Qui choisit les juges en Israël : évolution et projet de refonte (radicale)
Pour la coalition, les juges doivent refléter la volonté de la majorité élue ; pour les critiques, les tribunaux doivent servir de contrôle du pouvoir exécutif, et non de miroir

La semaine dernière, la coalition a adopté l’un des piliers centraux de sa refonte extrêmement controversée du système judiciaire en première lecture à la Knesset, suscitant des remous dans le plénum de la Knesset et aggravant la crise politique actuelle d’Israël.
S’il est adopté en deuxième et troisième lecture, le projet de loi, qui fait l’objet d’une Loi fondamentale, modifiera radicalement l’équilibre des pouvoirs au sein de la commission de sélection des juges, qui est chargée d’élire les juges de tous les tribunaux du pays, y compris de la Cour suprême, et donnera en fait au gouvernement et à la coalition en place le contrôle total de toutes les nominations des juges.
Le projet de loi interdit également à la Haute Cour de justice d’annuler les Lois fondamentales ou d’ordonner leur modification, ce qui signifie que la modification de la commission de sélection des juges serait elle-même à l’abri d’un examen par la Haute Cour.
Le projet de loi va maintenant être renvoyé en commission pour un examen plus approfondi et pourrait en théorie être soumis à la lecture finale de la Knesset d’ici quelques jours, bien que l’on s’attende à ce que cela ne se produise pas avant une quinzaine de jours.
Les partisans du projet de loi soutiennent qu’il donnerait aux représentants élus le pouvoir dont ils ont besoin pour nommer des juges qui reflètent la volonté du peuple et qui annuleront moins rapidement les lois de la Knesset au mépris des souhaits de la majorité élue.
Les critiques, quant à eux, affirment que le gouvernement tente de remplir la cour de juges conservateurs et de droite et, avec les autres réformes prévues qui éradiqueraient fondamentalement le contrôle judiciaire, donneraient au gouvernement et à la Knesset un pouvoir illimité qui mettrait en danger les droits civils en Israël.

Comment la commission de sélection des juges fonctionne-t-elle aujourd’hui ? Comment les juges étaient-ils sélectionnés dans le passé ? Quels changements la commission a-t-elle subi depuis sa création et comment les projets de modification de sa composition affecteraient-ils le fonctionnement de la Haute Cour ?
De nos jours
Aujourd’hui, les juges sont techniquement nommés par le président d’Israël, conformément aux choix effectués par la commission de sélection des juges. La commission sélectionne les juges pour tous les tribunaux en Israël, y compris les tribunaux du travail, les magistrats et les tribunaux de district, ainsi que la Cour suprême.
La commission est composée de neuf membres, et la nomination d’un juge à tout tribunal autre que la Cour suprême requiert une majorité simple des membres présents de la commission, à condition qu’au moins sept membres participent au vote.
Une nomination à la Cour suprême requiert le soutien de sept des neuf membres de la commission.
Les neuf membres comprennent le président de la Cour suprême, deux autres juges de la Cour suprême choisis par les juges de la Cour suprême, le ministre de la Justice, qui préside la commission, et un autre ministre du cabinet, deux membres de la Knesset choisis par la Knesset lors d’un vote secret (habituellement, mais pas toujours, un député de la coalition et un de l’opposition) et deux membres de l’Association du Barreau israélien choisis par le conseil national de l’association.
Dans le cadre de ce système, le gouvernement et la coalition ont généralement trois membres au sein de la commission (les deux ministres et un député), le pouvoir judiciaire a trois membres, l’Association du Barreau israélien a deux membres et l’opposition en a un.

