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Pourquoi des Juifs quittent l’orthodoxie ? – étude US

Selon l'enquête de l’Orthodox Union menée auprès de 29 ex-religieux, écoles et synagogues doivent adopter des mentalités plus inclusives et les parents aider leurs enfants

Illustration : Des fidèles prient à la synagogue Kadoorie – Mekor Haim à Porto, Portugal, mai 2014. (Avec l'aimable autorisation de la communauté juive de Porto)
Illustration : Des fidèles prient à la synagogue Kadoorie – Mekor Haim à Porto, Portugal, mai 2014. (Avec l'aimable autorisation de la communauté juive de Porto)

Une nouvelle enquête consacrée aux Juifs américains qui ont abandonné le judaïsme orthodoxe soulève des interrogations difficiles pour la communauté en évoquant l’ensemble complexe des facteurs susceptibles de pousser des hommes et des femmes à quitter le giron du judaïsme.

Diffusées par l’Orthodox Union (OU), l’une des organisations les plus importantes du monde orthodoxe, les conclusions de l’enquête appellent les synagogues et les écoles à adopter des mentalités plus inclusives. L’étude recommande aussi aux rabbins de se préoccuper davantage des enfants qui sont en marge de la société et aux parents d’établir des attentes claires, avec amour et soutien.

L’une des plus grandes surprises de l’enquête est un constat étonnant : Ainsi, un grand nombre des personnes interrogées ayant quitté l’orthodoxie sont toutefois restées en lien avec la communauté.

« Nous avons constaté qu’un grand nombre de nos interlocuteurs n’étaient pas en colère et qu’ils ne s’étaient pas éloignés de la communauté », commente le chercheur qui a dirigé l’étude, Moshe Krakowski, le directeur des études doctorales à l’Azrieli Graduate School of Jewish Education de la Yeshiva University, au cours d’un entretien accordé au Times of Israel.

« Les gens ont souvent exprimé un mélange de sentiments à la fois positifs et négatifs. Ce qui a des implications importantes, parce que de nombreuses personnes conservent des liens étroits avec la communauté orthodoxe après l’avoir quittée et que certains disent vouloir continuer à participer à la vie de la communauté, d’une manière ou d’une autre ».

Parmi les personnes interrogées qui ont fait savoir qu’elles n’entretenaient que peu, voire aucun lien avec l’orthodoxie, la majorité a expliqué que cette rupture des relations avait été motivée par l’aliénation ressentie face aux réactions à leur égard après leur changement de mode de vie, note l’étude.

Dans la première partie d’une étude en deux volets, le Center for Communal Research (CCR) de l’OU, dont le siège est à New York, s’est entretenu en profondeur, en 2023, avec 29 hommes et femmes, âgés de 18 à 43 ans, qui avaient précédemment quitté l’orthodoxie. Les participants vivaient principalement aux États-Unis et ils étaient issus de milieux orthodoxes modernes, yeshivish, ‘Habad et hassidiques.

Les Juifs orthodoxes représentent environ 9 % des 7,5 millions de Juifs qui vivent aux États-Unis – il s’agit d’environ 700 000 personnes, selon un rapport de Pew Research datant de 2020.

Le CCR est une branche de l’OU qui s’efforce de « donner à la communauté juive les moyens de prendre des décisions éclairées grâce aux données ». « Nous aidons les organisations juives à traduire les données en actions », est-il ainsi écrit sur son site internet. Ce qui explique pourquoi l’enquête a également été accompagnée d’un appel clair au « passage à l’acte » et ce, malgré la faible envergure de l’échantillon.

« Ce type d’étude ne peut pas être utilisé pour quantifier les données d’une population – mais c’est un outil courant, utilisé en sciences sociales, qui permet de détecter des récits qui s’avèrent être d’une grande importance si on veut comprendre la manière dont les gens vivent certains processus », explique Yossi David, directeur du laboratoire de communication et de recherche sur les BIAS (croyances, idéologies, affects et stéréotypes) au sein de l’université Ben-Gurion du Néguev. « C’est un moyen d’approfondir un sujet et d’en explorer de nouvelles facettes ».

Une enquête de suivi plus large, qui se basera sur les résultats, cherchera à quantifier les données et à présenter une vue d’ensemble des défis à relever, note Krakowski.

Les résultats donnent un aperçu des tendances en matière d’éloignement de l’orthodoxie en Amérique du Nord et, dans une moindre mesure, en Europe, mais pas nécessairement en Israël, fait remarquer Krakowski. « Il y a tellement de relations et de facteurs différents qui entrent en jeu dans ce pays », ajoute-t-il.

Dr. Moshe Krakowski (Courtesy)

Les grandes tendances

L’enquête a permis d’identifier plusieurs points qui sont fréquemment apparus dans les entretiens. Selon Moshe Krakowski, des tendances très différentes ont été observées entre les personnes issues de communautés orthodoxes modernes libérales et les personnes issues de communautés religieuses de droite plus strictes.

« Chaque cas est différent mais dans l’orthodoxie moderne, les frontières sont souvent assez poreuses », dit Krakowski. « Il n’y a souvent pas beaucoup de contrôle sur les agissements des uns et des autres, ce qui signifie qu’il est plus facile de s’éloigner ou de s’écarter du chemin tracé. »

Un participant qui a reconnu ne plus être religieux a évoqué son éloignement de l’orthodoxie en racontant que est « la première chose qui s’est produite, c’est que j’attendais six heures entre [la consommation] de viande et de lait. Puis les six heures se sont transformées en trois heures, et les trois heures se sont transformées en une heure et [finalement,] je me suis simplement contenté de me rincer la bouche avec de l’eau ».

En revanche, au sein des communautés plus religieuses, c’est souvent l’inverse qui est constaté – souvent poussé à l’extrême. « Les gens disent que les attentes et les structures rigides de la communauté leur donnent l’impression d’être enfermés, entravés, ce qui les pousse à vouloir partir ».

Les griefs des différentes catégories en viennent à s’entremêler et de nombreuses personnes issues de milieux orthodoxes modernes ont également évoqué un sentiment de contrainte, souligne Krakowski.

Le juif ultra-orthodoxe Yehuda Aronsson (à droite) et le juif laïc Ran Milon étudient ensemble la Torah et des sujets séculiers dans le cadre d’un projet de coopération, le 12 mars 2013. (Miriam Alster/FLASH90)

Les participants issus des milieux orthodoxes modernes et ‘Habad ont davantage déploré le traitement des questions féministes que ceux issus des milieux yeshivish et hassidiques. Ils ont aussi dénoncé ce qu’ils considèrent comme des attitudes de supériorité face aux autres et la manière dont les membres de la communauté LGBTQ sont traités au sein de l’orthodoxie.

Parmi les autres facteurs de risque figurent des questions d’appartenance et de stabilité.

« Toutes les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont indiqué qu’elles n’étaient pas tout à fait à leur place dans les institutions communautaires », explique Krakowski. « Par exemple, aller dans une école beaucoup plus religieuse que sa famille, ou beaucoup moins religieuse, ou être le seul enfant hassidique dans une école non hassidique… Ce type de désalignement est apparu à maintes reprises ».

« Ce qui ne signifie pas que ceux qui fréquentent une école où ils se sentent en décalage vont renoncer à l’orthodoxie, mais c’est quelque chose auquel il faut s’intéresser, il faut y réfléchir de manière plus approfondie », affirme Krakowski.

L’incohérence religieuse, au sein de la famille, est un autre facteur important.

« Nous avons vu de nombreux cas où des parents qui n’étaient pas religieux auparavant le sont devenus, ou des cas où des parents étaient passés très à droite après avoir été plus libéraux, ou vice-versa », déclare Krakowski. « Parfois, le changement s’est produit avant que l’enfant ne soit en mesure de comprendre. Ce qui peut donner l’impression que le judaïsme n’est pas stable et qui peut avoir un impact significatif, en particulier quand un tel changement survient rapidement ».

Une personne interrogée dont les parents n’appartiennent pas au milieu orthodoxe a déclaré : « Lorsque nous avons déménagé dans [une ville du Midwest], je me suis soudain rendu compte que les gens nous trouvaient bizarres. Je suppose donc que nous avons fini par nous lier d’amitié avec d’autres familles que la communauté considérait comme bizarres ».

Lorsque nous avons déménagé dans [une ville du Midwest], je me suis soudain rendu compte que les gens nous trouvaient bizarres. Je suppose donc que nous avons fini par nous lier d’amitié avec d’autres familles que la communauté considérait comme bizarres.

Une femme a dit avoir été traumatisée, au lycée, par des enseignants qui plaçaient les violations des valeurs communautaires les plus strictes au même niveau que les péchés les plus graves.

« Mon professeur disait que si on lisait Harry Potter, c’était comme si on servait avodah zarah [commettait le péché d’idolâtrie], et j’avais des troubles obsessionnels compulsifs terribles, alors je suis allée dans ma chambre pendant quelques heures et j’ai fait des viduy [prières de confession] », a-t-elle raconté.

On a constaté que les figures religieuses avaient une influence surprenante sur la vie des sujets interviewés.

« Nous n’avons pas posé de questions directes à ce sujet, mais beaucoup de personnes ont évoqué l’influence des rabbins et d’autres figures d’autorité religieuse », explique Krakowski. « Une mauvaise expérience avec une autorité rabbinique – quelqu’un qui représente le judaïsme pour vous – peut bouleverser et donner envie de fuir. Certains font allusion au dégoût ressenti face à une hypocrisie, comme par exemple le fait de traiter différemment des autres une personne riche.

Par ailleurs, poursuit Krakowski, nombreux sont les témoins qui évoquent la forte impression laissée par des rabbins qui les ont aidés ou les ont inspirés.

Enfin, les traumatismes, comme la mort d’un ami ou d’un être cher ou encore les abus physiques ou sexuels, peuvent jouer un rôle important, souligne Krakowski.

