Quand les Juifs d’Alaska échangent leurs grizzlies contre des roquettes
Sans se laisser décourager par le conflit en cours, de nouveaux immigrants courageux s’installent en Israël, à près de 10 000 km de chez eux

Rebecca Scoggin a passé son enfance dans de nombreux endroits : Juneau, Nome, Fairbanks, Homer, Anchorage. Mais, hormis les deux années qu’elle a passées à Seattle après l’école secondaire, elle n’a jamais vécu en dehors de l’Alaska.
Elle n’avait pas bougé jusqu’à il y a quelques mois. Ayant vécu une vive impression à la suite d’un voyage Birthright [Taglit] à 19 ans, Rebecca a décidé de s’installer à Tel Aviv.
« Ca s’est fait un peu comme ça. Il n’y avait pas de raison vraiment profonde » a expliqué la jeune femme qui a aujourd’hui 23 ans au cours d’un entretien téléphonique à Anchorage, où elle était en visite familiale. « Je suis tombée amoureuse de Tel Aviv et du soleil. C’est devenu mon chez moi plus que tout autre endroit ».
Rebecca Scoggin n’est pas vraiment l’immigrante-type en Israël, et pas seulement parce qu’elle est originaire du 49ème Etat américain. Elle n’a pas de famille en Terre sainte, n’a pas eu beaucoup de contact avec le judaïsme dans sa vie, et a un père chrétien. Mais quelque chose l’a attirée vers Israël.
« Je ne suis pas religieuse, j’ai grandi en célébrant Noël toute ma vie, mais je sens cette connexion à ma terre », explique-t-elle. « Je ne sais pas si c’est ma judéité ou alors si c’est parce que j’aime la chaleur » s’interroge-t-elle.
Scoggin fait partie des Juifs d’Alaska qui immigrent en Israël cette année. Parmi les autres qui font leur alyah, on trouve un technicien en imagerie par résonance magnétique de 51 ans qui veut sortir de la glace ; une experte, de 51 ans, de la réinstallation des réfugiés, qui déménage avec son fils et son mari écossais ; et un ancien agent des services correctionnels et shérif adjoint de Anchorage, de 58 ans.
« Ce n’est pas tous les jours que nous avons le privilège de prendre soin de nouveaux immigrants venant d’Alaska », a déclaré Erez Halfon, vice-président de Nefesh B’Nefesh, l’organisation qui gère la logistique de l’immigration des États-Unis vers Israël. « C’est incroyable et tellement impressionnant pour moi que des Juifs résidant dans une sorte de paradis, avec une vie bien confortable, décident de quitter leur maison, leur travail, leur communauté et leurs amis et de se déplacer à l’autre bout du monde – en particulier ces jours-ci où Israël est sous le feu des roquettes ».
Le technicien, Donn Ungar, dont le vol est parti de New York lundi, affirme qu’il n’est pas inquiet d’aller en Israël, malgré les tirs de roquettes depuis Gaza.
« C’est fou ce qui se passe là-bas en ce moment, mais cela ne change en rien ma décision », déclare Ungar. « Ce n’est pas une raison de ne pas y aller. Je sais qu’ils vivent des guerres. Je vais faire un peu partie d’Israël moi aussi et faire partie de cette communauté. C’est comme ça ».
Karen Ferguson, directrice du programme des réfugiés du Service social catholique à Anchorage, où elle travaille avec des réfugiés en provenance d’Irak, de Somalie, du Soudan, du Bhoutan et de Birmanie, a une opinion similaire. Elle s’installera à Haïfa au mois d’août avec son fils de 13 ans, puis Stewart, son mari, en décembre.

« Je ne pense pas que ça soit possible de choisir un moment en Israël qui soit tranquille et paisible et de dire qu’on part à ce moment-là », déclare Ferguson. « C’est la réalité d’Israël. Nous allons là pour immigrer et faire partie du pays. On doit prendre le pays pour tout ce qu’il est – le bon comme le mauvais ».
Ce départ de Karen Ferguson sera le dernier arrêt dans une vie marquée, dit-elle, par
« un désir de changement et d’aventure ». Après avoir rencontré son mari écossais, non-juif dans l’Ohio et s’être mariés en Nouvelle-Écosse, au Canada, le couple s’est rapidement installé aux îles Samoa, où leur fille est née. Quand ils ont déménagé à Anchorage il y a 17 ans, ils avaient prévu d’y rester un an ou deux.
Mais avec de bons emplois, de jeunes enfants et un goût marqué pour le saumon sauvage qu’ils pouvaient pêcher très facilement, ils ont décidé de rester sur place pendant un certain temps.
Chaque année, la famille attrapait 55 livres de saumon (la limite légale) avec la pêche à épuisette : Stewart apposait un grand filet circulaire à l’extrémité d’une longue perche, puis plongeait dans l’océan. Le saumon nageait dans une anse. Karen coupait les têtes, enlevait les viscères du poisson et remettait la chair à un établissement qui le transformait en saumon fumé et en filets. La famille n’a jamais eu à acheter du saumon en 15 ans, explique Karen.
Mais maintenant, ils sont prêts à dire « Au revoir et merci pour tous les poissons ! ». Avec leur fille à l’université et leur fils sur le point de commencer l’école secondaire, ils sont désormais fixés pour une nouvelle phase de leur vie.
« Nous sommes dans cette fenêtre d’opportunité maintenant » déclare Karen Ferguson. « Nous pourrions continuer à faire ce que nous faisions ou essayer de faire quelque chose de différent. Mon mari et moi avons décidé que nous voulions vraiment prendre de nouveaux horizons ».
Alors, pourquoi Israël ?
« Je n’ai pas encore tout à fait compris comment l’articuler. C’est un endroit où j’aurais été ravie d’avoir vécu », affirme Karen, qui a élevé ses enfants en tant que Juifs, même si son mari ne s’est pas converti.
« Il y a juste quelque chose au sujet d’Israël qui est à la fois dynamique et magnétique. Les expériences intellectuelles et historiques quand je suis ici sont très fortes. J’ai grandi sans jamais être entourée de nombreux Juifs. Nous étions une famille juive très laïque. Je suis allé à une école épiscopalienne. Je travaille pour les services sociaux catholiques. Il y a quelque chose de vraiment attrayant pour une fois d’être parmi les miens et que les fêtes soient les fêtes juives ».
Contrairement à de nombreux immigrants, Karen Ferguson déclare qu’elle ne pensait pas nécessairement à Israël comme une destination finale. Elle doit commencer un programme de master en gestion de la paix et des conflits à l’Université de Haïfa ; son mari va faire du télétravail, plus exactement de la télémédecine pour les petites communautés rurales autour de l’Alaska.
« Nous allons en Israël à la recherche d’une connexion et d’un endroit qui sera notre maison au final » dit-elle. « Vous ne pouvez vraiment pas prédire si un endroit où vous restez un certain temps deviendra votre maison au final. Il y a des choses qui se décident malgré nous… ».
C’est ainsi que Donn Ungar a fini par passer 17 ans en Alaska. Il a choisi de s’y installer après en être tombé amoureux pendant des vacances. Il a décidé de quitter sa Floride, a trouvé du travail rapidement et s’est fait de bons amis. Mais, il y a trois ans, après un hiver d’une grande brutalité et qui ne semblait jamais se terminer, Donn, qui est célibataire, a commencé à penser à une destination de retraite anticipée. Il voulait un endroit simple et peu onéreux.

Israël, où sa famille a tenté sans succès de vivre pendant quelques mois en 1971 et où Donn a maintenant un frère et d’autres parents, continuait à bouillonner dans sa tête. Donn y est allé en vacances trois semaines en février et a été frappé.
« L’énergie que j’ai ressenti m’a juste paru incroyable ! » explique-t-il. « C’est ce qui m’a amené en Alaska en premier lieu – le sentiment que c’est là que je devais être à ce moment-là de ma vie. Maintenant, j’ai exactement ce sentiment pour Israël. J’ai appris à écouter cette petite voix dans ma tête ».
Donn Ungar a donc contacté les organismes qui s’occupent de l’aliyah. Il a commencé à emballer ses affaires et a dû se débarrasser d’une de ses plus précieuses possessions en Alaska : le blouson en fourrure. C’était la chose la plus chaude qu’il n’ait jamais possédé…
« Les gens me disent : Pourquoi venez-vous ? » dit-il. « Et moi je réponds : Je n’en ai aucune idée. C’est là où je suis censé être. »
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