Pragmatisme ou nationalisme palestinien ? Un député arabe interroge
La Liste arabe unie pourrait se dissoudre à cause de Mansour Abbas qui voudrait coopérer avec la droite. Mais sera-t-il vraiment celui que les électeurs arabes abandonneront ?

Mardi, le vice-président du Mouvement islamique conservateur israélien a fait une apparition télévisée sur une chaîne de droite, favorable au Premier ministre Benjamin Netanyahu, pour demander aux politiciens arabes, ses collègues, de changer de cap.
« Si la Liste arabe unie va dans la direction que je propose, alors il y a une chance que la Liste arabe unie continue à exister », a déclaré le député Mansour Abbas, chef de la faction islamiste Raam au sein de la Liste arabe unie, devant les caméras de la Douzième chaîne.
S’assurant que chacun allait bien comprendre la menace dissimulée dans ses propos, il a ajouté que « si la Liste arabe unie répète les mêmes erreurs, les mêmes positionnements qui n’offrent aucune vision à la communauté arabe, alors elle abandonnera ce qui est tout simplement sa raison d’être, celle qui justifie son existence ».
Cela a été la demande d’Abbas la plus directe et – pour un grand nombre des députés arabes – aussi la plus irritante : celle que les politiciens renoncent à leur rejet traditionnel de la droite israélienne en faveur d’une approche pragmatique qui permettrait d’obtenir plus de fonds et d’attention gouvernementale pour répondre aux besoins de leurs communautés, indépendamment de la personnalité et du parti au pouvoir.
Abbas est resté sur cette ligne, dans la politique arabe, depuis un mois – quoique dans un certain sens, cela fait déjà de nombreuses années qu’il l’a adoptée.
Cette menace est spectaculaire. Si la Liste arabe unie devait se dissoudre, certaines de ses factions pourraient être condamnées à sombrer dans l’oubli en échouant à franchir le seuil électoral de 3,25 % qui permet d’intégrer la Knesset.
L’aile nationaliste palestinienne de la Liste arabe unie, le parti Balad, a évoqué un bluff.
« Il n’est aucunement surprenant que le député Mansour Abbas ait choisi de devenir le porte-parole de Netanyahu et de la droite extrême [la Douzième chaîne] pour annoncer son retrait de la Liste arabe unie. C’est la manière la plus authentique de servir Bibi [Netanyahu], », a déclaré, très en colère, le député Mtanes Shihadeh.
« Le parlementaire Abbas ne mérite pas d’occuper une fonction d’autorité et nous allons y remédier », a-t-il continué, menaçant.
Le sort qui sera réservé à la Liste arabe unie reste encore indéterminé. Abbas a insisté, ces derniers jours, sur le fait qu’il ne voulait pas sa dissolution. Et en effet, il s’est opposé à des propositions qui ont été soumises à la Knesset, cette semaine, d’abaisser le seuil électoral – une initiative qui faciliterait pourtant la fonte du parti.
Pour sa part, Ahmad Tibi, législateur à la tête de la faction Taal de la Liste arabe unie et politicien le plus populaire dans la rue arabe, selon les sondages, ne s’est pas encore exprimé sur la question.
Alors même qu’ils menacent de renverser ce qui a été l’outil politique le plus efficace jamais connu par les Arabes israéliens, ni Abbas, ni Shihadeh, ni le chef de la Liste arabe unie, Ayman Odeh, issu de la faction Hadash, ni Tibi ne veulent pourtant vraiment se séparer.
Mais les demandes publiques de plus en plus téméraires portant sur un changement de cap du parti – réclamant que les leaders nationaux de la communauté arabe israélienne fassent comme les EAU et Bahreïn et qu’ils placent les besoins les plus pressants de la population avant la représentation au nom de la cause palestinienne – rendent indispensables une nouvelle réflexion radicale de la part de toutes les factions qui composent la Liste arabe unie.