Différentes approches de la culture

Ce qui n’est pas apparu comme un facteur de risque est l’exposition à la culture populaire et aux réseaux sociaux. De nombreuses personnes interrogées ont fait état d’une perception négative de la société laïque et du matérialisme, peut-on lire dans l’enquête.

« Étonnamment, cela n’a pas été évoqué dans les interviews », commente Krakowski. « Les réseaux sociaux ne semblent pas aspirer les gens dans un monde qui les éloigne de l’orthodoxie. Mais ils pourraient jouer un rôle dans un processus plus global de sortie de route. »

En un sens, ces influences fonctionnent plus comme des facilitateurs que comme les causes profondes de la baisse du nombre des Juifs orthodoxes aux États-Unis, poursuit Krakowski.

Un homme juif ultra-orthodoxe passe devant une affiche montrant une femme, à Jérusalem, le 13 décembre 2011. De nouveaux dispositifs entendent empêcher les hommes de voir des femmes impudiques en réduisant leur champ de vision. (crédit photo : Uri Lenz / Flash90)

C’est différent de ce qui se passe au sein de la communauté ultra-orthodoxe d’Israël, estime David, de l’Université Ben Gurion, qui étudie la diminution du nombre des Haredim en Israël en plus de son travail sur l’analyse des données.

« On ne peut pas comparer ces résultats. Les communautés sont trop différentes », assure David.

Au sein de la société haredi, poursuit David, « les chiffres montrent qu’il y a deux types de choses qui poussent les gens à quitter leur communauté – les choses que vous fuyez dedans et celles qui vous attirent dehors. »

Parfois, les gens quittent la société ultra-orthodoxe en quête de changement, à cause du manque de respect pour les femmes, des problèmes d’acceptation pour les convertis et les nouveaux religieux, ou l’intolérance entre les différentes sectes ou ethnies, analyse David. Dans d’autres cas, d’anciens Haredim peuvent avoir été attirés par la société laïque pour sa culture, le monde moderne ou l’envie d’apprendre des choses sur des sujets importants qui ne sont pas enseignés dans le cadre des systèmes scolaires haredim, dans le but de se former à une profession, ajoute-t-il.

Le Dr. Yossi David (Dani Machlis/Université Ben-Gurion)

Au sein de ces communautés, l’accès à la technologie est considéré comme un facteur d’attrition plus important que les États-Unis, poursuit David.

Relever les défis

La difficulté d’éduquer ses enfants pour qu’ils perpétuent les pratiques religieuses de leurs parents est universelle, note Krakowski.

« De précédentes études ont établi que les parents ayant des attentes normatives claires pour leurs enfants ont tendance à les voir suivre leur exemple, bien plus que ceux qui les laissent faire seuls », explique Krakowski en citant des études du Département National Study of Youth and Religion de l’Université Notre Dame.

La plupart des participants à cette étude ont parlé de liens étroits avec les traditions et pratiques orthodoxes, souvent parce qu’ils en avaient de bons souvenirs ou alors parce qu’ils étaient toujours importants pour eux et leurs proches.

Un répondant a déclaré : « J’aime l’aspect culturel de la chose. Je n’ai aucun problème avec ça. J’ai l’impression que la plupart des gens qui cessent d’être religieux le font parce qu’ils sont blessés ou en colère, ce qui n’est absolument pas mon cas. »

L’OU recommande aux parents de réfléchir à la façon dont leurs enfants vivent ces rituels et de faire en sorte de créer des associations positives. Les parents doivent également dire à leurs enfants qu’ils les aiment et les aider, leur donner un sentiment de stabilité, quels que soient leurs choix de vie, et les accompagner sur la voie de l’autonomie et de la confiance en eux-mêmes.

Par ailleurs, il est conseillé aux rabbins et responsables communautaires de se montrer compréhensifs et de faire preuve d’empathie envers les membres de la communauté, de faire en sorte d’identifier les signes avant-coureurs et parler dès que possible avec les personnes qui se posent des questions.

« Le questionnement commence tôt », explique Rachel Ginsberg, chercheuse principale au CCR. « Si on attend la fin du secondaire, c’est trop tard. Il est essentiel d’écouter, d’accepter les questions qui sont posées et de permettre la réflexion et l’exploration. »

L’étude suggère que synagogues et écoles adoptent une mentalité plus inclusive et favorisent la tolérance envers les différences, en acceptant que certains aspirent à partie tout en leur laissant la porte ouverte. Elle estime par ailleurs que le soutien de la communauté aux familles religieusement un peu décalées, que ce soit les convertis ou les nouveaux religieux, pourrait prévenir l’attrition. Pour trouver les moyens de le faire, il faudra faire communauté sur un plan beaucoup plus large, poursuit-elle.

Le défi, conclut le vice-président exécutif de l’OU, le rabbin Moshe Hauer, est de savoir si les membres de la communauté orthodoxe sont prêts à changer de comportement.

« Si nous souhaitons vraiment un changement important et positif autour du thème de l’attrition des Juifs orthodoxes américains », explique-t-il, « nous serions tous bien inspirés de lire ce rapport, de l’étudier et de nous regarder longuement et honnêtement dans le miroir. »

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