Quand les tueurs à gages de Netanyahu se retournent contre leur maître
Le Premier ministre a installé Itamar Ben Gvir et Yitzhak Goldknopf dans son gouvernement, laissant libre cours à leurs activités. Ils l'en ont remercié en se montrant impitoyables à son égard, avec un mépris total pour sa santé
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a survécu à une tentative d’assassinat dans la journée de mardi.
Pour être clair, il ne s’agissait pas seulement d’une attaque politique – comme aurait pu l’être, par exemple, une initiative prise dans l’objectif d’accélérer la fin de sa carrière. Non : ce qui s’est produit s’est apparenté à un acte cynique relevant de la mise en danger de la vie d’autrui, un acte qui a été orchestré, sans pitié aucune, par deux de ses « collègues ».
Le Premier ministre est âgé de 75 ans. Il souffre d’une maladie cardiaque chronique. Il y a dix-sept mois, au mois de juillet 2023 – c’était quelques heures après avoir été autorisé à quitter l’hôpital Sheba, à Tel Aviv, alors qu’il venait de se faire installer un pacemaker – il s’était laissé aller à des confidences auprès de son ministre de la Défense de l’époque, Yoav Gallant. Alors que les deux hommes étaient assis côte à côte en séance plénière de la Knesset, il lui avait expliqué qu’il serait mort s’il ne s’était pas rendu à l’hôpital dans les minutes qui avaient suivi l’apparition d’irrégularités cardiaques, la semaine précédente.
Dimanche, Netanyahu a subi une intervention chirurgicale de routine – mais toutefois importante – à l’hôpital Hadassah de Jérusalem, avec une ablation de la prostate. Il y est ensuite resté en observation dans la nuit de dimanche à lundi et il devait y rester au moins vingt-quatre ou quarante-huit heures de plus, avec plusieurs semaines de convalescence et de repos, chez lui, après l’intervention. Son épouse n’était même pas à son chevet.
Mais Netanyahu a toutefois quitté la salle de réveil souterraine dans l’après-midi de mardi – une salle blindée située au sous-sol de l’hôpital, où il avait été installé pour garantir qu’il serait protégé d’un éventuel tir de missile des Houthis ou d’une attaque au drone du Hezbollah. Il s’est fait conduire à la Knesset, son médecin personnel à ses côtés.
Un déplacement qu’il a fait contre l’avis des médecins – son ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, s’étant uni à son ministre du Logement, Yitzhak Goldknopf, pour tenter de bloquer la dite loi sur les « profits piégés », une législation qui propose de taxer les bénéfices des entreprises destinés à la R&D dans le budget 2024. Les deux hommes pensaient alors disposer des voix nécessaires pour empêcher l’approbation du projet de loi. Dans ce contexte, la cause du Premier ministre n’était pas toutefois totalement perdue et il y avait encore une chance que son vote s’avère crucial – sauvant le texte avant la date-limite de la fin d’année.
Goldknopf, qui est le chef du parti ultra-orthodoxe Yahadout HaTorah, émet depuis des mois des menaces à l’encontre de Netanyahu, promettant de quitter la coalition alors qu’il se bat pour que soit définitivement inscrite dans la loi une aberration qui dure depuis des décennies – l’exemption de service militaire ou de service national de la grande majorité des jeunes hommes ultra-orthodoxes, une problématique capitale pour les leaders politiques de la communauté.
Même si la Cour suprême a statué que ces exemptions institutionnalisées étaient illégales, même si l’armée manque cruellement de soldats, même si un grand nombre de réservistes ont passé des centaines de jours à combattre sur de multiples fronts depuis le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, et même si Netanyahu tente désespérément de trouver un moyen législatif qui permettrait d’apaiser Goldknopf et les autres maîtres-chanteurs de la coalition, le leader de Yahadout HaTorah avait demandé aux députés de sa faction de voter en défaveur du projet de loi sur les « profits piégés » – désireux de montrer au Netanyahu qu’il a le pouvoir de paralyser le gouvernement tant qu’il n’aura pas obtenu ce qu’il veut.
De son côté, le prétexte invoqué par Ben Gvir pour voter contre la coalition n’était guère essentiel – ni particulièrement crédible. L’homme se serait insurgé parce qu’il n’aurait pas reçu, a-t-il affirmé avec indignation, les financements suffisants pour les forces de la police israélienne – une police qu’il supervise, avec l’aval de Netanyahu, malgré ses multiples inculpations et condamnations pénales pour racisme et incitation au terrorisme. Mais Ben Gvir a également récemment menacé la coalition et il a voté contre des lois avancées par cette dernière parce qu’il était mécontent d’avoir été laissé à l’écart d’un panel gouvernemental de premier plan et parce qu’il est désireux d’exercer des pressions en faveur du renvoi de la procureure-générale.
Il porte un costume, il est à la tête d’un ministère et il a un chauffeur personnel (même s’il est dangereux). Il n’en reste pas moins un voyou.
Une grande partie des analyses portant sur les débats qui ont eu lieu mardi, au Parlement, se sont focalisées sur les talents de combattant du Premier ministre. Il avait apparemment consacré des heures, avant le vote, à passer des appels téléphoniques depuis son bunker, à l’hôpital, pour tenter de désamorcer la révolte – avec un certain succès. Avec un risque persistant, l’arithmétique politique n’étant toujours pas en sa faveur.