L’une des principales critiques soulevées par les défenseurs des réformes radicales du gouvernement est que, lors du choix des juges des tribunaux inférieurs, les élus peuvent facilement être ignorés par les membres non élus de la commission – c’est-à-dire les juges et les avocats.
Ce n’est pas le cas pour les nominations à la Cour suprême, qui nécessitent une majorité de sept voix, et donc un niveau de consensus beaucoup plus élevé. En réalité, les juges et les représentants du gouvernement ont tous deux un droit de veto sur les nominations à la Cour suprême.
Néanmoins, le ministre de la Justice, Yariv Levin, le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, Simcha Rothman, et d’autres partisans de la réforme du gouvernement ont insisté sur le fait que même ce pouvoir de veto mutuel entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire donne trop d’influence à ce dernier, au détriment de la volonté du peuple.
L’exigence d’une majorité plus élevée pour une nomination à la Cour suprême a été promulguée par une loi adoptée par Gideon Saar – député du Likud de l’époque et député actuel du parti HaMahane HaMamlahti – en 2008, afin de donner aux élus un plus grand pouvoir sur le processus.
Les résultats de ce changement ont été mis en évidence lors du processus de sélection qui s’est déroulé en 2016 et 2017 pour quatre places à la Cour suprême, lorsqu’une bataille rangée s’est ouverte entre la présidente de la Cour suprême de l’époque, Miriam Naor, et la ministre de la Justice et députée de droite de l’époque, Ayelet Shaked, qui cherchait depuis longtemps à rendre la Cour plus conservatrice.
Shaked est sortie victorieuse de cette rencontre, trois des quatre personnes nommées provenant de sa liste de candidats préférés, ce qu’elle a déclaré peu de temps après.
« Dans le passé, il y avait des secteurs [du public] qui n’avaient pas le sentiment que la Cour suprême les représentait. Aujourd’hui, elle représente tout le monde. Elle est plus diverse, elle est plus conservatrice », avait-elle déclaré dans une interview accordée à Yediot Aharonot.
L’avenir (selon le plan de refonte judiciaire de l’actuel gouvernement)
Selon les plans du gouvernement pour restructurer la commission, les deux représentants de l’Association du Barreau israélien seraient retirés du panel.
La commission serait alors composée de trois ministres, dont le ministre de la Justice, qui présiderait la commission ; de trois députés – deux de la coalition et un de l’opposition ; du président de la Cour suprême ; et de deux juges de tribunaux inférieurs à la retraite, qui seraient nommés par le ministre de la Justice en accord avec le président de la Cour suprême.

Une majorité simple de cinq voix serait requise pour toutes les nominations, y compris à la Cour suprême.
Cela donnerait au gouvernement et à la coalition une majorité automatique de cinq membres au sein de la commission, ainsi qu’une grande influence sur le choix des deux juges retraités des tribunaux inférieurs.
Levin et le député Rothman (HaTzionout HaDatit), les deux instigateurs du paquet de réformes judiciaires, ont également déclaré qu’ils souhaitaient promulguer une autre réforme à un stade ultérieur, selon laquelle le président de la Cour suprême serait choisi par la commission de sélection des juges, et non en fonction de l’ancienneté au sein de la Cour, comme c’est actuellement le cas.
Si ce changement était également adopté, le gouvernement aurait le contrôle effectif de huit des neuf membres de la commission et donc le contrôle total de la nomination de tous les juges en Israël.
Les leçons du passé
Depuis la création de l’État en 1948 et jusqu’en 1953, le processus de sélection des juges pour tous les tribunaux était entièrement entre les mains des politiciens.

À l’époque, pour nommer un juge à la Cour suprême, le ministre de la Justice proposait un candidat au cabinet, ce dernier approuvait la nomination et la Knesset confirmait cette décision.
Pour les juges des tribunaux inférieurs, le ministre de la Justice proposait un candidat au cabinet, qui l’approuvait ou le refusait.
Mais en 1953, ce système a été radicalement modifié par la loi sur les juges, qui a donné lieu à la création de la commission de sélection des juges.
La nouvelle loi – qui a finalement été intégrée à la Loi fondamentale de 1984 sur le pouvoir judiciaire – définit la composition de la commission, ainsi que les règles de procédure de la commission, les critères et les qualifications des candidats aux tribunaux, les procédures disciplinaires et d’autres questions liées à la nomination des juges.
La loi de 1953 a fait basculer le rapport de force au sein de la commission de sélection de manière significative en faveur du pouvoir judiciaire et des professionnels du droit, puisqu’ils disposaient désormais d’une majorité par rapport aux représentants élus. Si la composition de la commission n’a pas changé depuis, la procédure de sélection des juges de la Cour suprême, elle, a changé.
Le changement le plus important depuis 1953 a été la réforme de Saar en 2008, qui a fait passer de cinq à sept la majorité requise au sein de la commission pour élire un juge de la Cour suprême.
Cela a donné aux élus une plus grande capacité à bloquer les candidats préférés de la branche judiciaire et plus de poids pour faire élire les juges qu’ils aimaient à la Cour. Dans le même temps, cela a créé un équilibre des pouvoirs au sein de la commission de sélection des juges de la Cour suprême.
L’expert en droit constitutionnel, le Dr. Guy Lurie, de l’Institut israélien de la démocratie (IDI), explique que les politiciens de l’époque de la loi de 1953 estimaient que les considérations politiques et partisanes pesaient trop lourdement dans la sélection des juges et que ces derniers n’étaient pas suffisamment indépendants du contrôle politique.

« Il y avait un large consensus sur la nécessité de protéger les juges de l’influence du gouvernement », a déclaré le Dr. Lurie, notant que Menachem Begin, le chef du parti Herut, l’ancêtre du Likud, qui était dans l’opposition, voulait un nombre encore plus important de professionnels du droit au sein de la commission que ce qui a finalement été décidé.
« Depuis la modification des règles en 2008 », a toutefois noté le Dr. Lurie, « nous avons une Cour suprême plus diversifiée ». « Comme l’a dit Shaked, elle a réussi à créer une révolution conservatrice à la Cour suprême. »
« Elle l’a fait avec la commission de sélection actuelle, et ce type d’équilibre au sein de la commission permet au gouvernement et à la coalition d’avoir leur mot à dire dans le processus, et de garantir la légitimité démocratique sans renoncer à des considérations professionnelles. »
Les propositions de réforme, pour et contre
Le Dr. Adam Shinar de l’université Reichman, un autre expert en droit constitutionnel, a déclaré que donner aux politiciens une plus grande influence sur la commission de sélection des juges, comme le propose actuellement le gouvernement, pourrait en théorie être raisonnable. Mais il a fait remarquer qu’aux termes de la législation actuellement prévue, le gouvernement et la coalition contrôleraient presque tous les membres de la commission, un seul allant à l’opposition.
« Les tribunaux ne sont pas censés être un miroir du pouvoir, mais un contrepoids au pouvoir exécutif. »
Dans une telle situation, un juge d’une juridiction inférieure cherchant à être promu pourrait vraisemblablement penser que le moyen d’avancer dans sa carrière est de rendre une décision plus conforme à l’orientation idéologique de la commission de sélection des juges, a noté le Dr. Shinar, compromettant ainsi l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Comme d’autres critiques l’ont fait valoir, cela donnerait également au gouvernement en place la possibilité de remplir la Haute Cour en particulier avec des juges qui partagent son idéologie, sans aucune contribution de l’opposition ou de la magistrature, politisant ainsi la Cour à un degré qui n’a pas été vu depuis la naissance du pays.
« La politisation peut être une bonne chose, mais tout donner à la majorité politique est un problème car cela ne fait que refléter les relations de pouvoir existantes », a déclaré le Dr. Shinar. « Les tribunaux ne sont pas censés être le miroir du pouvoir, ils sont censés être un contrepoids au pouvoir exécutif. »
Mais Rothman a rejeté cette critique, insistant sur le fait que de nombreux pays démocratiques utilisent un système de sélection des juges des Cours constitutionnelles ou suprêmes qui est dominé par le gouvernement ou le Parlement.

