Plaidoyers pour l’Holocauste, à l’intention de Trump – en 15 minutes
Le président américain passera un quart d'heure à Yad Vashem, à peine le temps de déposer une couronne de fleurs et d’écouter un - petit - discours. Voici ce que les historiens et éducateurs pensent qu’il devrait entendre

Rav Yisrael Salanter, le célèbre fondateur du mouvement lituanien du Moussar, au XIXe siècle, une école de pensée qui met l’accent sur l’éthique personnelle et l’introspection, a reçu un jour un membre de sa communauté.
« Je n’ai pas le temps de dédier ma vie à l’étude de la Torah. Je n’ai que 15 minutes par jour », a expliqué le jeune homme au rabbin, selon la légende. « Que me recommandez-vous d’étudier durant ce laps de temps ? La Bible ? Le Talmud ? La loi juive, peut-être ? »
Sans une once d’hésitation, Rav Yisrael Salanter a répondu, de toute évidence, qu’il devrait mettre ces 15 minutes à profit pour étudier le Moussar.
« Si vous étudiez le Moussar pendant 15 minutes, vous réaliserez que vous avez bien plus que 15 minutes par jour à consacrer à l’étude de la Torah. »
Mardi, dans le cadre de son voyage en Israël, le président américain Donald Trump passera 15 minutes à Yad Vashem, le mémorial officiel pour les victimes de la Shoah. C’est une étape incontournable pour tous les dignitaires étrangers qui viennent en Israël.
En plus d’un court dépôt de couronnes de fleurs sur le mont Herzl, généralement un passage obligé pour les chefs d’États (bien que Trump, dont le déplacement tranche avec un série de protocoles bien ancrés, ne passera pas par là-bas), l’escale à Yad Vashem est la seule étape obligatoire sur le parcours des invités de haut-rang qui effectuent leur premier voyage en Israël.
D’ordinaire, la visite du musée prend au moins une heure et demie et se conclut par une cérémonie de dépôt d’une couronne de fleurs. Elle fait partie du protocole du ministère des Affaires étrangères depuis que la Knesset a adopté la Loi de Yad Vashem, en 1953, qui mandate la création d’une Autorité pour la commémoration des martyrs et des héros.

Selon le programme du voyage de Trump diffusé par le Bureau du Premier ministre, Trump devrait arriver à Yad Vashem vers 13 heures, mais est attendu au Musée d’Israël, à quelques minutes de voitures, à 13h30, afin de prononcer son discours principal à 14 heures.
Les responsables israéliens ont été ravis d’apprendre la semaine dernière que la visite à Yad Vashem aurait bien lieu, contrairement à ce qu’indiquaient les premières versions du programme, mais certains estiment que 15 minutes ne suffisent pas pour rendre hommage au lieu et aux victimes qu’il commémore. Une visite d’une heure aurait été « le minimum requis » pour marquer le respect dû au complexe de 18 hectares, selon un responsable qui a souhaité conservé l’anonymat.
Cependant, Yad Vashem a publiquement salué l’annonce de la visite et ne s’est pas exprimé sur sa durée.
« Bien que le séjour du président en Israël soit bref, il a choisi de rendre hommage aux 6 millions de victimes tuées pendant l’Holocauste en participant à une cérémonie commémorative dans le Hall du Souvenir », a déclaré le musée dans un communiqué sans fioriture.
Durant sa visite, Trump déposera une couronne de fleurs, signera le Livre du Souvenir et entendra une courte explication sur le musée de Yad Vashem de la part du président Avner Shalev, selon le communiqué. De plus, Trump et Netanyahu prononceront de courtes allocutions.
Le président, qui fera donc l’impasse sur la visite du complexe du musée qui détaille l’Histoire de la Shoah, recevra des mains de Shalev un « symbole de commémoration », une réplique exacte d’un album personnel de l’ère de l’Holocauste, qu’il pourra étudier après sa visite.

L’album appartenait à Ester Goldstein, née en 1956 à Berlin et tuée à Riga, à l’âge de 16 ans. Après la libération, le cousin d’Ester, David Werner est revenu dans la maison familiale des Goldstein à Berlin, où une voisine lui a confié une boite de papiers qu’elle avait gardée durant la guerre. Parmi ces papiers se trouvait cet album, qu’il a donné à la seule survivante de la famille, Margot Herschenbaum, sœur d’Ester, qui avait été envoyée en Australie par le Kindertransporte. En 2006, Herschenbaum a fait don de l’album à Yad Vashem pour qu’il soit préservé. Aujourd’hui âgée de 88 ans, elle fera partie des survivants présents lors de la visite présidentielle.
