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Quand les Nobel de la paix s’en vont en guerre

Le dirigeant éthiopien Abiy Ahmed n'est pas le premier prix Nobel à céder à l'appel des armes : avant lui Obama en Afghanistan, Sadate en Égypte et Begin au Liban

Sur cette photo prise le 1er août 2019, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed donne une conférence de presse au bureau du Premier ministre dans la capitale, Addis-Abeba. (MICHAEL TEWELDE / AFP)
Sur cette photo prise le 1er août 2019, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed donne une conférence de presse au bureau du Premier ministre dans la capitale, Addis-Abeba. (MICHAEL TEWELDE / AFP)

Promettre un assaut « impitoyable », mettre sa menace à exécution et déclencher une grave crise humanitaire ne sont pas les agissements que l’on attend d’un « champion de la paix ». Le dirigeant éthiopien Abiy Ahmed n’est pourtant pas le premier prix Nobel à céder à l’appel des armes.

Officiellement, les canons se sont tus au Tigré : le 28 novembre, Abiy Ahmed, Nobel de la paix 2019, a proclamé le succès de l’offensive militaire lancée contre cette région dissidente du nord de l’Ethiopie 24 jours plus tôt.

Si le bilan humain est impossible à dresser, l’International Crisis Group (ICG) évoque « plusieurs milliers de morts dans les combats » et, face aux légions de civils ayant fui le pays, l’ONU s’est inquiétée d’une « crise humanitaire à grande échelle ».

L’aura du Premier ministre éthiopien, elle, en ressort ternie.

Des réfugiés du Tigré qui ont fui le conflit dans la région du Tigré en Éthiopie transportent leurs meubles sur les rives de la rivière Tekeze à la frontière entre le Soudan et l’Éthiopie, à Hamdayet, dans l’est du Soudan, le 1er décembre 2020. (Crédit : Nariman El-Mofty/AP)

« Quels que soient les mérites et les torts dans la lutte actuelle, il est certain que sa réputation d’artisan de la paix sera gravement atteinte », estimait le Financial Times dans un éditorial le 11 novembre.

« Pour le comité Nobel, il y a une leçon à tirer : en cas de doute, mieux vaut attendre », concluait-il.

Une patience qui aurait été de mise à plusieurs reprises dans le passé, à en croire des historiens.

Dix ans plus tôt, Barack Obama avait remporté le Nobel neuf mois à peine après sa prise de fonction à la tête des Etats-Unis.

Lui-même est stupéfait. « Pour quoi ? », confie-t-il avoir réagi, dans une récente autobiographie.

Trois bombes par heure

Quelques jours avant de recevoir sa récompense à Oslo, le président américain décide d’envoyer 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. Et dans son discours de remerciement, il défend une sorte de droit à la « guerre », un mot qu’il prononce 35 fois contre 29 fois le mot « paix ».

Le président américain Barack Obama pendant son dernier discours présidentiel, à Chicago, le 10 janvier 2017. (Crédit : Ronit Bezalel/Times of Israël)

« Dire que la force est parfois nécessaire n’est pas un appel au cynisme, c’est la reconnaissance de l’Histoire, des imperfections de l’homme et des limites de la raison », affirme-t-il.

Non seulement il échoue à mettre fin aux conflits en Irak et en Afghanistan pendant ses deux mandats, mais il intensifie aussi les frappes controversées de drones. En 2016, son armée largue plus de 26 000 bombes dans sept pays, selon le centre de réflexion Council on Foreign Relations. Soit trois bombes toutes les heures.

« C’était impossible pour quiconque d’être à la hauteur des attentes » nées de l’élection d’Obama, expliquera à l’AFP l’ancien secrétaire du comité Nobel, Geir Lundestad. « Elles étaient totalement irréalistes ».

En 1973, le Nobel va au duo Henry Kissinger-Le Duc Tho couronné pour la conclusion d’une trêve, éphémère, au Vietnam. Le communiste vietnamien, qui pilotera deux ans plus tard la vaste offensive finale contre le Sud Vietnam, le décline d’emblée.

Quant au secrétaire d’Etat américain – qui proposera, en vain, de le restituer -, il lègue à la postérité l’image d’un cynique ayant soutenu les dictatures, notamment en Amérique du Sud.

« Non seulement il a poursuivi la guerre au Vietnam mais il a donné le feu vert à l’Indonésie pour l’invasion du Timor Oriental » en 1975-76, fait valoir l’historien norvégien Asle Sveen, spécialiste du Nobel.

Nobel et « génocide »

Colauréat du prix en 1978 avec le président égyptien Anouar al-Sadate pour l’accord de paix signé à Camp David la même année entre les deux pays, le Premier ministre israélien Menahem Begin laisse aussi un héritage entaché de sang, selon M. Sveen.

Le Premier ministre israélien Menachem Begin (à droite) et le président égyptien Anouar el-Sadate rient ensemble à l’hôtel King David, le 19 novembre 1977 (Crédit : archives Ya’akov Sa’ar / GPO)

« Par la suite, Begin a entre autres ordonné l’invasion du Liban par Israël en 1982 et le (siège) de Beyrouth, et cela a indirectement conduit aux massacres de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila », souligne l’historien.

Sans nécessairement afficher de penchant belliqueux, bon nombre de lauréats du prix de la paix ont vu leur étoile pâlir avec le temps, en particulier Aung San Suu Kyi.

La passivité de la « Dame de Rangoun » face aux exactions – qualifiées de « génocide » par les enquêteurs de l’ONU – commises contre la minorité musulmane rohingya en Birmanie a suscité une mobilisation massive pour que son prix décerné en 1991 soit révoqué.

Les statuts Nobel ne prévoient pas une telle possibilité, et le comité s’abstient généralement de commenter l’actualité d’un pays ou d’une personnalité qu’il a consacré.

C’est pourtant ce qu’il a exceptionnellement fait le 16 novembre en se disant « profondément préoccupé » par les développements en Ethiopie et en appelant à l’arrêt des hostilités… tout en assumant son choix de 2019.

Cette année, il semble toutefois avoir joué la prudence en optant pour un lauréat largement consensuel, le Programme alimentaire mondial (PAM), qui recevra son prix ce jeudi depuis Rome.

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