Arabité et Palestine
La Liste arabe unie a massivement agi pour la communauté arabe… en théorie.
Lorsque les quatre formations arabes avaient été dans l’obligation de s’unir avant les élections de 2015 sous peine de disparaître en raison du seuil électoral qui venait tout juste d’être rehaussé, cette union avait entraîné une augmentation spectaculaire de la participation arabe lors du scrutin et la Liste arabe unie avait remporté 13 sièges (contre onze en 2013, quand les factions s’étaient présentées séparément).
Quand les différends idéologiques et les animosités personnelles avaient pris le pas et que les politiciens s’étaient présentés en listes séparées de deux partis seulement au mois d’avril 2019, la participation électorale, au sein de la communauté arabe israélienne, avait plongé et les listes divisées n’avaient gagné que dix sièges à elles deux. Les formations s’étaient alors unies à nouveau pour l’élection du mois de septembre 2019 et elles avaient encore une fois connu un essor dans les urnes – glanant treize sièges. Lors du dernier scrutin de mars 2020, la Liste arabe unie avait fait exploser ses record en termes de pourcentage d’électeurs arabes dans la participation électorale mais aussi en termes de représentation à la Knesset, arrachant quinze fauteuils.
Les électeurs arabes israéliens veulent une liste arabe conjointe. C’est devenu une évidence aujourd’hui.
Mais en fait, c’était même évident bien avant que la Liste arabe unie ne se forme – mais il aura fallu du temps pour que chaque faction accepte que ses électeurs n’étaient, dans leur majorité, guère intéressés par les particularités idéologiques, par le socialisme, l’islamisme ou le nationalisme d’une faction ou d’une autre, et qu’ils venaient plus facilement dans les bureaux de vote en se plaçant au service d’une arabité indifférenciée plus large. Lorsque les musulmans conservateurs de Raam, les progressistes très éduqués de Hadash et les nationalistes des villes du Triangle, dans le nord du pays, se présentent tous ensemble, il s’avère que leurs électeurs naturels respectifs vont voter pour eux en plus grand nombre.
Mais au-delà de ce simple fait, personne ne sait, finalement, quoi faire de cette nouvelle unité. Les différents camps représentés au sein de la Liste arabe unie sont divisés sur des questions pourtant fondamentales. Un grand nombre de membres de la faction Raam sont horrifiés à chaque fois que Hadash est amené à soutenir une initiative favorable à la communauté gay à la Knesset. Balad est pour sa part horrifié par l’attitude blasée de ses alliés et rivaux lorsqu’on en vient à la liberté palestinienne.
Alors, si les électeurs répondent mieux à une arabité partagée qu’à aucun autre programme politique spécifique de tel ou tel faction, alors quel programme politique devrait avancer cette liste arabe largement diversifiée ?

L’appel lancé par Abbas à abandonner la politique idéologique en faveur d’une approche plus pragmatique et lucrative des manigances parlementaires – en réclamant de meilleures écoles, de meilleures routes, de meilleurs policiers stationnés dans les communauté arabe – offre une vision claire de la division profonde qui secoue la politique arabe israélienne.
Une division qui, en elle-même, n’est pas nouvelle. Les sondages et des études qualitatives en ont fait la démonstration et l’ont mesurée depuis des décennies. La nouveauté est qu’elle ressort aujourd’hui à la surface ; que la cause palestinienne recule dans la rue arabe et qu’un désir de longue haleine d’intégration et d’égalité est en train de prendre sa place.
Pour qualifier les choses – de manière néanmoins imparfaite – les Arabes israéliens se divisent entre un camp intégrationniste israélien et un camp nationaliste palestinien.
Ces qualificatifs ne sont pas appropriés parce que de nombreux intégrationnistes, qui veulent souligner leur identité israélienne et s’inscrire plus profondément dans le système politique juif israélien plus général, pensent que l’indépendance palestinienne est déterminante pour leur capacité à devenir des Israéliens à part entière. Et parce que très peu, même parmi les nationalistes palestiniens les plus fervents et extrêmes de Balad, accepteraient de renoncer à la citoyenneté israélienne s’ils en avaient l’occasion – même si cela devait s’accomplir par le biais de la libération de leur ville placée sous contrôle sioniste et qui serait alors confiée à l’autorité d’une Palestine libre.
Ce n’est pas un débat sur différentes issues possibles mais bien sur ce que signifie être à la fois Arabe et Israélien. Quelle loyauté conserver, quelle offrande poser sur l’autel de la mémoire arabe et de l’avenir palestinien pour quelqu’un qui en est finalement venu à se sentir chez lui au sein de l’Etat juif ? Quelle est la redevabilité à l’égard de l’identité palestinienne lorsqu’elle s’intègre dans une identité israélienne ou islamique ?
Les nationalistes comme Shihadeh pensent que les nombreux privilèges d’une intégration plus profondes sont un cadeau empoisonné qui fera reculer la cause palestinienne et qui fera renoncer au conflit. Les intégrationnistes comme Abbas estiment que la cause palestinienne est, quoi qu’il advienne, bloquée – mais que si les Arabes israéliens devaient conserver leur pureté idéologique, qu’ils devaient vivre à l’écart de la société et dans la pauvreté en son nom, les choses ne se débloqueraient pas pour autant.
Abbas a d’ores et déjà gagné
La volonté de principe d’Abbas de travailler avec Netanyahu a été accueillie avec chaleur par le Likud.
Netanyahu avait manqué de peu la victoire au cours des trois dernières élections et les ouvertures d’Abbas ont permis, ces dernières semaines, au Likud de se livrer à de nouvelles réflexions – certains stratèges commençant à se demander s’il n’aurait pas été préférable pour eux, au cours des deux dernières années, que les quatre sièges de Raam à la Knesset aient été acquis à la cause de Netanyahu, avec des fonds d’Etat plus importants en faveur des communautés arabes.
Et, plus largement dans le spectre politique, alors que le Likud commence ouvertement à faire cause commune avec une faction de la Liste arabe unie, sa campagne anti-arabe – avec notamment la mise en garde qui avait été faite par Netanyahu, qui avait déclaré que le leader de Kakhol lavan, Benny Gantz, pourrait coopérer avec des factions arabes non-sionistes pour se hisser au poste de Premier ministre – semble s’émousser.