« C’est la situation qui prévaut dans presque tous les pays démocratiques », a insisté Rothman dans une récente interview accordée au Times of Israel, arguant que la méthode de sélection des juges, telle qu’elle existe actuellement, permet aux juges d’avoir trop de pouvoir sur la composition de l’appareil judiciaire.
« Le système actuel donne à l’ensemble du public en Israël une part minoritaire dans la commission, ce qui est inouï. C’est vraiment du jamais vu pour des fonctionnaires non élus d’avoir ce genre de pouvoir, d’avoir un tribunal qui s’auto-perpétue. Dans presque tous les autres pays démocratiques, le système donne le pouvoir à la majorité au pouvoir de nommer les juges », a déclaré Rothman.
« Au Canada, le Premier ministre nomme les juges. En Irlande, en Suède, en Norvège, en Australie et en Nouvelle-Zélande… Je pourrai continuer ainsi toute la journée », a poursuivi Rothman, en citant les États-Unis comme autre exemple similaire.
Les critiques, y compris les députés qui font partie de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, comme le député Gilad Kariv (Avoda), ont toutefois rappelé que les pays cités par Rothman ont plusieurs niveaux de contrôles et d’équilibres contre le pouvoir exécutif et législatif, qui servent de contrepoids à la Cour plus politisée qui résulterait d’une commission de sélection des juges dominée par des personnes nommées par le gouvernement.
Tous les pays mentionnés par Rothman dans son interview avec le Times of Israel ont soit une Constitution écrite, soit une déclaration des droits qui détaille explicitement les droits fondamentaux des citoyens du pays – autrement dit les règles du jeu.
En outre, les Cours suprêmes ou les Hautes Cours de tous les pays cités par Rothman ont le pouvoir du contrôle judiciaire pour annuler les lois jugées incompatibles avec les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution, à l’exception de l’Australie, où il n’y a pas de contrôle judiciaire sur la législation, et de la Nouvelle-Zélande, où les tribunaux peuvent faire des déclarer une législation « incohérente ».
Outre les changements apportés à la commission de sélection des juges, le gouvernement prévoit de restreindre radicalement les pouvoirs de contrôle judiciaire de la Haute Cour et, dans le même temps, refuse de fournir des protections constitutionnelles pour les droits civils fondamentaux tels que le droit de vote, le droit à l’égalité, la liberté d’expression et autres.
Me Zeev Lev, conseiller juridique de l’organisation conservatrice Mouvement pour la Gouvernance et la Démocratie, fondée par Rothman, assure toutefois que les réformes de la commission de sélection des juges sont moins radicales qu’il n’y paraît.

Selon Me Lev, ce n’est pas parce que la coalition est majoritaire au sein de la commission de sélection des juges qu’elle vote « en bloc », et il a fait remarquer que les représentants de la coalition au sein de plusieurs commissions de sélection des juges récentes venaient d’endroits différents de la classe politique et n’étaient pas nécessairement d’accord.
« L’ancien ministre de la Justice Avi Nissenkoren a eu des disputes entre les membres de la coalition de sa commission », a noté Me Lev, en référence à la commission formée pendant l’éphémère gouvernement d’unité nationale de 2020-2021 du Likud et de Kakhol lavan.
Dans le gouvernement Bennett-Lapid qui a suivi, « la commission dirigée par l’ancien ministre de la Justice Gideon Saar comptait un membre de la coalition issu du parti Avoda », a poursuivi Me Lev, notant les références fortement ancrées à droite de Saar. « Et l’ancienne ministre de la Justice Ayelet Shaked avait un député du parti Koulanou dans sa commission », a-t-il ajouté, notant la position de droite de Shaked et les positions plus centristes du défunt parti de Moshe Kahlon.
« D’un autre côté, les juges de la commission ont presque toujours voté à l’unanimité », a-t-il ajouté. « Vous ne pouvez donc pas considérer la coalition comme une seule entité. Vous aurez toujours des arguments pour chaque commission. »
Me Lev concède que, si la commission est restructurée comme le propose la coalition, les juges qui y siègeront, refléteront probablement les perspectives idéologiques du ministre de la Justice qui les nommera. Mais il a affirmé que, contrairement aux députés de la coalition qui siègent à la commission, ils seraient plus indépendants puisqu’ils ne pourraient pas être retirés de la commission une fois nommés.
Les dispositions mises en place par la Knesset en 1953 pour la sélection des juges ont perduré pendant 70 ans, mais elles semblent aujourd’hui sur le point d’être radicalement remaniées.
Le projet de loi de Rothman a déjà été adopté en première lecture et, à moins d’un changement radical dans la volonté du gouvernement d’entendre des propositions de compromis, la manière dont les juges sont choisis en Israël sera très bientôt extrêmement différente.
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