L’album contient « des messages d’espoirs et d’amitiés écrits par Ester et ses proches. Certaines pages sont ornées d’illustrations optimistes et innocentes, tandis que d’autres incluent des photos d’êtres chers », explique Yad Vashem dans une déclaration.
« Nous espérons que ce sera représentatif pour le président, et qu’il repartira avec le souvenir des 6 millions de victimes de la Shoah », a déclaré un porte-parole de Yad Vashem au Times of Israël.
Cette visite ne sera pas la première tentative de la part du musée d’instruire Trump sur les détails et le sens de la Shoah.
Dans ce qui ressemblait à un reproche envers Trump, qui n’avait pas cité le génocide des Juifs dans son communiqué lors de la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste, en janvier, Yad Vashem avait diffusé un communiqué dans lequel il souligne que « l’Holocauste était le génocide sans précédent de 6 millions de Juifs ».
La déclaration, destinée à résumer les activités du musée dans le cadre de la Journée internationale de la commémoration de l’Holocauste, met l’accent sur le fait que l’Holocauste était un évènement « motivé par une idéologie radicalement raciste et antisémite, qui cherchait à annihiler le peuple juif, sa culture, et son héritage ».
Le musée avait écrit que « l’intention barbare des Nazis, d’exterminer un peuple entier violait les tenants fondamentaux de la moralité humaine, faisant ainsi de l’Holocauste un évènement distinct, porteur d’un sens universel », en contraste net avec le message de l’administration Trump qui avait affirmé, après avoir essuyé une pluie de critiques, que l’Holocauste était à l’origine d’une souffrance universelle.
De plus, Yad Vashem avait souligné « l’impératif de comprendre l’Holocauste de manière historiquement correcte, afin de s’assurer qu’il perdure dans les consciences collectives de par le monde. »
Chaque minute des 28 heures du séjour de Trump étant millimétrée, il est peu probable que les 15 minutes qu’il passera à Yad Vashem, dans l’esprit de Rav Salanter, lui feront réaliser qu’il a davantage de temps à consacrer à l’étude et à la commémoration de la Shoah. Mais le musée espère que ce petit laps de temps aura un impact sur le président.
Mais que dire en si peu de temps ? Voici quelques suggestions d’éducateurs et d’historiens de la Shoah, qui proposent le discours qu’ils auraient prononcé s’ils avaient, comme à Yad Vashem, 15 minutes pour parler à Trump de la Shoah.
Efraim Zuroff
Directeur du Centre Simon Wiesenthal à Jérusalem, historien et chasseur de Nazis, il a joué un rôle clef dans la poursuite en justice de nazi et criminels de guerre fasciste
Cher président Trump,
J’ai été très peiné d’apprendre que vous ne passerez que 15 minutes à Yad Vashem durant votre séjour à Jérusalem.
Ce qui m’inquiète, ce n’est pas que vous n’en n’apprendriez pas assez sur la Shoah. Après tout, Yad Vashem n’est pas le seul musée de la Shoah au monde et le plus grand d’entre eux n’est pas très loin de la Maison Blanche. Mon problème, c’est le message qu’envoie une si courte visite. Votre prédécesseur a fait une grave erreur lors de son discours au Caire, qui était censé améliorer définitivement les relations entre l’Amérique et le monde arabe, quand il a indiqué que l’existence d’Israël en tant qu’État juif était justifiée par la Shoah. C’était une dangereuse modification de l’Histoire, qui n’a fait que renforcer l’intransigeance et la détermination des arabes à ne pas se laissez victimiser pour les crimes des autres.
Et pourtant, même si la Shoah n’est pas à l’origine de notre revendication pour notre patrie, ses leçons pour l’humanité résonnent dans le monde, et aujourd’hui plus que jamais, et constitue le fondement le plus puissant pour la lutte pour la démocratie, la liberté, les droits de l’Homme, ces valeurs que l’Amérique défend, ainsi que la lutte contre le terrorisme islamiste, le fondamentalisme et l’antisémitisme, qui doivent constituer la base de tout accord.
Une visite plus élaborée à Yad Vashem, et particulièrement au Musée de la Shoah, aurait transmis ce message avec davantage de puissance.
Raphael Madoff
Directeur fondateur du The David S. Wyman Institute for Holocaust Studies à Washington DC, qui se focalise sur les questions liées à la réaction américaine à la Shoah.
La leçon la plus importante qu’un président américain doit apprendre de la Shoah est que la réticence à avoir recours à l’armée américaine au service de l’humanité conduit tout droit à la catastrophe. Certains n’apprécient pas que les États-Unis soient « la police du monde », mais un monde dominé par des dictateurs génocidaires a désespérément besoin d’une police, et l’Amérique est le seul pays à pouvoir endosser cette responsabilité.
Les États-Unis devraient assumer cette responsabilité, pas seulement au nom des civils innocents autour du monde – bien que ce soit une raison suffisante en soi – mais parce que les tyrans qui violent les droits de l’Homme représentent également un danger pour la sécurité intérieure de l’Amérique. Une action militaire contre Adolf Hitler dans les années 1930 n’aurait pas seulement prévenu la Shoah, mais aurait également épargné le monde libre d’une guerre qui a coûté 60 millions de vies.
Tristement, la plupart des présidents américains n’ont pas agi contre les génocides à l’étranger. Franklin D. Roosevelt avait tourné le dos aux Juifs d’Europe, alors que si l’aviation américaine avait bombardé des sites proches d’Auschwitz, ils auraient pu facilement atteindre le camp de la mort. Jimmy Carter n’a rien fait pour empêcher les tueries au Cambodge, Bill Clinton a fermé les yeux sur le génocide rwandais, et ni George W.Bush, ni Barack Obama n’ont pris de mesures sérieuses contre le génocide du Darfour. L’intervention tardive de Clinton dans les Balkans, et l’assistance d’Obama aux yézidis donnent un aperçu de ce que le pouvoir américain peut accomplir quand un président est disposé à l’utiliser.
Jimmy Carter n’a rien fait pour empêcher les tueries au Cambodge, Bill Clinton a fermé les yeux sur le génocide rwandais, et ni George W.Bush, ni Barack Obama n’ont pris de mesures sérieuses contre le génocide du Darfour
Puisque mes 15 minutes expirent bientôt, monsieur le président, je vous propose une dernière idée. La guerre civile en Syrie, même avec le gaz sarin et les crématoriums de Bashar el-Assad, ne ressemble pas à l’Holocauste, mais les atrocités n’ont pas à prendre l’ampleur d’un génocide pour que l’Amérique se sente concernée et réagisse.
Une action de la part des États-Unis contre la Syrie, depuis le départ, aurait épargné la vie d’innombrables civiles, et prévenu la crise sans précédent des réfugiés. C’est tard, mais pas trop tard pour que l’Amérique prenne la décision de faire tomber Assad. Faire cela, c’est traduire les leçons de la Shoah en action riches de sens.
Colette Avital
Survivante de la Shoah et présidente du Center Organizations of Holocaust Survivors in Israël, ancienne diplomate et députée à la Knesset
Il y a beaucoup de choses que nous pourrions et que nous devrions dire en termes de commémoration, comment garder vivant le souvenir de l’Holocauste et transmettre ce souvenir pas seulement à nos enfants et à nos petits-enfants, mais également aux générations à venir.
Il y a beaucoup de choses que nous pourrions et que nous devrions dire sur le rejet du négationnisme, empêcher ces idées ignobles quelles que soient leur forme, et refuser de donner un espace de paroles à ceux qui les soutiennent.
Il y a également beaucoup de choses que nous pourrions et que nous devrions dire sur les survivants de la Shoah, comment aider ceux qui vivent avec nous à vivre avec le respect et l’honneur qu’ils méritent.
Mais au-dessus de tout cela, en tant que survivante de la Shoah, et en tant que personne qui travaille au nom d’autres survivants, j’aurais besoin de parler de quelque chose de plus fondamental, de plus viscéral. Aujourd’hui encore, il y a des gens qui se font brûler. Oui, en Syrie, des gens innocents sont brûlés dans des puits et dans des crématoriums.
En tant que survivants, on ne peut pas, et on ne doit pas accepter cela. En tant qu’humains, on ne peut pas, et on ne doit pas accepter cela. En tant que juifs, nous avons une obligation morale de dire que notre peuple ne peut pas et n’acceptera pas cela.
