Quand un nouvel ennemi se profile pour Netanyahu
L'étonnante démission de Gideon Saar est le signal le plus spectaculaire d'une mutation dans la loyauté politique des Israéliens
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
Le ministre de l’Intérieur Gideon Saar, le deuxième homme le plus puissant au Likud, a brusquement quitté la politique mercredi.
Le timing de son annonce a été choisi avec soin : le cocktail du Nouvel an pour ses partisans a attiré plus de 1 000 personnes dans une salle de réception à Kfar Hamaccabia.
« Après avoir beaucoup pensé, consulté et fait un peu de réflexion sérieuse, j’ai décidé de prendre une pause dans ma vie politique » a-t-il annoncé devant une foule stupéfaite. « Aujourd’hui, je veux un peu plus d’intimité, de calme et de liberté. Je crois que c’est une bonne chose pour moi et pour ceux que j’aime… A la veille de la nouvelle année, j’ai l’intention de suivre une nouvelle voie. »
Le nom de Saar a fait peu de gros titres en dehors d’Israël. Sa vocation nationale – il a servi comme ministre de l’Education et de l’Intérieur – et son dégoût pour le populisme ont fait de lui un personnage sans grand intérêt pour la presse étrangère, qui préfère la rhétorique des déclarations de députés tels que Miri Regev ou Danny Danon.
Mais Saar est l’un des organisateurs politiques les plus talentueux du pays, et jouit d’une influence démesurée au sein du Likud.
La démonstration la plus récente de sa popularité s’est produite lors de l’événement même où il a annoncé son retrait. L’événement fait suite à une semaine de conflits internes au sein de sa formation.
Danon, qui préside le Comité central du Likud, avait convoqué ce mardi cette institution du parti dans le but de faire passer une résolution destinée à châtier le Premier ministre Benjamin Netanyahu pour avoir échoué à « vaincre » le Hamas dans la guerre de Gaza cet été.
En réponse, Netanyahu a convoqué une contre-réunion des ministres et des militants du Likud comme un pied de nez à Danon et un message au mouvement – qui est douloureusement conscient que Netanyahu est plus populaire que le parti lui-même parmi les électeurs.
Les deux événements ont été peu fréquentés, n’attirant que quelques centaines de fidèles du parti ennuyés.
Le cocktail organisé mercredi par Saar, qui a priori ne promettait aucune excitation comparable ou surenchère politique, a attiré plus de 1 000 personnes, soit plus que les événements de Netanyahu et Danon combinés.
Une simple invitation de Saar a attiré plus de militants du parti que les événements des deux autres hommes politiques ont pu rassembler difficilement.
Saar a également veillé à ce que ni Netanyahu, ni le fauteur de troubles belliciste Danon ne puissent manquer de le remarquer.
« Nous aurions pu économiser ces deux événements peu fréquentés si vous étiez venus ici tous les deux », a déclaré Danon à brûle-pourpoint mercredi dans un commentaire rendu public par un journaliste politique se trouvant sur place.
Et dans son discours de démission d’une demi-heure, dans lequel il n’a pas mentionné une seule fois le Premier ministre – en fait, Netanyahu a appris la démission d’un de ses principaux ministres en même temps que le reste d’entre nous – Saar a fourni plusieurs allusions sur le fait que sa retraite était peu susceptible d’être permanente.
« Les gens sont en difficulté. Il y a le coût de la vie, le coût du logement. Nous ne devons pas toucher à l’éducation. Nous ne devons pas toucher au social. Nous ne devons pas toucher à la santé. Ni porter atteinte aux secteurs les plus faibles de la société… Les gens nous ont accordé de leur confiance à chaque fois. Nous ne devons pas les décevoir » a-t-il déclaré avec pathos.
La démission a conduit à une tempête de spéculations dans la presse israélienne qui s’est lancée dans des hypothèses.
Ceux qui voient la corruption partout dans le monde ont ouvertement parlé d’un article que le quotidien Haaretz s’apprête à publier, spéculant qu’il pourrait contenir des informations si scandaleuses que Saar a décidé de prendre les devants.
Mais l’article du Haaretz, selon des sources, devrait être entièrement sans intérêt – et en tout cas, comme le soulignent de nombreux experts politiques, démissionner n’empêche en général ni la publication ni les retombées.
Certains Israéliens veulent croire à la raison exprimée par Saar pour sa démission. « Bientôt, David [son jeune fils] va commencer à marcher, et je veux être à ses côtés pour marcher avec lui main dans la main », a-t-il dit.
Et, en effet, ce n’est pas vraiment tellement incroyable qu’un homme de 47 ans qui a vu un précédent mariage s’effondrer en partie à cause des exigences de sa carrière politique veuille faire mieux pour son nouveau couple (avec la journaliste vedette Gueoula Even) et sa deuxième paternité.
Mais il y a un autre facteur dans la démission de Saar, un modèle dans lequel sa décision s’inscrit parfaitement – et qui constitue un changement drastique dans le paysage politique israélien.
Il y a deux ans, le populaire ministre de la Communication du Likud Moshé Kahlon avait fait une annonce similaire lors d’un événement semblable, et, comme Saar, au pic de sa popularité.
Le discours de démission de Saar mercredi a été parsemé de commentaires curieusement incongrus pour un politicien qui démissionne. « Je voulais quitter il y a deux ans » a-t-il assuré à ses partisans, mais Kahlon a relégué cette décision au second plan.
