« Ramenez-les chez eux », véritable test de Rorschach des Juifs d’Israël et d’ailleurs
Pour les Sabras, le mouvement de libération des otages est critique de la politique militaire du gouvernement, mais pour les Juifs de la diaspora, il incarne la solidarité avec Israël
JTA – Dimanche dernier, à New York, des milliers de personnes se sont retrouvées pour le traditionnel défilé pro-Israël – qui était cette année moins une célébration qu’un rassemblement de soutien aux otages du Hamas.
Le parrain de ce défilé – le Conseil des relations de la communauté juive de New York – a expliqué que l’objectif était « d’envoyer un message urgent à la face du monde : ‘Ramenez-les chez eux maintenant !’ », c’est-à-dire sensibiliser au sort des otages, sans demander d’actions spécifiques.
La veille, à Tel Aviv, des dizaines de milliers de manifestants avaient demandé au gouvernement de conclure un accord avec le Hamas en vue d’un cessez-le-feu à la guerre qui dure maintenant depuis huit mois, en échange de la libération des 120 otages restants, vivants et morts.
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La guerre a commencé le 7 octobre dernier lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont massacré 1 200 personnes dans le sud d’Israël et ont fait 251 otages dans la bande de Gaza. Israël s’est engagé à renverser le régime du Hamas à Gaza et obtenir la libération des otages, mais fait face à une forte pression de la part de la communauté internationale pour mettre fin aux opérations militaires.
Assorti d’appels à la destitution du Premier ministre Benjamin Netanyahu ainsi qu’à des élections anticipées, le rassemblement en Israël a été à la fois politique et précis dans ses revendications.
L’un des organisateurs du rassemblement israélien, « We Are All Hostages [NDLT : Nous sommes tous des otages] », a écrit la semaine dernière une lettre ouverte aux « organisations juives américaines » leur demandant d’exiger que Netanyahu accepte un accord pour la libération des otages et mette fin à la guerre.
« S’il vous plaît, ne gardez plus le silence face à l’abandon criminel d’otages israéliens », a écrit le groupe. « Ne le laissez pas saboter cet accord. »
Les deux rassemblements et leurs messages concurrents soulignent le fossé qui existe entre nombre de Juifs américains et Israéliens qui, tous deux, défilent sous la bannière « Free the hostages [NDLT : Libérez les otages] ». En Israël, de nombreux défenseurs des otages critiquent le gouvernement et souhaitent un cessez-le-feu ; aux États-Unis, associations et individus juifs parlent des otages, soit dans un geste apolitique de solidarité, soit pour défendre les objectifs de guerre.
« Il est très clair qu’en Israël, ‘Bring them home’ est contre le gouvernement », explique le rabbin Jill Jacobs, PDG du groupe libéral de défense des droits de l’homme T’ruah, qui a écrit sur le sujet après avoir assisté à des manifestations lors de déplacements en Israël.
« Les Juifs américains semblent penser que ‘Bring them home’ est contre tout le monde sauf Israël. »
Le sauvetage spectaculaire de quatre otages par l’armée israélienne, samedi, a très brièvement rapproché les lignes.
Au moment où les Israéliens faisaient la fête dans la rue et, dans le cas du membre du cabinet de guerre, Benny Gantz, renonçait à convaincre Netanyahu sur la question de la guerre, ils ont été nombreux à mettre en avant le fait qu’un accord de cessez-le-feu était le plus sûr moyen de ramener les otages chez eux.
« Jusqu’à aujourd’hui, 7 otages ont été sauvés par des interventions militaires et une centaine, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu », a tweeté Maoz Inon, entrepreneur dont les parents ont été tués le 7 octobre et qui est devenu un militant anti-guerre de tout premier plan. « La seule façon d’avancer est de mettre fin à la guerre et de parvenir à un accord. »
Le contraste entre ces messages est patent dans l’une des actions du mouvement « Free the hostages », à savoir ces répliques de plaques d’identité militaires revêtues du nom des otages ou de messages de solidarité. Les Juifs américains les portent depuis le 7 octobre, à la manière dont les générations précédentes portaient des bracelets pour les prisonniers de la guerre du Vietnam ou les « prisonniers de conscience » juifs soviétiques. Parce qu’ils ne sont porteurs d’aucune revendication politique, ces colliers se sont imposés comme les tests de Rorschach de la droite, de la gauche et du centre.
Les douleurs et contradictions d’un monde juif dans la tourmente se reflètent dans le sens que chacun donne au discours sur les otages : solidarité, chagrin, justifications de la guerre d’Israël contre le Hamas, colère contre le gouvernement Netanyahu, réconfort pour les familles des otages ou simple besoin – humain et juif – de faire parler des otages.