Zak Jeffay
Éducateur et guide pour JRoots, un organisme éducatif qui emmène chaque année des milliers de personne dans des voyages sur le patrimoine juif, notamment en Pologne.
L’idée d’un créneau de 15 minutes pour parler de la Shoah semble absurde, comme un plaidoyer pour comprendre le génocide. Mais c’est un défi colossal pour l’éducateur que je suis. Nous avons peu de temps avec nos étudiants, et si nous le passons simplement à donner une idée de l’ampleur, nous risquons de les éloigner et de déshumaniser les victimes dans de troublantes statistiques. Un nombre ne parle pas autant qu’une photo en noir et blanc d’un monde oublié, qui suscite l’empathie.

Mais si l’on choisit de se focaliser sur une seule victime ou une seule histoire, nous risquons de faire de la Shoah un autre évènement de meurtre cruel, alors que l’énormité de la machine à tuer qu’étaient les Nazis et leur désir d’éradiquer un peuple de la surface de la terre constitue un chapitre sans précédent de l’Histoire. Le défi éducatif est le travail de l’histoire à l’Histoire, de la photo de famille à l’image globale. Voire la souffrance d’un individu à celle d’un calvaire de millions de personnes.
J’aurais organisé une rencontre entre le président Trump et un survivant, pour qu’il l’entende parler de sa vie, de ses pertes, du défi de renaître. Je lui aurais ensuite demandé, alors que son hélicoptère plane au-dessus d’Israël, et qu’il aurait une vue aérienne sur des millions de personnes, de réfléchir à combien de millions de personnes auraient des histoires à raconter sur la Shoah, et de réfléchir au fait que la majorité d’entre elles n’ont jamais pu être entendues.
S’il y a bien une personne qui impose de penser à grande échelle, c’est le président. Je voudrais que Trump sache que le monde n’est pas devenu fou entre 1933 et 1945. La Shoah n’a pas eu lieu « sur la planète Auschwitz », comme l’a prétendu Yehiel De-Nur. Le monde est resté silencieux alors que les chambres à gaz et les fosses communes occupaient la planète terre. Parce qu’il occupe le poste le plus puissant du monde, j’encourage Trump à passer 15 minutes chaque semaine à se demander comment faire en sorte que cela ne se reproduise jamais.
Elana Heideman
Éducatrice et chercheure sur l’Holocauste, directrice de The Israel Forever Foundation.

Comment plonger dans l’abîme de l’Holocauste en 15 minutes ? C’est en effet un défi de taille. Je commencerais par une histoire de vie, de communauté, de Torah, et une passion pour l’étude et la mémoire, une histoire qui commence ici, sur la Terre d’Israël, qui a été transportée de par le monde après l’exil.
Je mettrais l’accent sur le fait que c’est la singularité de notre nation qui, génération après génération, a été méprisée. Je mettrais l’accent sur la façon que l’Holocauste a de représenter les différents mécanismes et forces. Même les sociétés les plus civilisées peuvent travailler dans un but destructeur, pour éliminer un ennemi commun. Je partagerais un détail graphique de la persécution – des ghettos, des trains, des chambres à gaz, et des fosses communes – et l’impact de vivre dans un monde où la survie est menacée.
Je dirais que les chants d’espoirs, les prières de désespoir et les rêves des mourants ont défié la déshumanisation que l’idéologie nazie cherchait à insuffler dans les esprits des bourreaux et des victimes.
Je déclarerais que de la même façon que, ici sur cette terre notre peuple juif est devenu une nation il y a des milliers d’années, dans notre État souverain, nous affirmons constamment la mémoire de nos victimes et les droits de l’Homme.
Je déclarerais que nous accueillons ceux qui veulent se joindre à nous pour protéger la mémoire des mères, de pères, des enfants, des grands-mères et des grands-pères, et je demanderai au président de ne pas les tuer une deuxième fois en faisant en sorte qu’ils soient morts en vain. Qu’il quitte Yad Vashem en sachant que notre histoire juive relie toutes sortes d’êtres humains, et que nos expériences de souffrance peuvent se traduire en puissance pour le bien, pour honorer leurs vies autant que nous rendons hommage à leur mort. Et qu’au nom de l’humanité et des générations futures, qui veulent vivre librement et en paix, son moment de silence l’inspire pour agir avec justice, et qu’il se souvienne de leurs vies volées alors qu’il agit encore et encore pour éradiquer des régimes qui promeuvent la haine.
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