Près de 50 % des Israéliens ont été bénévoles les premières semaines de la guerre
Une analyse approfondie de l'Université hébraïque montre que « les divisions sociales ont été mises de côté » pour créer une myriade d'initiatives civiles
Selon une étude universitaire publiée jeudi, la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre dernier, s’est traduite par un regain d’intérêt de la population israélienne pour le bénévolat puisque près de la moitié des Israéliens s’y est livrée au cours des deux premières semaines du conflit.
« C’est un méga-événement pour Israël et la société civile israélienne. L’ampleur des activités, les domaines d’activités… Il y a des choses totalement inédites. Nous avons eu des guerres, des opérations militaires et la crise du COVID, mais ce qui se passe là est d’une échelle et d’une ampleur très différente », a déclaré au Times of Israël le professeur Michal Almog-Bar, directrice de l’Institut pour l’étude de la société civile et la philanthropie en Israël, à l’Université hébraïque de Jérusalem et principal auteur de l’étude.
Les auteurs de « L’engagement de la société civile en Israël pendant l’Opération Epées de fer : tendances émergentes et perspectives » ont constaté qu’« environ 48,6 % de la population israélienne a fait du bénévolat pendant cette période critique » et que « les bénévoles ont joué un rôle important pour répondre efficacement aux besoins du terrain, particulièrement lors des deux premières semaines de la guerre ».
Le conflit a éclaté le 7 octobre, lorsque 3 000 terroristes du Hamas ont brutalement fait irruption en territoire israélien depuis Gaza et ont sévi pendant des heures dans les communautés israéliennes toute proches. Les terroristes ont commis des atrocités d’une rare brutalité et des pogroms, avant que les forces de sécurité israéliennes ne parviennent à ramener l’ordre. Au total, ce ne sont pas moins de 1 400 personnes qui ont été tuées, pour la plupart des civils massacrés chez eux ou lors d’une rave en plein air, et au moins 240 pris en otages par le Hamas, dont de jeunes enfants et des personnes âgées.
Israël a déclaré la guerre au Hamas et rappelé ses réservistes comme jamais dans l’histoire du pays, tout en évacuant les habitants des zones limitrophes de Gaza et de la frontière nord avec le Liban, également gagnée par des affrontements. Le mouvement de population qui en a résulté – le rappel de 360 000 réservistes couplé aux 250 000 déplacés domestiques – est sans précédent dans l’histoire moderne d’Israël.
« Nous avons répertorié plus d’un millier de nouvelles initiatives civiles liées à la guerre – ce qui est beaucoup – en seulement deux semaines. Il y a de tout, dans tout un tas de domaines : l’aide aux soldats, l’envoi de matériel, l’aide aux personnes évacuées, les traitements psychologiques pour les personnes traumatisées… Dans tous les domaines, il y a quelque chose, y compris parmi les populations arabes et ultra-orthodoxes », explique Almog-Bar.
Parmi ces 48,6 % de bénévoles, 28 % ne l’avaient jamais été auparavant. Il y a un « nombre élevé de nouveaux arrivants […] Ce sont des gens qui se sont spontanément proposés », dit-elle.
Selon cette même étude, ces bénévoles sont « représentatifs d’une population inclusive », issus de toutes les catégories d’âge. « Fait notable, les taux de bénévolat sont presque égaux chez les hommes et les femmes, ainsi que chez les religieux et les laïcs. La mise en œuvre d’outils technologiques qui facilitent le bénévolat numérique a joué un rôle central dans l’expansion du phénomène pour atteindre les populations éloignées ou à mobilité réduite », ont écrit les auteurs.
Cette étude est le fruit d’une collaboration entre l’Institut pour l’étude de la société civile et de la philanthropie en Israël de l’Université hébraïque, le Conseil israélien pour le bénévolat, le leadership civique, l’organisation faîtière des organisations israéliennes à but non lucratif, et le Forum des fondations en Israël. Elle a été menée par la société Geocartographia auprès d’un millier de participants représentatifs de la population adulte d’Israël âgée de 18 ans et plus.
Almog-Bar souligne le rôle capital des nouvelles technologies. « Cela a été essentiel pour ces initiatives. Les groupes ont recruté des personnes online et via les réseaux sociaux. La technologie leur a permis de mener à bien leurs activités.
La technologie a également joué un rôle important en matière philanthropique, car les campagnes de financement participatif de toutes sortes, la plupart lancées en ligne et abondées par de citoyens lambda, ont permis de collecter une centaine de millions de shekels au cours des deux semaines couvertes par l’étude.
« C’est du jamais vu », s’exclame Almog-Bar.
Les ONG israéliennes et autres organisations philanthropiques nationales ont fait don de « dizaines de millions de dollars », ajoute-t-elle, et « les dons de la communauté juive nord-américaine sont estimés à des centaines de millions de dollars… un très, très haut niveau de philanthropie. »
Les divisions sociales préexistantes ont été mises de côté, car de nombreuses personnes ont été invitées à participer à cette mobilisation, militaire et civile, que ce soit en Israël ou dans la diaspora. Ces efforts ont été orchestrés par des organisations à but non lucratif, des initiatives bénévoles, des entités philanthropiques ou des personnes dévouées », indique l’étude.
Le haut niveau d’engagement de la société civile israélienne – qu’elle définit comme des efforts « non gouvernementaux, non militaires et non commerciaux » – s’explique par plusieurs facteurs, annonce Almog-Bar.
Un des éléments importants est l’existence de plusieurs organisations de protestation qui, quelques mois avant la guerre, se sont engagées dans l’opposition aux propositions de réforme judiciaire du gouvernement d’extrême droite. Ces organisations étaient déjà bien organisées, soudées et motivées, ce qui leur a permis de mettre immédiatement leur infrastructure au service de l’effort de guerre.
Un phénomène similaire a pu être observé dans d’autres groupes – organisations de parents d’élèves, équipes sportives de jeunes et associations de quartier – qui ont rapidement mobilisé leurs membres.
Ce qui a aussi pesé, c’est le fait qu’Israël soit « une société très centrée sur la famille, avec des gens très attachés les uns aux autres et à leurs communautés : en cas de besoin ou d’événement dramatique, la première chose que se demandent les gens, c’est : « Que puis-je faire pour aider ? », analyse-t-elle.
Elle ajoute que ces dix dernières années, la confiance dans les institutions gouvernementales a reculé, mais que « les gens, ici, ont le sentiment d’avoir des réseaux sociaux solides qui les aideront en cas de coup dur ».
L’intensification des initiatives civiles par temps de crise est un phénomène sociologique bien connu et étudié, qui épouse bien les contours du « clivage entre société civile et bureaucratie gouvernementale », explique Almog-Bar. « Le gouvernement prend du temps pour prendre des décisions et allouer des fonds, c’est bien connu. C’est plus facile pour la société civile de s’organiser et d’agir. »
Cet argument contient en soi les ferments du risque qui pèse sur le bénévolat dans sa forme actuelle. Le taux actuel de bénévolat et le rythme des dons ne va pas se maintenir indéfiniment, et à mesure que l’économie se remettra progressivement sur les rails, les gens devront retourner travailler pour gagner leur vie. Le gouvernement devra alors s’organiser pour couvrir efficacement les besoins que l’effort civil prenait en charge.
En outre, souligne Almog-Bar, la nature même de l’effort de base organisé rapidement implique l’absence de supervision, de sorte que les tâches sont parfois dupliquées entre différents groupes ou que les problèmes logistiques se chevauchent et pourraient être mieux résolus avec une meilleure coordination, ce que le gouvernement pourrait faire. Dans de nombreux cas, des dons de nourriture ont été jetés ou des articles de toilette n’ont pas été utilisés, dit-elle.
Le manque de supervision peut conduire à d’autres situations difficiles, explique Almog-Bar, car des bénévoles non préparés ont dû faire face à des survivants traumatisés et il y a parfois eu des abus.
« Les gens ont bon cœur : ils veulent aider, donner un coup de main, mais quand il n’y a pas de coordination, quand tout le monde fait ce qu’il peut, ça peut s’avérer compliqué », conclut Almog-Bar. « Mais les gens ont vraiment sauvé des vies, en particulier en aidant les personnes évacuées, en leur apportant un soutien psychologique. Tout ceci a été ô combien nécessaire. »