L’UJA-Federation of New York, principal bailleur de fonds du JCRC, vend pour 18 dollars des « plaques d’identité pour otages », expliquant leur fonction en des termes apolitiques. « Ces plaques d’identité – les mêmes que celles distribuées dans tout Israël par le Forum des otages et des proches de disparus – nous rappellent (à nous et à d’autres !) de parler des otages jusqu’à ce que tous rentrent chez eux, auprès de leurs proches », peut-on lire sur son site Internet.
Sur son propre site Internet, le Forum des otages et des proches de disparus – le plus important groupe représentant les familles des otages – propose les plaques d’identité assorties d’une description semblable, qu’il présente comme des symboles de « l’engagement inébranlable à ramener chez eux les otages et les disparus ».
Si leurs messages se focalisent surtout sur les atrocités du Hamas et ses violations du droit international, le forum et ses membres parlent également de politique intérieure.
En décembre dernier, soit 80 jours après les attaques du Hamas, Nisan Calderon, frère de l’otage Ofer Calderon, prenait la parole lors d’un rassemblement organisé par le Forum pour dire : « Je demande aux membres du cabinet et du gouvernement d’œuvrer pour le retour des otages, immédiatement ». En mars, soit 150 jours après l’attaque, il prenait de nouveau la parole lors d’une réunion de la commission de la santé à la Knesset pour se plaindre que personne, au sein du gouvernement israélien, ne l’ait contacté – un reproche habituel des familles d’otages.
Yifat Calderon, cousine d’Ofer, est l’une des principales responsables de We Are All Hostages.
Historiquement, les Juifs américains répugnent à l’idée de critiquer publiquement le gouvernement israélien. Et par ailleurs, nombre d’entre eux souffrent d’insécurité à cause de la guerre et de la montée de l’activisme anti-Israël et antisémite.
« Je porte [la plaque d’identité] parce que je me sens connectée à Israël. Comme je ne suis pas là-bas physiquement, c’est le moins que je puisse faire », explique Shelly Talmud, mère de trois enfants à East Brunswick, dans le New Jersey. Deux de ses fils ont servi dans l’armée israélienne en qualité de « soldates seules », et son aîné, qui vit toujours en Israël, est réserviste. « Je pense qu’il est important de montrer partout que nous n’avons pas oublié les otages. »
Elle porte elle aussi une de ces plaques d’identité, avec son étoile de David, comme signe de son identité et aussi un peu comme un défi. « Quand je la porte, je suis bien consciente de ma judéité, ce qui a un petit côté effrayant. Mais c’est important pour les autres Juifs de voir que je la porte », affirme-t-elle.
« Et si quelqu’un me cherche des ennuis, je lui dirai : « Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe à Gaza. C’est totalement autre chose. Je parle simplement des otages et du fait qu’ils doivent être libérés. Je ne fais pas de politique. »
Depuis le 7 octobre, les Juifs d’Israël et des États-Unis ont développé des réponses symboliques, publiques et rituelles à la tragédie israélienne. Cela passe par des chaises vides à la table de Shabbat, dans les synagogues ou à la table du Seder pour rendre évidente l’absence des otages, des morceaux de ruban adhésif pour indiquer le nombre de jours écoulés depuis la prise d’otages, ou encore des affiches « Kidnapped » avec des photos des otages. La Place des otages à Tel Aviv est devenue un lieu de pèlerinage pour les Israéliens et les Juifs américains en visite.
Un peu après le 7 octobre, rappelle la rabbin Vanessa Ochs, professeure émérite d’études religieuses à l’Université de Virginie, ces réponses « sont de l’ordre de la solidarité avec Israël et signifient : ‘J’ai mal.’ »
Avec la guerre qui s’éternise et les critiques chaque jour plus dures, en Israël comme dans la communauté internationale, des symboles tels que ces plaques d’identité ont pris un nouveau sens. « Ils avaient l’avantage de dire ‘Je suis avec Israël quoi qu’il arrive. Je ne critiquerai jamais Israël », explique Ochs, spécialiste des nouveaux rituels et de la culture juive. « Et pour les gens qui critiquent Israël, c’est devenu un symbole d’une sorte de déni de responsabilité de réfléchir aux conséquences des actions militaires d’Israël. »
Ochs dit qu’un voisin lui a offert une plaque d’identité : « Je suis ravie de l’avoir parce que j’avais le cœur brisé. Mais je ne l’ai jamais portée, parce que je n’étais pas certaine qu’elle puisse passer en toute circonstance. »
Amanda Berman, directrice exécutive du mouvement sioniste « Unapologetically Zionist [Sioniste et fière de l’être] », comprend que pour de nombreux militants israéliens, libérer les otages suppose d’être favorable au cessez-le-feu. Mais en portant une plaque d’identité (en plus d’un chai ou d’autres symboles juifs), elle exprime une vision différente de ce que signifie faire de la « politique ».
