Pour les évacués de la périphérie de Gaza, une longue attente remplie d’incertitude
Dans les hôtels et autres logements temporaires où elles séjournent en Israël, des dizaines de milliers de personnes luttent pour maintenir leurs communautés déracinées, espérant un retour chez eux rapide
Au cours de ses retours rapides chez lui, au kibboutz Nir Am, à moins de trois kilomètres de la frontière avec Gaza, Ami Rabin s’assure d’arroser non seulement son jardin mais aussi celui de ses voisins.
« Je leur dis que leurs plantes se portent très bien. Ce n’est pas toujours vrai, mais que dire d’autre ? Il faut que je fasse en sorte qu’ils maintiennent le lien, qu’ils aient le sentiment qu’il y a un endroit où ils pourront revenir », dit Rabin, 70 ans, père de quatre enfants, au Times of Israel alors qu’il se tient dans son jardin, dans la communauté où il a vu le jour. Un pacanier se dresse majestueusement, planté par ses propres soins il y a déjà quarante ans.
Rabin et son épouse, Nicole, vivent dans un hôtel de Tel Aviv depuis deux mois. Ils figurent parmi les 15 000 Israéliens qui vivaient dans les kibboutzim, dans les moshavim, dans les villes et dans les villages situés à proximité de Gaza dont les populations ont été évacuées suite à la guerre opposant Israël au Hamas, qui a éclaté le 7 octobre.
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« La vie ici n’est pas trop mauvaise mais nous voulons vraiment retourner chez nous ; nous en parlons tous les jours », indique Ami Rabin.
Comme un grand nombre d’autres évacués, le couple Rabin tente d’entretenir son lien avec sa communauté, avec la vie d’avant qu’ils ont dû abandonner tout en tentant de retrouver simultanément une normalité dans le quotidien- même s’ils sont dorénavant des personnes déplacées dont la date de retour reste indéterminée.
Les populations d’au-moins huit localités évacuées, dans la zone frontalière de Gaza – notamment de Magen, de Yad Mordechai et de Miflasim – devraient séjourner dans les hôtels jusqu’à ce que le gouvernement considère qu’un retour chez eux, dans des communautés qui ont subi des attaques fréquentes à la roquette de la part des factions terroristes de Gaza, est sûr.
Certaines populations, comme celles de Beeri et de Kfar Aza qui vivent temporairement dans des hôtels de la mer Morte et proches de Tel Aviv, respectivement, devront attendre plus longtemps pour revenir enfin chez elles, jusqu’à ce que l’État ait réparé les dégâts énormes essuyés par les habitations des deux kibboutzim lors du massacre meurtrier commis par les 3000 hommes armés du Hamas qui, après avoir franchi la frontière, avaient semé la désolation dans le sud du pays. Ils avaient assassiné plus de 1 200 personnes et enlevé 240 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza.
Ceux qui sont originaires de Reim, de Nir Oz et de Nirim devraient s’installer temporairement dans des logements urbains (à Tel Aviv, à Kiryat Gat et à Beer Sheva respectivement).
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La population de Beeri, le kibboutz le plus touché lors de l’assaut terroriste, devrait être accueillie au kibboutz Hatzerim, près de Beer Sheva, et celle de Nahal Oz a d’ores et déjà posé ses valises à Mishmar HaEmek, à proximité d’Afula.
L’instance gouvernementale chargée de coordonner cet effort est l’Autorité Tekuma, établie par le gouvernement au mois d’octobre. Il lui a donné le nouveau nom officiel de la région connue comme l’enveloppe de Gaza.
Ce mois-ci, l’Autorité, dirigée par Moshe Edri, général de brigade de l’armée à la retraite et chef de la Commission de l’énergie atomique israélienne, a reçu un budget de 18 milliards de dollars pour les années 2024 à 2028.
Un porte-parole de l’Autorité a refusé une demande d’interview de la part du Times of Israel. Mais les personnels impliqués dans la reconstruction et dans le peuplement de la région ont expliqué que l’objectif et que l’attente du gouvernement n’étaient pas seulement de faire revenir ceux qui habitaient déjà le périmètre avant le 7 octobre, mais de faciliter une augmentation significative des Israéliens résidant dans les communautés proches de Gaza à l’horizon 2028.
