Quand les nazis filmaient la Shoah en Ukraine
« Ukraine : Holocaust Ground Zero » évoque les massacres à ciel ouvert de la Shoah avec les photos et films des nazis et de leurs collaborateurs dans cette « zone d'exception » en Europe
Dans l’histoire de ce qu’on a appelé « la Shoah par balles », les aumôniers de l’armée allemande de la Seconde Guerre mondiale se sont élevés contre la mise à mort à grande échelle d’enfants juifs.
Après l’exécution, par les pelotons d’exécution SS connus sous le nom d’Einsatzgruppen, des hommes juifs de Bila Tserkva, en Ukraine, quatre aumôniers militaires ont dit leur inquiétude envers les enfants abandonnés dans un bâtiment après le massacre.
« Nous avons retrouvé 90 enfants juifs, certains, des nourrissons, dans des conditions et un état épouvantable : entassés les uns sur les autres, en train de gémir ou de pleurer, affamés et assoiffés par la chaleur de midi », a écrit l’aumônier Ernst Tewes dans son récit du massacre, en août 1941.
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En sa qualité d’aumônier de l’armée allemande, Tewes a, avec un autre collègue, été témoin du triste sort des orphelins de Bila Tserkva, abandonnés à eux mêmes sous le regard impuissant de dizaines de mères juives forcées de les regarder sans pouvoir leur porter assistance.
« Les enfants et leurs mères, comme tant d’autres avant eux, devaient être fusillés par un Sonderkommando SS », a écrit Tewes. La plainte officielle de l’aumônier au sujet du massacre des orphelins est envoyée au commandant du sixième groupe d’armées.
Ce récit, tombé dans les oubliettes des protestations humanitaires, est évoqué dans le film du cinéaste Michael Hewitt, « Ukraine : Holocaust Ground Zero », sorti à l’automne dernier au Royaume-Uni et aujourd’hui disponible sur les plateformes de streaming.
Dans une interview accordée au Times of Israël, Hewitt explique qu’il était au courant de l’existence des trains à destination des camps de la mort et des chambres à gaz, mais qu’il n’avait que très récemment entendu parler des pelotons d’exécution SS (Einsatzgruppen) soutenus par des collaborateurs.
Cette première phase de la Shoah a été amplement photographiée et filmée. À l’instar des terroristes du Hamas, qui ont filmé les tortures et massacres d’Israéliens le 7 octobre dernier, des dizaines de SS et leurs collaborateurs ont filmé tout ou partie des massacres de Juifs perpétrés à ciel ouvert en Ukraine.
Il y a deux ans, Hewitt, qui est né en Irlande, écoutait une émission de radio consacrée au massacre de Babyn Yar, le plus grand massacre des Einsatzgruppen au cours duquel 33 771 Juifs ont été assassinés en seulement deux jours, dans un ravin des environs de Kiev. Il existe des dizaines de photos du massacre, des Juifs conduits de force dans le ravin jusqu’aux Allemands et Ukrainiens qui se sont occupés de la fosse commune.
« A titre personnel, j’ai trouvé ça très intéressant. J’ignorais cet aspect de la Shoah », a déclaré Hewitt.
On estime à 1,5 million au moins le nombre de victimes de ces Einsatzgruppen. Au-delà de l’Ukraine occupée, le modèle a servi dans certaines parties de la Pologne occupée, de la Biélorussie, des États baltes et d’ailleurs.
« Je me suis senti obligé de chercher à en savoir plus », confie Hewitt. Lorsqu’apparaissent les camps de la mort, construits à cet effet en 1942, les Allemands substituent aux massacres à ciel ouvert les chambres à gaz et crématoires improvisés à Belzec, Sobibor et Treblinka.
Les enseignements tirés de la Shoah par balles par les SS sont mis en œuvre dans ces camps et d’autres, en Pologne occupée.
Dans ces camps de la mort, les pelotons d’exécution SS n’ont plus à regarder leurs victimes. Plus besoin de collaborateurs locaux et donc plus de possibilité de tourner des films ou prendre des photographies. Le pillage est centralisé et les possessions des victimes envoyées à Berlin, au lieu de tomber entre les mains des collaborateurs locaux.
« Les verrous de la civilisation normale »
« Ukraine : Holocaust Ground Zero » s’ouvre sur des images d’atrocités commises par l’armée russe depuis l’invasion de l’Ukraine par Poutine en 2022.
Les historiens du film présentent l’Ukraine comme une « zone d’exception » ou un « territoire impérial » perpétuel lié à la « colonisation ». Cette histoire serait liée à la façon dont la Shoah par balles a été systématisée en Ukraine et aux raisons qui y ont mené, détaille Hewitt.
« Les verrous de la civilisation normale ont sauté », explique-t-il.
En 1939, après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, les dirigeants nationalistes ukrainiens déclarent leur indépendance au sein du Troisième Reich. Hitler se sert de cette Organisation des nationalistes ukrainiens comme d’une menace contre les ennemis de l’Allemagne – les Juifs et les bolcheviks – sans les considérer comme les dirigeants de leur propre État.
Lorsque l’Allemagne envahit l’Ukraine en 1941, les pelotons d’exécution SS Einsatzgruppen suivent de près. Dans presque tous les pays « libérés » du contrôle soviétique, les SS reçoivent l’aide de soldats, policiers et collaborateurs nationalistes ukrainiens.
Les massacres les plus notoires ont lieu dans les cratères laissés par l’explosion d’obus militaires. Les Allemands plaçaient une planche pour que les Juifs avancent en surplomb du trou, avant que le peloton d’exécution ne les mette à mort.
Comme l’explique l’historien Omer Bartov, des Ukrainiens ont été mis à contribution pour remplir les fosses communes de terre et de sable. De nombreux témoignages oculaires évoquent des mouvements, sur la terre de ces fosses communes, des jours après les massacres, certaines victimes n’étant pas mortes, ou du moins pas immédiatement.
« La nature humaine »
Selon Bartov, le tournant de la Shoah par balles s’est produit à Kamenets Podolsk, ville d’Ukraine où 20 000 Juifs ont été assassinés.
A cet endroit, quelques jours seulement après le massacre de Bila Tserkva, l’aktion, les soldats allemands n’ont pas eu à faire face aux femmes et aux enfants après la mise à mort des hommes juifs.
Pour la première fois depuis le début de la Shoah, dans les champs des environs de la ville, des femmes et des enfants juifs ont été assassinés en même temps que les hommes.
Bartov qualifie le massacre de Kamenets Podolsk de « tournant qui se répètera, encore et encore ».
Le commandant SS allemand de la région, Friedrich Jeckeln, est le premier à constituer des groupes pour mener à bien les massacres. Selon le « système Jeckeln », les Juifs sont contraints à se coucher sur leurs parents et voisins déjà morts en attendant d’être abattus.
Pour la mort de 25 000 Juifs à Rumbala, l’Allemagne a décerné à Jeckeln la Croix du mérite de guerre avec épées.
C’est par l’initiative personnelle d’hommes comme Jeckeln que la Shoah s’est accentuée dans l’Ukraine occupée par l’Allemagne, dans ce pays qui – après la libération – verra les procureurs soviétiques traduire en justice les auteurs allemands de la Shoah.
Au cours du procès pour crimes de guerre mené par les Soviétiques à Kharkiv, en décembre 1943, trois Allemands – respectivement membres de l’armée, de la police et de la SS –, qui plaident coupables, sont condamnés et pendus. Leurs crimes consistent dans le massacre de 15 000 Juifs à Drobytsky Yar, le 15 décembre 1941, ainsi que la mise à mort de 800 militaires de l’Armée rouge.
Lors de ce procès de Kharkiv, qui a été filmé, le monde a eu connaissance de la systématisation du génocide contre les Juifs européens. Pour autant, rien ou presque n’a été fait pour empêcher la déportation et la mise à mort de plus de 400 000 Juifs hongrois vers Auschwitz-Birkenau à partir d’avril 1944, soit quatre mois après le procès.
« Cela nous confronte à la réalité de la nature humaine », conclut Hewitt.
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