« En tant que Juive américaine et en tant qu’être humain doté d’une conscience, je ne veux que la fin de la guerre. Mais la question, depuis l’après-midi du 7 octobre, est : que doit-il se passer pour que la guerre se termine ? Selon moi, cette pression aurait dû être exercée sur le Hamas pour qu’il libère les otages, cesse de tirer roquettes et missiles sur les villes israéliennes et de menacer la souveraineté de l’État juif », explique-t-elle. « Et à la minute où cela se produira, la guerre sera terminée. »
Le message de Berman n’est peut-être pas pro-guerre, mais il fait porter la responsabilité sur le Hamas plutôt que sur le gouvernement Netanyahu. C’est un peu la même chose que le message passé par une délégation du kibboutz Beeri, communauté du sud d’Israël très durement touchée par les attaques du Hamas, qui a défilé lors de la manifestation pro-Israël de New York.
Ou de Gat, dont la sœur Carmel est otage et dont la mère Kinneret a été assassinée ce jour-là, qui a dit à la JTA que le but de son déplacement de 10 jours aux États-Unis était de sensibiliser le public au sort des otages et de parler du Hamas, « organisation terroriste qui contrôle Gaza et fait énormément de mal au peuple palestinien ».
C’est aussi un message politique, mais dont l’objectif est de façonner l’opinion publique sur la guerre et ses objectifs – un message approuvé par le gouvernement israélien.
« Je porte une plaque d’identité #BringThemHomeNow lors de chaque interview ou conférence de presse pour rappeler – me rappeler à moi comme aux médias du monde entier – pourquoi nous nous battons », tweetait Eylon Levy, à l’époque porte-parole du gouvernement israélien, en décembre dernier.
Le mouvement We Are All Hostages souhaite que les Juifs américains en fassent plus et, dans sa lettre, se dit prêt à parler aux organisations juives pour faire valoir sa cause.
« Votre voix est cruciale pour sauver les membres de notre famille. Votre voix peut aider à mettre fin à cette guerre. Des vies sont en jeu », ont-ils écrit. « Nos familles sont en jeu. Nous avons besoin que vous soyez avec nous. »
Jill Jacobs, de T’ruah, explique que son groupe est arrivé à la même conclusion un peu plus tôt dans la guerre. Le 8 mai, elle a publié une déclaration pour demander au gouvernement Netanyahu « de conclure un accord de cessez-le-feu pour régler la situation des otages et les faire libérer ».
Elle est malgré tout consciente que même si la droite pro-Israël déteste la critique implicite d’Israël, la gauche pro-palestinienne est peu encline à l’empathie avec les otages – et que les affiches « Kidnapped » sont souvent arrachées ou recouvertes.
« Il existe cette idée, [à gauche], selon laquelle c’est contradictoire de demander un cessez-le-feu et de dire quelque chose à propos des otages », dit-elle. « J’aimerais que les gens d’extrême gauche, aux États-Unis, comprennent que cessez-le-feu et libération des otages sont les deux faces de la même pièce. Ils ne sont pas divergents. »
À Washington, depuis les attaques du Hamas, une centaine de personnes se rassemblent chaque dimanche devant le siège de la Croix-Rouge américaine autour du slogan « Bring Them Home Now ».
Parce qu’ils sont des Américains d’origine israélienne – membres du groupe UnXeptable D.C., formé avant la guerre contre Netanyahu et sa refonte judiciaire avant d’épouser la cause de la mobilisation pour les victimes du Hamas – aider les populations vulnérables d’Israël et plaider pour la libération des otages –, les organisateurs tentent de rapprocher les lignes entre ce que la cause signifie pour eux et ce qu’elle signifie pour les Juifs américains non israéliens.
« Au début, nous étions particulièrement attentifs à ne pas faire de politique. Nous voulions juste que l’on continue de parler des otages », explique Vered Guttman, écrivaine culinaire, co-organisatrice du rassemblement et représentante du Forum des otages et des proches de disparus en Israël.
« Au bout de trois mois, nous avons été déçus par le gouvernement israélien. Plus le temps passait, plus il est apparu qu’il y avait là une question politique que nous ne pouvions pas ignorer – comme nous ne pouvions pas ignorer ce qui se passe à Gaza. »
Les orateurs ont commencé à demander que le gouvernement signe un accord et remercie le président américain Joe Biden d’avoir parlé des otages et de la fin de la guerre. La plupart de ceux qui assistent à cette veillée sont des Juifs américains, qui reviennent, encore et encore, même si les propos de certains orateurs leur déplaisent.
« Nous sommes plutôt ouverts », dit Guttman, notant que si les orateurs d’UnXeptable demandent au gouvernement israélien de signer un accord de cessez-le-feu, ils invitent des orateurs de tout bord politique – allant du sénateur Chris Van Hollen au Démocrate du Maryland, fréquent critique d’Israël, en passant par Robert Satloff, directeur exécutif du Washington Institute for Near East Policy qui a des liens étroits avec les autorités israéliennes.
Une telle approche, explique-t-elle, « nous permet de voir large et de faire venir de nouveaux publics ».
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux de la JTA ou de sa société mère, 70 Faces Media.
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