Les deux démissions, semble-t-il insinuer, étaient liées. Signalons que Kahlon a rassemblé des partisans et se préparait à lancer un nouveau parti politique – credité de près de 10 sièges à la prochaine Knesset avant que quiconque n’ait vu sa plate-forme ou ne connaisse son nom.
Puis, se tournant vers une autre personnalité politique respectée, mais actuellement sans activité, l’ancien chef du Shin Bet Avi Dichter, Saar a déclaré en plaisantant que l’ « injustice » dans l’échec de Dichter pour entrer à la Knesset lors des dernières élections serait corrigée la prochaine fois – une autre déclaration étrange pour un homme annonçant une « pause » de la politique.
Et encore une autre incongruité : l’événement a vu des dizaines de dirigeants locaux, de maires et de membres des conseils régionaux, pour lesquels le ministre de l’Intérieur occupe une place importante dans leurs calculs politiques et professionnels, spécialement invités par le bureau de Saar.
En d’autres termes, Saar a annoncé sa retraite lors d’un événement qui portait toutes les caractéristiques et l’organisation minutieuse d’un rassemblement politique. Si Saar avait annoncé hier soir qu’il se présentait contre Netanyahu pour la direction du Likud, les journalistes auraient fait l’éloge de l’organisation de l’événement.
Il a déjà été noté que la politique israélienne n’est plus menée par les partis, mais plutôt par des personnalités.
Netanyahu est plus populaire que son parti, le Likud – c’est aussi le cas pour ses principaux concurrents sur sa base électorale, Habayit Hayehudi et Yesh Atid, qui avaient annoncé au cours de leur campagne électorale en janvier 2013 qu’ils soutiendraient Netanyahu pour le poste de Premier ministre, et que le vote pour eux était aussi un vote pour Netanyahu.
La stratégie a bien fonctionné. Netanyahu domine la politique israélienne, même s’il ne dirige désormais plus que le deuxième plus grand parti d’Israël (la démission de Saar de la Knesset ramène le groupe parlementaire du Likud à 18 sièges).
Dans le plus grand parti, Yesh Atid et ses 19 sièges, la domination du dirigeant sur le mouvement est encore plus prononcée. Yesh Atid n’a que peu d’institutions et aucune identité politique distincte, au-delà de son fondateur et président, le ministre des Finances Yair Lapid.
Même sur sa droite idéologique, la personnalité l’emporte désormais sur le parti dans l’esprit des électeurs.
Habayit Hayehudi a massivement augmenté sa représentation à la Knesset, en passant de 3 à 12 sièges lors des dernières élections, grâce à son nouveau leader charismatique Naftali Bennett qui a su attirer plusieurs dizaines de milliers de nouveaux électeurs qui ont ensuite raconté aux sondeurs qu’ils ne partagent pas nécessairement l’idéologie réelle du mouvement.
Et à gauche, ce n’est pas un hasard si au Parti travailliste se sont succédé 8 leaders depuis 2001. Et à peine un an depuis qu’Isaac Herzog le dirige, certains de ces fidèles envisagent déjà un changement. Pas dans l’idéologie ni dans le message, bien sûr, mais plutôt avec le maire de Tel Aviv Ron Huldai, qui jouit d’une grande popularité.
La plupart des Israéliens sont des centristes et des « agnostiques de partis ». Ils sont tout simplement à la recherche d’un leader dans lequel ils peuvent avoir confiance.
Ariel Sharon a peut-être été le premier à profiter pleinement de cette réalité quand il a abandonné le Likud fin 2005 pour former le parti centriste Kadima, dont le large soutien était basé uniquement sur la popularité personnelle de son fondateur.
Lapid a également saisi l’importance de ce changement et l’a utilisé à bon escient dans sa course pour la Knesset actuelle.
La démission de Saar indique que le changement – qui date d’une génération – de la vie politique en fonction de la personnalité est un fait accompli. Ce ne sont plus les politiciens défaillants ou impopulaires d’Israël qui démissionnent, mais au contraire les plus populaires et les plus influents.
Lors des deux dernières élections, Saar a mené les primaires du Likud après Netanyahu, suivi les deux fois par Gilad Erdan (l’actuel ministre de la Communication) à la troisième place. Ce n’est pas un hasard, et cela ne devrait pas être une surprise, qu’Erdan, également, envisage sa démission de la politique afin de devenir le prochain ambassadeur d’Israël à l’ONU.
Ce vaste changement explique l’emprise de fer de Netanyahu sur le Likud. Aucun parti ne peut se permettre d’évincer le leader qui garantit à lui son succès continu dans les urnes.
Mais l’immobilisme de Netanyahu a un prix pour le parti. Comme d’autres politiciens du Likoud deviennent des marques populaires, à mesure qu’ils grandissent en puissance et en influence, le parti ne peut plus les contenir.
Le résultat : une partie des pouvoirs politiques les plus puissants dans le pays ne résident plus dans les couloirs de la Knesset. Il est en dehors de ses salles, au-delà de tout poste ministériel ou d’un cadre politique national établi, en attendant le bon moment. Là-bas, au-delà de tout parti ou parlement, se tiennent Kahlon et Saar, et peut-être bientôt Erdan ainsi.
Jadis, les dirigeants d’Israël en place regardaient avec méfiance les étoiles montantes dans leurs propres formations. Aujourd’hui, cet oeil est tourné vers l’extérieur puisqu’il faut attendre le bon moment pour attaquer.