De plus, le gouvernement investit des fonds pour aider au retour des Israéliens dans certaines municipalités du sud qui ont été évacuées.
Les familles devraient recevoir la somme maximale de 21 000 shekels par mois si elles retournent dans leurs maisons situées dans un périmètre de 4 à 7 kilomètres de la frontière avec Gaza, selon un décret actuellement promu par le ministère de la Défense, a fait savoir la chaîne publique Kan.
Certains évacués sont revenus sans incitation financière, et notamment de multiples familles de Netiv Haasara, près du sud de la bande de Gaza.
D’autres ont trouvé des logements alternatifs, indépendamment des autres habitants de leurs communautés évacuées.
Yasmin Raanan, membre du kibboutz Beeri, s’est récemment installée à Nevatim, un moshav situé aux abords de Beer Sheva, préférant rester là-bas à la perspective de rejoindre les survivants de Beeri qui se trouvent tous dans des hôtels situés aux abords de la mer Morte. Elle pense repartir à Beeri même si elle doit rester à Nevatim pendant une période qui, selon de nombreux observateurs, durera au moins un an – il faudra au moins douze mois avant que le kibboutz puisse à nouveau accueillir des habitants.
« Vous priez ; vous vous dites que tout ça, en fin de compte, est matériel et que tout ce qui importe, c’est que nous soyons en vie », dit Raanan, 56 ans, évoquant son installation. Mais elle ajoute avoir « un sentiment intense de manque par rapport à ce qui était avant, par rapport à ceux qui étaient là – avec cette conscience que plus rien ne sera jamais pareil. Et c’est un coup qui est porté au cœur à chaque fois », déclare-t-elle.
De nombreuses communautés ont recréé des versions de leurs structures éducatives pour les enfants des crèches ou en âge d’aller à l’école – ce qui a permis à des classes de se retrouver, parfois avec les mêmes enseignants. Elles fonctionnent de manière indépendante, à l’intérieur des établissements scolaires locaux ou d’autres infrastructures.
« La conservation de la structures des classes est déterminante pour le rétablissement psychologique des enfants », indique Nadav Tzabari, membre du kibboutz Nahal Oz qui travaille comme professeur et qui vit à Mishmar HaEmek avec Rotem, sa conjointe.
La communauté qui les accueille « fait tout pour que nous nous sentions les bienvenus », continue Tzabari. « Ils nous disent que chez eux, c’est aussi dorénavant chez nous. Mais je prends du recul par rapport à cette idée parce que je ressens le besoin de conserver le sentiment que chez moi, c’est à Nahal Oz, que mon foyer est là-bas », poursuit Tzabari, 34 ans, dont la maison habituelle, à Nahal Oz, a été largement détruite par les tirs de roquette.
Dans l’un des hôtels où vivent actuellement les survivants de Beeri, le David Dead Sea Resort & Spa, les évacués, la semaine dernière, ont organisé un dîner pour le personnel, préparé par leurs soins dans la cuisine de l’établissement. Un geste de reconnaissance à l’égard du service attentionné que les employés offrent aux survivants depuis plus de deux mois, explique Haim Jelin, qui vit à Beeri et qui est un ancien membre de la Knesset.
Ailleurs, d’autres évacués critiquent à la fois les hôtels où ils séjournent ainsi que la prise en charge, par le gouvernement, de la question des déplacés.
Plusieurs centaines de personnes originaires de Sderot sont en conflit ouvert avec la direction de l’U Splash Resort, à Eilat, après que le personnel de l’établissement leur a annoncé qu’ils seraient transférés ailleurs pour laisser la place aux évacués de Nir Yitzhak. L’hôtel U Splash a indiqué que, par cette initiative, il ne faisait que se conformer à la politique dictée par le gouvernement et par la municipalité de Sderot.
« Changer d’hôtel détruirait tout le travail communautaire que nous avons effectué ici pour nos enfants », déplore Jacky Jeladi, un évacué de Sderot, en évoquant le transfert. « Nous ne serons pas évacués à nouveau. Nous ne partirons d’ici que pour repartir à Sderot », a-t-il écrit sur Facebook, au début de la semaine.
La plus grande partie de la population de Sderot – elle s’élève à environ 27 000 personnes – a été dispersée dans de multiples hôtels d’Eilat, de Tel Aviv et d’ailleurs.
En plus des évacués du sud, presque la moitié de tous les déplacés vient du nord du pays où les tirs de roquette du Hezbollah ont entraîné le départ de la population de plusieurs communautés frontalières, notamment de Kiryat Shmona, une localité de plus de 20 000 résidents.
A Nir Am, comme dans d’autres endroits, certains habitants ont l’intention de s’éloigner de cette région en proie aux agitations, fait remarquer Rabin, exploitant d’un centre de tir qui était également à la tête de l’équipe de sécurité locale.
« Il y a des familles qui ont dit qu’elles allaient partir. Cela ne signifie pas tout autant qu’elles le feront réellement ; on verra ça dans quelques mois. Mais je m’attends à ce que certaines personnes, en particulier de la génération la plus jeune, ne reviennent pas. Cela a été un événement traumatisant », précise-t-il, en référence au 7 octobre.
Ami et Nicole feront partie des tous premiers à revenir, jure ce dernier. « J’ai été élevé par les pionniers qui avaient établi Nir Am en 1946. Je vis en bordure du kibboutz, je surplombe Gaza », ajoute Rabin, qui a aidé à défendre Nir Am, le 7 octobre. De multiples terroristes avaient été tués et le kibboutz, qui compte environ 700 habitants, n’a déploré aucune perte.
Tout ce qui s’est passé, dit Rabin, « révèle comment nous considérons l’endroit. On ne peut pas attendre d’une famille qui s’est installée ici il y a sept ans pour des raisons de qualité de vie de voir les choses de la même manière que nous », ajoute-t-il. « Nous reviendrons et, avec un peu de chance, nous ouvrirons ainsi la voie au plus grand nombre de jeunes que possible ».
Dans l’intervalle, le couple Rabin – ainsi que de nombreux autres évacués qui vivent dans les hôtels – commencent à s’habituer à quelque chose qui ressemble à une routine et qui, malgré les limitations, offre certains avantages.
« Il y a des activités. Il y a des cours qui sont donnés par des bénévoles. Des cours de céramique », déclare Rabin, qui, pour sa part, a décidé de se former à la photographie au Leonardo Boutique Hotel Tel Aviv.
La chambre occupée par le couple est « plutôt petite », ajoute-t-il. Les repas « ne sont pas formidables », répond-il alors qu’il est interrogé sur le sujet, précisant que le déjeuner et le dîner sont fournis par une entreprise de restauration dont la cuisine est grasse. « Mais nous allons au restaurant et occasionnellement à des concerts, à Tel Aviv. Nir Am nous manque terriblement mais la vie, dans une grande ville, a aussi des aspects séduisants. Cela pourrait être plus difficile que prévu d’obtenir de Nicole qu’elle quitte le milieu urbain », s’amuse-t-il.
Les résidents les plus jeunes de Nir Am, notamment de nombreuses familles et celle de l’une des filles de Rabin, logent dans un hôtel plus central, le Herods Tel Aviv, qui propose des services de luxe, y-compris un spa, et qui ouvre sur le front de mer. Ami et Rabin profitent, eux aussi, des structures de l’hôtel quand ils gardent leurs petits-enfants là-bas.
Et pourtant, l’activité préférée du couple, à Tel Aviv, est d’imaginer le retour à Nir Am avec le reste du kibboutz, confie-t-il.
« On s’imagine déjà voir le kibboutz tout entier arriver en bus, retourner dans les maisons rebâties, marcher sur les vieilles allées, déchargeant les remorques en pleurant de joie. Ce sera une histoire plus intéressante que de savoir de quelle manière nous passons nos journées à l’hôtel ».
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