Dans un entretien accordé à la radio militaire, jeudi matin, le leader de l’opposition, le député Yair Lapid, a résumé les événements : « Le prochain gouvernement, ça va être quelque chose qu’on n’avait jamais vu jusqu’à présent. A part Balad, qui soutient le terrorisme, nous souhaitons travailler avec la Liste arabe unie et bénéficier de son soutien depuis l’extérieur de la coalition », a-t-il expliqué.
Un éventuel gouvernement qui serait dirigé par Lapid présenterait encore les principes de base du sionisme gravés dans ses lignes directrices, et il est improbable que même Raam, d’Abbas, approuve une telle orientation. Mais même sans appartenir officiellement à la coalition, Lapid serait enclin à introduire dans le jeu politique une nouvelle force arabe dorénavant disposée à s’impliquer, en reconnaissant que cela ne viendrait pas heurter sa base de soutien existante.
Et, en effet, les choses seraient certainement plus faciles pour Lapid s’il devait trouver des compromis et gagner l’appui de Raam plutôt que celui des factions haredim dans le contexte de la guerre culturelle intra-juive.
Ici, l’ironie est profonde. En affirmant clairement qu’il travaillerait avec Netanyahu – obtenant en retour des engagements, de la part d’un Netanyahu reconnaissant, en faveur de davantage d’argent pour les villes arabes et de davantage de forces de police dans les communautés arabes gangrénées par le crime – Abbas a d’ores et déjà neutralisé les craintes du centre-gauche sioniste qu’une coopération ouverte avec des factions arabes non-sionistes puissent être utilisées contre lui au cours d’une prochaine campagne électorale par le propre Likud de Netanyahu.
La Liste arabe unie affronte une crise politique réelle. Mais cette dernière pourrait être un bon signe en elle-même. Cela fait longtemps que les Arabes israéliens sont rongés par les exigences de la cause palestinienne et ils ont rencontré beaucoup de difficultés, en résultat, à servir leurs électeurs devant le Parlement. Car s’il vous est impossible de soutenir une loi que le Likud désire que vous souteniez, il est alors impossible de demander au Likud d’appuyer votre propre législation. Cette dynamique s’est reflétée dans d’innombrables sondages, au fil des ans, révélant un gouffre entre ce que les électeurs arabes attendaient de leurs représentants et les limites politiques que ces mêmes représentants se sont longtemps imposés à eux-mêmes.

Les chefs des conseils locaux arabes ont, en règle générale, adopté depuis longtemps une approche pragmatique de leurs devoirs et de leurs responsabilités – en donnant la priorité aux besoins quotidiens de leurs communautés, indépendamment des différences idéologiques avec les autorités juives israéliennes. Et Abbas presse dorénavant ses collègues arabes siégeant au Parlement de faire la même chose.
Les députés arabes s’écharpent aujourd’hui dans une bataille politique rangée – précisément parce que ce combat est important pour la même rue arabe qui les a portés au pouvoir. Ce bloc arabe d’une importance sans précédent ne pourra plus se payer le luxe de se préoccuper de savoir si Israël et leur propre part d’identité israélienne sont légitimes. C’est la mise à l’écart, par l’électorat arabe, des idéologies particulières en faveur d’une identité arabe israélienne plus largement qui a renforcé leur influence politique nationale. Avec l’augmentation de son pouvoir, la question la plus essentielle et la plus urgente dans le discours arabe israélien n’est plus celle des Palestiniens – mais bien de définir comment utiliser ce nouveau pouvoir acquis.
Mansour Abbas met au défi ses collègues et adversaires de la Liste arabe unie d’utiliser leur nouveau poids, à la Knesset, au bénéfice direct de l’électorat… sous peine de risquer d’être laissés pour compte par leurs électeurs.
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