Procès Samuel Paty : L’accusé Abdelhakim Sefrioui interrogé sur son antisémitisme présumé
La circonstance aggravante d’antisémitisme pourrait être retenue contre le militant islamiste, même si Samuel Paty n’était pas Juif
Abdelhakim Sefrioui, activiste islamiste et fondateur du collectif Cheikh Yassine, du nom du fondateur du Hamas, est jugé pour avoir participé à la campagne de haine en ligne qui a été fatale au professeur d’histoire Samuel Paty, dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) en octobre 2020.
L’homme encourt 30 ans de prison pour association de malfaiteur terroriste, après qu’il a posté, avant le meurtre du professeur par un jeune Tchétchène, des vidéos en ligne ressemblant à une fatwa.
Interrogé mardi toute la journée, le militant islamiste de 65 ans ne reconnait « aucune » responsabilité dans l’engrenage qui a coûté la vie au professeur.
Sa campagne de haine pourrait avoir été notamment motivée par son antisémitisme.
« Pensez-vous que Samuel Paty était Juif ? », lui a demandé mardi une avocate des parents de la victime. Sans réponse, elle ajoute : « Je vous pose la question au nom de mes clients, parce qu’elle les hante depuis quatre ans. »
Les parents de Samuel Paty se demandent en effet si leur choix de ce prénom hébraïque, en 1973, n’a pas aggravé la menace contre leur fils après que celui-ci a été accusé par une élève d’avoir montré des caricatures de Mahomet en classe, lors d’un cours sur la liberté d’expression – auquel l’élève accusatrice n’avait même pas participé. Fait inattendu du procès : l’obsession antisémite présumée de l’homme conduit en effet à se demander si la virulence de la fatwa n’était pas liée à la croyance qu’il était Juif.
Lors du procès, Ikram Houmada, compagne d’Abdelhakim Sefrioui, doctorante en philosophie, a été interrogée. Il lui a notamment été rappelé une manifestation en janvier 2012, à laquelle elle a participé avec le collectif de son mari, devant le Sénat, à Paris, avec une banderole « Hitler serait fier de vous ».
« Le fait que le collectif publie cette image sur son site n’est pas une forme de validation du propos ? », lui est-il demandé par l’avocat général. « Non. Il y avait d’autres gens. On n’est pas responsables de leurs propos », dit-elle. « Pourquoi parlez-vous d’Auschwitz dans votre déposition [après le meurtre] ? » « Le policier m’avait dit que Samuel Paty était Juif », poursuit-elle.
À Abdelhakim Sefrioui, quand il lui est demandé si l’appel au djihad contre les Juifs qui figure dans la charte du Hamas – « Tout Juif est une cible et doit être tué » – lui paraît antisémite, il répond : « C’est un appel à la destruction de notre ennemi, l’État d’Israël. Et Israël est un État juif. »
Par ce propos, l’assassinat de Juifs semble ainsi légitime pour l’homme s’il s’agit d’Israéliens. Il avait auparavant expliqué avoir nommé son collectif en « hommage à la résistance palestinienne », et a même cité Jean Moulin. « Oui, Jean Moulin était considéré comme un terroriste par les Allemands. Et comme un résistant pour les Français. Terroriste pour les uns, résistant pour les autres… », affirme-t-il.
Il lui a aussi été rappelé ses appels à se débarrasser de « la vermine sioniste » à la fin de discours publics, attestés par plusieurs témoins, ou encore son obsession pour Hassan Chalghoumi, qu’il traite d’ « imam des Juifs », qui serait employé par les « services sionistes pour affaiblir les musulmans ». L’homme avait aussi fait part de son sentiment d’avoir fait l’objet d’une « rafle » du GIGN quand il a été arrêté, un terme consigné dans son procès-verbal d’audition de garde à vue, et avait fait référence à « La liste de Schindler » et à la « Shoah » que risquerait de vivre sa communauté, selon lui.
Les propos de sa fille, dans sa déposition, ont été lus lors du procès : elle expliquait que l’accusé la traitait de « Juive » quand il était énervé, et elle affirmait que, pour elle, son collectif était « plus un engagement contre les Juifs que pour la Palestine ».
Face à ces éléments, si l’accusé répond finalement « non » à la question « Pensiez-vous que Samuel Paty était Juif ? », le doute est permis. D’autant plus que l’homme s’est largement distingué par ses mensonges depuis le début du procès.
Lundi, il avait été demandé à un autre accusé, Brahim Chnina, père de la collégienne accusatrice, qui a aussi participé à la campagne de haine, s’il considérait comme antisémite la réflexion que Sefrioui avait faite à l’agent du collège, puis à la principale et à la CPE : « Si on avait été Juifs, on ne nous aurait pas fait attendre comme ça, dans le froid. »
« Ça dépend du contexte », a répondu le parent d’élève – rappelant bizarrement la réponse des directrices d’universités américaines lorsqu’on leur avait demandé si appeler au génocide de juifs était antisémite. « Si on était énervés… » « C’est donc un antisémitisme d’énervement ! », lui a répondu l’avocat du fils de Samuel Paty.
Abdelhakim Sefrioui a lui répondu : « Comme je me suis présenté en tant qu’imam [Sefrioui n’est pas imam], j’ai dit que si j’avais été le représentant d’une autre confession, du Consistoire, par exemple, j’aurais été traité différemment. » « C’est marrant, monsieur, mais ces trois témoins n’ont entendu ni consistoire, ni archevêché. Ils ont entendu Juif », a réagi l’avocat général. « Et trois témoins qui entendent le même mot, ça commence à faire beaucoup. »
L’islamiste a alors argué qu’en 2017, il a été relaxé de l’accusation d’antisémitisme. Puis un avocat lui a rappelé qu’il était possible d’avoir un casier judiciaire vierge, et d’être le pire antisémite qui soit.
La circonstance aggravante d’antisémitisme pourrait ainsi cette fois bien être retenue contre lui, même si Samuel Paty n’était pas Juif – mais qu’il a pu être lui aussi touché par l’antisémitisme, de la part d’islamistes radicaux qui ont vu en lui un ennemi à abbatre.