Qui a peur de l’Internet sombre et profond ?
Dans un nouveau documentaire, des réalisateurs israéliens explorent le monde dangereux, bizarre et terrifiant de l’internet anonyme
Comment cela serait-il d’être invisible ? Dans la nouvelle de science-fiction de 1897 L’homme invisible d’H.G. Wells, un scientifique concocte une potion qui le rend invisible. Même si les intentions initiales du scientifique sont bonnes, il s’enfonce progressivement dans une vie de pyromane, voleur et meurtrier.
« Un homme invisible est un homme de pouvoir », réalise le scientifique pendant qu’il tire partie des autres et perd ce qu’il lui reste de conscience.
Il n’existe toujours pas de technologie qui peut rendre les êtres humains physiquement invisibles, mais il est possible d’être anonyme, et dans un certain sens « invisible », sur Internet, en téléchargeant le logiciel Tor et en l’utilisant pour parcourir ce qui est connu comme l’internet profond.
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Que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, et que les utilisateurs de l’internet profond soient enclins ou non à devenir criminels et corrompus, est le sujet d’un nouveau documentaire israélien « Down the Deep, Dark Web » (Dans l’internet profond et sombre) qui a été projeté en première au Festival du film de Jérusalem le 16 juillet et sera ensuite diffusé sur la Première chaîne israélienne.
Le documentaire d’une heure, réalisé par Duki Dror et Tzahi Schiff et raconté par le réalisateur israélo-américain Yuval Orr, examine l’argument selon lequel l’internet profond est un très mauvais endroit, mais fait ensuite volte-face et suggère qu’il pourrait être notre seul espoir de liberté à l’ère numérique.
Dans la scène d’ouverture du documentaire, Orr rencontre un hacker à chapeau blanc nommé Danor Cohen, qui semble pirater les ordinateurs personnels d’habitants peu méfiants d’un immeuble résidentiel d’une rue sombre de Tel Aviv.
« Je peux entrer dans l’ordinateur de n’importe qui dans une portée de 100 mètres », dit Cohen à Orr, ajoutant de manière inquiétante qu’ « il n’y a rien pour empêcher quelqu’un avec assez de temps de faire presque n’importe quoi. »
« Presque n’importe quoi », cela inclut notamment d’acheter des drogues ou des objets volés, du trafic d’êtres humains, ou même d’embaucher un tueur à gages.
Quatre-vingt-dix-neuf pourcent d’Internet n’est pas indexé par Google ou d’autres moteurs de recherche populaires, explique le documentaire. Ces 99 % sont appelés l’internet profond. Un sous-ensemble de l’internet profond est appelé l’internet sombre, et est constitué de sites internet anonymes où des personnes peuvent interagir tout en masquant leurs activités aux autorités.
Dans une scène, Orr télécharge Tor et commence à parcourir l’internet sombre, et ce qu’il trouve est à faire dresser les cheveux. En plus des drogues et des armes omniprésentes, il existe des groupes dévoués au néo-nazisme, à la torture animale, à la pédophilie et même un site pour cannibales, « Café Cannibal », dont le slogan est de « servir l’humanité ».
Nir Elkabetz, directeur des enquêtes de l’unité de crime informatique de la police israélienne, dit à Orr que de plus en plus, le crime se déplace du monde physique au virtuel. « Pourquoi ? Les gens pensent qu’en ligne, ils peuvent être anonymes et commettre des crimes sans être attrapés. »
Pendant un entretien avec le Times of Israël, Orr a déclaré que la Première chaîne avait initialement commandé un documentaire se concentrant sur les aspects sombres de l’internet profond. « Mais quand nous avons regardé, nous avons vu qu’il y avait déjà beaucoup de films à ce sujet : des reportages, de VICE à la BBC, et qu’il n’y avait pas beaucoup à ajouter à ce sujet. »
C’est pourquoi Orr et son équipe ont décidé de concentrer la deuxième moitié de leur documentaire aux crypto-anarchistes et aux militants du même genre qui ont créé l’internet profond. Orr s’est même rendu à une conférence crypto-anarchiste à Prague, où il n’a pas été autorisé à filmer à l’intérieur, de manière peut-être peu surprenante.
« Ils n’ont pas [inventé l’internet profond] parce qu’ils croyaient très fort aux personnes capables d’acheter des drogues sans que quiconque ne sache ce qu’ils avaient fait, non ? Il y avait quelque chose d’autre ici, une idéologie politique plus profonde et un fondement philosophique, et c’est ce qui nous a le plus intéressé. »
A Berlin, Orr a roulé dans un taxi avec deux crypto-anarchistes aux visages cachés, l’un par un masque de ski, l’autre par un masque anti-poussière et des lunettes de soleil.
« C’est pour éviter les logiciels de reconnaissance faciale », explique l’homme au masque de ski.
Les crypto-anarchistes, nous apprend le documentaire, pensent que l’Etat nation a vécu, et qu’il sera bientôt remplacé par des communautés volontaires décentralisées où il n’y a pas de coercition. Au niveau pratique, beaucoup sont des programmeurs informatiques qui développent des logiciels améliorant la protection de la vie privée, comme les applications de bitcoins et les technologies VPN.
Portant un masque facial partout peut sembler extrême, mais l’un des militants masqués explique ses motivations.
« La vie privée est aux idées ce que l’évolution est à la biologie », dit à Orr l’homme, qui ne donne que le nom de « Smuggler » (contrebandier). « Il faut des écosystèmes locaux, il faut que les organismes évoluent. Si toute l’humanité va dans une direction, un incident peut tout détruire. Pensez au Troisième Reich s’il n’y avait eu que lui dans le monde entier, sans autre pays pour le stopper. »
Quand on lui demande s’il est paranoïaque, Smuggler répond : « Pourquoi avez-vous des rideaux dans votre appartement ? Pourquoi verrouillez-vous la porte ? Des gens ont été tués à cause des données collectées sur eux », dit-il, citant le rassemblement nazi des juifs avec les registres gouvernementaux.
Orr dit qu’il comprend les arguments crypto-anarchistes, et souligne que l’Etat et les grandes corporations comme Facebook et Google sont coupables de surveillance de masse contre nous et par conséquent prennent une partie de notre pouvoir.
« J’ai le sentiment que leurs idées méritent une plate-forme. Nous arrivons à un stade de l’histoire où l’idée d’Etat-nation perd de la valeur. Regardez le système politique dans son entier, en n’importe quel endroit, il n’y a pas beaucoup d’options viables. L’option qui vient le plus souvent est une sorte d’ordre mondial de droite, populiste et néo-fasciste. »
Dans le film, Orr s’est demandé ce qu’il se passerait si nous nous débarrassions de tous les états nations. Cela serait-il le chaos ou un nouveau commencement ? Errerions-nous en nous volant et en nous tuant les uns les autres, ou un nouvel ordre mondial harmonieux émergerait-il ?
« La question principale est, dit-il, si vous donnez aux gens la capacité de faire de mauvaises choses en utilisant la technologie, le feraient-ils ? Les crypto-anarchistes et les partisans du bitcoin disent que non, la plupart des gens sont intrinsèquement bons. La plupart des gens ne feraient pas de mauvaises choses en utilisant la technologie, même si elle leur permet d’en faire ».
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