C’est son arrivée en séance plénière qui aura fait toute la différence. Il y a été accueilli par ses loyalistes comme un messie politique ressuscité sous le scalpel du chirurgien. Les uns après les autres, tous sont venus s’enquérir de son état de santé. Ils ont tous affiché tant de détermination à lui présenter leurs vœux qu’ils l’ont retardé lorsqu’il a tenté de quitter l’hémicycle, visiblement déconfit, pour prendre un peu de ce repos ordonné par le médecin, entre deux innombrables votes de procédure.
Trois heures après son retour, sa résurrection politique a été achevée avec l’adoption de la loi par 59 voix contre 58 : le Premier ministre est parvenu à persuader un des députés de Ben Gvir de voter en faveur de la loi et il a réussi à convaincre deux législateurs de Goldknopf de s’abstenir. C’est toutefois le vote de Netanyahu lui-même qui s’est avéré être décisif.
Le Premier ministre, même affaibli par une intervention chirurgicale urgente, n’a pas seulement déjoué les plans du jeune et très énergique Ben Gvir, mais il a aussi affaibli l’emprise de Ben Gvir et de Goldknopf sur leurs propres partis, dissuadant potentiellement de futurs stratagèmes politiques de ce type.
Ce qui a été irrémédiablement noté par les observateurs aura été le manque de cœur dont Ben Gvir et Goldknopf ont fait preuve dans leur insurrection manquée. Ils ont mis au défi le même Premier ministre qui leur avait donné leur poste, le pressant et le stressant avec cynisme alors qu’il avait surtout besoin de repos et de récupération.
Et, ce qui est absolument méprisable, ils n’ont même pas voulu lui accorder une petite grâce qui n’aurait pas pour autant porté atteinte à leur cause : Ils auraient pu accepter de lui épargner le trajet épuisant de l’hôpital en acceptant que son vote soit confié à l’un des députés – un acte politique très habituel lorsqu’un député est malade ou indisposé et qui n’a aucun impact sur le résultat final du vote. Ils ont aussi fait preuve de la même méchanceté à l’égard de Boaz Bismuth, membre du Likud, en refusant également de compenser son vote, obligeant ainsi le parlementaire à quitter la shiva (première semaine de deuil) organisée suite au décès de sa propre mère.
Israël a l’habitude de considérer ses Premiers ministres comme invincibles, à l’abri, en quelques sortes, des lois qui touchent le commun des mortels – une idée erronée, souvent vantée par les Premiers ministres eux-mêmes.
En 1995, au plus fort des clivages suscités par les accords d’Oslo au sein du pays, Yitzhak Rabin avait balayé d’un revers de la main l’idée que quelqu’un tenterait de lui faire du mal. Quelqu’un l’avait pourtant fait et les conséquences en avaient été mortelles.
Ariel Sharon souffrait d’obésité, d’hypertension et d’hypercholestérolémie. Il avait subi une attaque mineure, à la mi-décembre 2005, et il avait ignoré les avertissements lancés par les médecins en reprenant rapidement le travail, entraînant l’admiration des citoyens israéliens – il était manifeste que Sharon était taillé dans un matériau particulier. Ce qui n’était pas le cas. À peine deux semaines après, il avait été victime d’une grave attaque cérébrale et il était tombé dans un coma dont il n’était finalement jamais sorti. Il s’était éteint au mois de janvier 2014.
Benjamin Netanyahu est un personnage extraordinaire. C’est le Premier ministre israélien qui est resté le plus longtemps à son poste ; c’est un homme qui a toujours eu cinq longueurs d’avance sur ses rivaux politiques, qui est revenu à plusieurs reprises du bord de l’abîme politique et qui conserve aujourd’hui le pouvoir alors même qu’il était à la barre du pays lors de la pire catastrophe survenue dans toute l’histoire moderne d’Israël. Il est donc tout à fait capable de défier tous les sondages qui semblent affirmer qu’il n’a aucune chance de remporter les prochaines élections, quelles qu’elles soient.
Mais il n’en est pas moins humain. Et ce que Ben Gvir et Goldknopf lui ont fait subir mardi a été irresponsable, dangereux et impardonnable.
L’ironie de l’histoire, c’est la complaisance affichée par Netanyahu à l’égard de ces deux « leaders » politiques – qu’il n’ose apparemment pas renvoyer après leurs dernières frasques en date – et ce, alors même qu’ils mettent quotidiennement Israël en danger avec une irresponsabilité totale, chacun dans son domaine : Goldknopf en insistant sur l’exemption de service national de la communauté ultra-orthodoxe, une exemption qui est inéquitable, antisioniste, source de division nationale, destructrice sur le plan économique, non-juive et antipatriotique. Et Ben Gvir, en tentant d’attiser l’hostilité anti-israélienne dans le monde musulman avec ses visites et ses prières sur le mont du Temple, avec sa volonté enthousiaste s’agissant de prendre part aux initiatives constantes, de la part de la coalition, de neutraliser le système judiciaire et de détruire les instances chargées de l’application de la loi – avec en particulier sa tentative permanente de transformer la police nationale en milice violente et répressive.
C’est Netanyahu, bien sûr, qui avait engagé ces tueurs à gages. Mais cette semaine, ils ont retourné leurs armes contre leur maître.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel