort certaine au cinquième siècle avant l’ère commune.
Voici certaines histoires à l’origine de ces traditions.
Ancone, Italie
Les Juifs s’étaient établis à Ancone et dans ses environs, sur la côte adriatique d’Italie, au 10e siècle et, au 13e siècle, la communauté était prospère, incluant des personnalités telles que le marchand juif Jacob d’Ancone — qui pourrait avoir précédé Marco Polo en Chine – et le célèbre poète Immanuel le Romain qui, malgré son titre, était né dans une ville du sud d’Ancone.
Même si la communauté juive de la ville a été largement épargnée par la Shoah, elle a lentement décliné au fil des années et elle ne serait constituée que de moins d’une centaine de membres aujourd’hui. Les histoires locales de Pourim, pour leur part, ne manquent pas et la ville est connue pour les célébrations multiples de la fête qui ont été établies au cours des siècles.
La première, qui a lieu au 21e jour du mois hébraïque de Tevet (qui tombe habituellement en janvier) a fait son apparition au 17e siècle et elle marque un séisme qui a presque détruit la ville.
« Au 21e jour de Tevet, un vendredi soir de l’année 5451 (1690), à 20h15, il y a eu un tremblement de terre puissant. Les portes du temple ont immédiatement été ouvertes et, en l’espace d’un instant, il s’est rempli d’hommes, de femmes et d’enfants, encore à moitié vêtus et les pieds nus, venus prier l’éternel devant l’arche sacrée. Un véritable miracle est alors survenu dans le temple : il n’y avait qu’une seule lumière qui était restée éclairée jusqu’au lever du soleil », avait écrit le rabbin vénitien Yosef Fiammetta en 1741 dans son texte Or Boker, qui signifie « la lumière du matin ».
D’autres fêtes de Pourim ont fait leur apparition un demi-siècle et trois-quarts de siècles plus tard, respectivement. L’histoire de la première célébration commémore des incendies qui ont presque détruit la synagogue locale qui était malgré tout restée debout de façon miraculeuse, et la suivante rappelle un pogrom qui a presque détruit la communauté lors de la marche de Napoléon à travers l’Italie.
Aujourd’hui, ces récits ont largement été oubliés. Mais il y a quelques siècles, il y avait une forte concentration en Italie de communautés qui célébraient des fêtes locales de Pourim – à Casale Monferrato, à Ferrara, à Florence, à Livorno, à Padua, Senigallia, à Trieste, à Urbino, à Vérone et à Turin, entre autres — certaines encore au 20e siècle.
« Il faut espérer que les fêtes locales de Pourim ne seront pas oubliées ou qu’elles reviendront au sein des communautés qui n’ont pas totalement disparu », avait écrit feu le rabbin italien Yehuda Nello Pavoncello, selon la communauté juive de Turin, « de manière à ce que la mémoire des événements nous reconnecte aux liens infinis de la chaîne des générations qui nous ont précédés et qui ont souffert ».
Afrique du Nord
Ce phénomène ne s’est pas limité à l’Europe.
À Tripoli, en Libye, les Juifs locaux ont créé le « Pourim Barghul » après la déposition d’un tyran local à la fin du 18e siècle. Ali Burghul, un officier ottoman qui avait pris ses fonctions après la chute de la dynastie des Qaramanli, a gouverné la région avec brutalité pendant deux ans. Il etait particulièrement dur à l’égard des minorités. Après la réconciliation des factions de la dynastie des Qaramanlis, Burghul a été chassé et les Juifs ont continué à célébrer ce jour, le 29 de Tevet (habituellement en janvier).
(Des siècles plus tard, en 1970, le dictateur Mouammar Kadhafi a instauré sa propre fête, le Jour de la vengeance, qui célébrait l’expulsion des fonctionnaires italiens de Libye ; certains disent qu’il célébrait également l’exode des Juifs depuis la formation de l’État d’Israël. Quelques années après le décret de Kadhafi, la communauté juive de Libye ne comptait plus qu’une vingtaine de personnes, mettant ainsi fin à près de 3 000 ans d’histoire juive dans ce pays).
Dans le nord du Maroc, les Juifs commémoraient la défaite d’un roi portugais, Don Sebastian, qui avait tenté de s’emparer de certaines parties du pays mais qui a été vaincu lors d’une bataille en août 1578. Les Juifs craignaient que s’il était parvenu à ses fins, il aurait tenté de les convertir au christianisme.
Il ne reste aujourd’hui guère plus de 2 000 Juifs au Maroc, mais certaines communautés marocaines ont continué à célébrer cette journée jusqu’au 21e siècle.
Saragosse
Les spécialistes ne sont toujours pas d’accord sur la ville qui aurait servi de point de départ à l’histoire de Pourim : ce pourrait être Saragosse, en Espagne, ou Syracuse, dans le sud de la Sicile, souvent appelée Siragusa à l’époque médiévale. Ces deux villes faisaient partie de l’empire espagnol en 1492 et les Juifs qui y vivaient ont été chassés par l’Inquisition.
Quoi qu’il en soit, les descendants séfarades du monde entier, y compris en Israël et dans la ville turque d’Izmir, célèbrent leur propre Pourim en jeûnant le 16 du mois hébraïque de Shevat – généralement en février – et en festoyant le 17.
La petite histoire narre comment un apostat nommé Marcus a calomnié la communauté juive auprès d’un roi non juif, la mettant ainsi en danger. Mais à la dernière minute, la tromperie de Marcus a été révélée et il a été exécuté tandis que la communauté a été sauvée.
L’histoire pourrait avoir été entièrement inventée. Selon l’historien juif Elliot Horowitz, il est possible que le recours à ce second récit pour Pourim ait été un moyen pour les descendants des Juifs séfarades, qu’ils soient d’origine espagnole ou sicilienne, de conserver une identité unique au sein de la grande diaspora séfarade.
« Les communautés juives de la Méditerranée orientale au début de la période moderne étaient souvent composées de sous-communautés d’émigrés, chacune se distinguant par les coutumes et la liturgie de son lieu d’origine », écrit-il dans son livre de 2006 intitulé Reckless Rites: Purim and the Legacy of Jewish Violence. « Le ‘Pourim de Saragosse’, dont les premières traces manuscrites ne datent que du milieu du XVIIIe siècle, pourrait bien avoir été ‘inventé’ par d’anciens ‘Saragossans’ désireux de maintenir leur identité distincte au sein de la diaspora séfarade multiculturelle de l’est de la Méditerranée. »
Quelle que soit son origine, le texte de la Megillah de Saragosse a continué à être publié au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il était tellement répandu qu’un rabbin réformé américain de New York a publié une pièce de théâtre basée sur ce texte dans les années 1940.
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