Israël en guerre - Jour 466

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Carnet du journaliste"Les gens ont peur, ils se sentent attaqués"

Rancœurs et tensions suite à l’attaque terroriste d’Eli et aux saccages d’extrémistes

Le meurtre de 4 Israéliens a suscité douleur et indignation au sein des implantations ; certains ont réagi avec des actes de représailles dans les villages palestiniens voisins

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Un impact de balle dans la fenêtre du restaurant Hummus Eliyahu à l'extérieur de l'implantation d'Eli en Cisjordanie, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)
Un impact de balle dans la fenêtre du restaurant Hummus Eliyahu à l'extérieur de l'implantation d'Eli en Cisjordanie, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

« C’est ici qu’on a tiré sur Elisha », nous explique Aviad Gizbar, en montrant un banc de pique-nique dans le restaurant de houmous qu’il tient derrière une station-service, à côté de l’implantation d’Eli, en Cisjordanie.

« C’est là que Harel a été tué », poursuit-il en montrant un autre banc de pique-nique de l’autre côté de l’entrée du restaurant, détaillant pas à pas l’attaque terroriste meurtrière perpétrée la semaine dernière par deux hommes armés du Hamas originaires du village d’Urif, situé à une vingtaine de kilomètres.

Nachman Mordoff et Elisha Anteman, tous deux âgés de 17 ans, et Harel Masood, 21 ans, ont été tués alors qu’ils mangeaient chez Hummus Eliyahu ; Ofer Fayerman, 64 ans, a été tué alors qu’il était en train de faire le plein d’essence. Quatre autres personnes ont été blessées, dont deux employés de Gizbar. Un des terroristes a été abattu sur place et le deuxième a été tué lors d’une fusillade qui a suivi une chasse à l’homme de plusieurs heures.

Les impacts de balles du fusil d’assaut M-16 utilisé lors de l’attaque sont toujours visibles autour du restaurant. Une fenêtre a été percée de part en part, un distributeur de limonade a été touché, un carreau de céramique a été brisé créant un trou béant dans le mur derrière lui, et le bar lui-même a été parsemé d’impacts de balles.

Pourtant, au milieu de cette mort et de cette violence, les clients commandent de la nourriture, mangent et se détendent sous le soleil de la fin de l’après-midi.

C’aurait pu être le signe d’un retour à la vie normale si ce n’était pour la présence de nombreux soldats de Tsahal gardant le site ou passant par là suite à l’attaque.

Aviad Gizbar, propriétaire du restaurant Hummus Eliyahu où quatre Israéliens ont été tués lors d’une attaque terroriste à l’extérieur de l’implantation d’Eli en Cisjordanie, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

L’attentat d’Eli n’a pas seulement laissé dans son sillage quatre familles dévastées, un pays en deuil et des habitants d’implantations en colère qui affirment que cet attentat prouve que la protection contre les terroristes palestiniens assurée par l’armée et le gouvernement est insuffisante. Il a également donné lieu à une vague de représailles de la part d’extrémistes, au cours de laquelle des centaines de jeunes hommes juifs se sont déchaînés dans les villages palestiniens voisins, notamment Turmus Ayya, Umm Safa et Urif, incendiant des maisons, des voitures et des champs agricoles et, dans certains cas, tirant sur les habitants.

La fusillade meurtrière et ses conséquences n’étaient pas sans précédent. Mais elles ont renforcé l’animosité et les tensions dans les territoires contestés de la Cisjordanie.

Gizbar n’était pas dans son restaurant au moment de l’attaque ; il suivait un entrainement pour le service de réserve de Tsahal dans le nord du pays. Mais il raconte avoir suivi sur son téléphone portable l’attaque filmée par les caméras de sécurité, au moment où elle se déroulait.

« Je n’ai jamais ressenti ce que j’ai ressenti lorsque j’ai ouvert les images de l’attaque. Ma gorge était sèche, je n’avais jamais ressenti cela de ma vie », a-t-il déclaré à l’extérieur de son restaurant en début de semaine.

« Mais on pleure, on s’adapte, on relève la tête, et à la fin de la journée, on gagne. Notre victoire, c’est d’être ici », a-t-il déclaré. « On n’a pas d’autre choix que de gagner. »

L’armée israélienne sur les lieux d’une attaque terroriste meurtrière près de l’implantation d’Eli en Cisjordanie, le 20 juin 2023. (Crédit : Flash90)

Ce n’était pas la première fois qu’il était confronté à un attentat terroriste. Outre son restaurant de houmous, Gizbar dirige une yeshiva dans le sud de Tel Aviv, fondée par le rabbin Ahiad Ettinger. Ce dernier vivait à Eli et a été tué lors d’une attaque terroriste à Ariel en 2019.

« Si nous n’étions pas là, cela [les attaques terroristes] se produirait là et partout. Le pays tout entier est un front », a-t-il déclaré. « Personne ne va nulle part. »

Gizbar définit le conflit en termes tranchants et parle de « guerre de religion » menée contre les Juifs par leurs ennemis ; il nie l’existence de racines nationalistes derrière cette lutte vieille de plusieurs dizaines d’années.

Il affirme également que le conflit n’est pas complexe et qu’il y a juste « des bons et des mauvais », mais insiste néanmoins sur le fait qu’il « ne parle pas de tous les Arabes ».

« Nous gagnerons. Ils veulent nous faire du mal parce que nous sommes Juifs. Un point c’est tout. »

30 maisons incendiées

À Turmus Ayya, les habitants, les travailleurs agricoles et le maire ne voient pas les choses de la même façon.

Assis derrière son bureau, Lafi Adeeb Shalabi explique que les extrémistes ont mené des attaques répétées contre la ville et les terres environnantes depuis le premier assaut majeur de mercredi.

Le maire de Turmus Ayya, Lafi Adeeb Shalabi, assis à son bureau, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

L’émeute la plus importante s’est produite juste après les funérailles de Mordoff, dans l’implantation voisine de Shiloh. Mordoff vivait dans l’avant-poste illégal d’Achiya, à quelques kilomètres à l’est de Shiloh.

« Les gens ont peur, ils se sentent en danger, ils n’ont pas d’armes. Les gens ont des enfants en bas âge dans leurs maisons et ils se sentent agressés par les habitants des implantations », a déclaré Shalabi par l’intermédiaire d’un traducteur.

Au cours de l’émeute, des centaines de résidents d’implantations masqués sont descendus à Turmus Ayya, où ils ont allumé des incendies, lancé des pierres et des cailloux sur les habitants, et même tiré avec des fusils d’assaut.

De jeunes Palestiniens sont allés affronter les émeutiers dans la ville et des échauffourées ont eu lieu, durant lesquelles les deux camps se sont lancés des pierres.

Un Palestinien, Omar Qattin, âgé de 27 ans, a été tué dans l’attaque, et on ignore encore à ce jour s’il a été abattu par la police qui est intervenue au cours de l’émeute ou par l’un des habitants armés de l’implantation.

L’Autorité palestinienne (AP) a déclaré que 12 personnes avaient été blessées, dont au moins quatre par balles. La police israélienne a publié un communiqué indiquant que la police anti-émeute avait tiré et touché un homme qui avait tiré sur elle, mais n’a pas précisé si l’homme était mort.

Des extrémistes juifs masqués lancent des pierres et vandalisent des biens dans le village palestinien de Turmus Ayya, le 21 juin 2023. (Crédit : Capture d’écran d’une caméra de sécurité)

« Lorsque la police israélienne est arrivée, j’ai dit à tous les jeunes d’arrêter de jeter des pierres parce que nous étions en sécurité. Mais la police israélienne se tenait là et observait pendant que les colons israéliens tiraient et ils n’ont rien fait pour les arrêter », a déclaré Shalabi.

Une vidéo a été publiée sur Facebook avec un message en arabe faisant l’éloge de Qattin, le montrant avec d’autres jeunes hommes se précipitant pour affronter les émeutiers qui marchaient vers Turmus Ayya, et leur jetant des pierres. Il est toutefois impossible de voir son visage ou de l’identifier.

Selon le maire, une soixantaine de véhicules auraient été incendiés au cours de l’attaque et 30 maisons brûlées. Il a précisé que les émeutiers venaient de la direction de Shiloh.

Jihad Shalabi, qui possède une maison à Turmus Ayya mais vit principalement à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, a raconté qu’il venait de rentrer chez lui après avoir fait les prières lorsque les extrémistes juifs ont encerclé les maisons de la ville et ont mis le feu à certaines d’entre elles.

« Ils jetaient des pierres et démolissaient tout », a relaté Jihad, précisant qu’il était avec sa femme, ses deux enfants et ses deux petits-enfants âgés de 3 et 1 an à l’intérieur de la maison pendant l’émeute.

Jihad Shalabi qui était à l’intérieur de sa maison à Turmus Ayya avec sa famille pendant l’émeute d’extrémistes juifs, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

« Nous nous sommes tous figés et avons paniqué. C’était un cauchemar », a-t-il poursuivi, ajoutant que les extrémistes avaient continué à tout saccager à proximité de sa maison pendant environ 25 minutes avant de partir.

S’exprimant lors d’une cérémonie funéraire à son domicile dans la ville, Hisham Qattin, le père d’Omar, décrit son fils comme « une personne innocente, un homme normal qui aidait toujours les autres et avait un bon cœur ».

Omar était marié et père de deux jeunes enfants, âgés de 3 et 1 an, et revenait d’un voyage en Jordanie avec sa femme pour fêter leur anniversaire de mariage.

Selon Qattin, Omar se serait précipité vers les maisons incendiées pour aider les habitants à évacuer et il aurait été abattu alors qu’il tentait de les secourir.

Violence habituelle ?

L’attaque de Turmus Ayya mercredi dernier n’est pas le seul incident violent dont les habitants de la ville ont été victimes, comme l’a souligné Hisham.

« Le problème n’est pas seulement ce qui est arrivé à Omar, c’est un problème qui touche l’ensemble de la population palestinienne. Il se passe quelque chose tous les jours. Nous sommes maltraités », a-t-il déclaré.

Nadal Abu Aliya, un ouvrier agricole, a déclaré avoir été harcelé et menacé dimanche par les habitants d’un minuscule avant-poste illégal situé à quelques centaines de mètres de l’extrémité des champs appartenant à des Palestiniens, à l’extérieur de Turmus Ayya.

Les résidents d’implantations sont sortis de l’avant-poste, l’ont chassé et ont mis le feu aux champs, a-t-il dit en montrant les zones noircies et brûlées de la terre où il travaillait.

En juillet 2022, des propriétaires terriens de Turmus Ayya ont signalé que des dizaines d’oliviers avaient été arrachés sur leurs terres, et un incident similaire a été enregistré en novembre de la même année.

Les violences commises par des résidents d’implantations extrémistes, souvent basés dans des avant-postes illégaux, sont devenues un problème récurrent pour la population palestinienne de la région.

Nadal Abu Aliya, un ouvrier agricole palestinien dans les champs de Turmus Ayya, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

Les Palestiniens et les organisations de défense des droits de l’homme accusent régulièrement les extrémistes des avant-postes illégaux tels que Esh Kodesh, Ahiya, Adei Ad et Geulat Tzion d’attaquer, de battre et de harceler les résidents et les travailleurs locaux, ainsi que de causer des dommages considérables à leurs biens et à leurs terres.

Le 30 mai de cette année, le quotidien Haaretz a rapporté que des assaillants venant d’Ahiya étaient entrés dans le village de Jalud, à une dizaine de kilomètres à l’est d’Eli, avaient jeté des pierres et tenté de provoquer des incendies.

Le site d’information palestinien Wafa a indiqué que les personnes qui ont arraché des oliviers sur les terres de Turmus Ayya en juillet 2022 venaient d’Adei Ad, à l’est de Shiloh.

De même, une attaque contre des Palestiniens près de Jalud en avril 2021 a été menée par des résidents d’implantations extrémistes qui venaient de la direction d’Esh Kodesh, à plusieurs kilomètres à l’est d’Eli, selon l’organisation Yesh Din, qui surveille les implantations et les actes de violence.

Yesh Din recense les violences commises par les habitants des implantations depuis 2005, et dit avoir suivi 1 597 enquêtes de police sur des cas de violences commises par des Israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie jusqu’en décembre 2022.

Selon l’organisation, sur les 1 531 enquêtes menées à bien par la police, seuls 107 actes d’accusation ont été déposés, soit 7 % seulement, et des charges ont été prononcées dans seuls 46 des cas.

Nous avons une mission ici

De retour à Eli, les habitants restent défiants, insistant sur le fait que ce sont les résidents d’implantations qui subissent le plus d’attaques violentes dans la région.

Hemdah Hadi, 35 ans, mère de trois enfants, a vécu dans l’implantation presque toute sa vie.

Elle note que les déplacements en voiture sur les routes sont particulièrement dangereux et « terrifiants », surtout lorsqu’elle est accompagnée de ses enfants.

Hadi raconte que son beau-frère circulait récemment dans la région avec son jeune enfant dans la voiture lorsqu’une pierre a été lancée sur le véhicule, brisant la vitre et manquant de peu la tête de l’enfant.

Selon Eliana Passentin, porte-parole du conseil régional de Binyamin pour la presse étrangère et résidente d’Eli depuis 28 ans, il y aurait eu plus de 200 attaques terroristes, y compris des jets de pierres, des attaques au cocktail Molotov et des fusillades, dans la région de Binyamin dans les six jours qui ont suivi l’attentat d’Eli.

Eliana Passentin (à gauche), résidente d’Eli et porte-parole internationale du Conseil régional de Binyamin, en compagnie d’une autre résidente d’Eli, Hemdah Hadi, le 26 juin 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/Times of Israel)

Hadi se souvient que, lors de l’attaque de mardi, des alarmes sonores avertissant d’une possible infiltration dans l’enceinte d’Eli ont retenti après la fuite d’un des terroristes de la station-service, dont on ignorait toujours la localisation.

Hadi raconte qu’elle s’est précipitée pour rassembler ses enfants, les a fait rentrer dans leur maison et a attendu avec eux pendant deux heures que le signal de fin d’alerte soit donné.

« Les alarmes retentissaient, indiquant qu’un terroriste était entré dans l’implantation, des hélicoptères survolaient mon balcon. C’était la situation ici », a-t-elle déclaré.

« Nous sommes tous des héros ici », a déclaré Hadi lorsqu’on lui a demandé de décrire la vie d’une jeune famille dans de telles circonstances. « Nous aimons notre pays et nous savons que sans notre présence en Judée et en Samarie, les conséquences pour le reste du pays seraient terribles. Nous nous sentons investis d’une mission ici. »

« C’est ainsi que j’ai été éduquée, c’est ainsi que tous les enfants d’ici sont éduqués, et c’est ainsi que nous éduquons la prochaine génération », a-t-elle ajouté.

(De gauche à droite) Harel Masood, 21 ans, de Yad Binyamin, Elisha Anteman, 17 ans, d’Eli, Ofer Fayerman, 64 ans, d’Eli, et Nachman Mordoff, 17 ans, d’Ahiya, tués dans une fusillade dans l’implantation d’Eli, le 20 juin 2023. (Crédit : Autorisation)

Passentin nous a confié qu’elle n’était pas chez elle lors de l’attaque, mais qu’elle avait appelé un de ses fils dès qu’elle avait entendu parler d’une fusillade au restaurant Hummus Eliyahu, où son fils travaille comme serveur.

« Il m’a fallu une minute et demie pour joindre mon fils. Mon cœur battait la chamade, mes paumes transpiraient, mais il a fini par répondre et a dit qu’il n’était pas là car il n’avait pas travaillé ce jour-là, bien que la veille il avait travaillé précisément à cette heure-là », a-t-elle raconté.

« Mais dès qu’il a dit qu’il allait bien, j’ai réalisé que le fils de quelqu’un d’autre n’allait pas bien et que c’était sûrement quelqu’un que je connaissais. »

Passentin a déclaré qu’elle était fermement opposée à la violence contre les Palestiniens, mais elle a insisté sur le fait que la plus grande partie de la violence, et les attaques les plus graves, sont le fait de Palestiniens.

« Je condamne catégoriquement toute personne qui commet des actes contraires à la loi. Un groupe d’adolescents extrémistes, des vandales, qui brûlent des voitures, ce n’est pas bien, ce n’est pas bien du tout, mais de là à les comparer dans la même phrase à ce qui s’est passé ici, il n’y a pas de comparaison. Il n’y a pas de comparaison possible. Et c’est ce qui me blesse le plus », a-t-elle déclaré.

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