Recomposer le « puzzle » des violences sexuelles du 7 octobre
Par manque de formation et de sensibilisation à la question, la plupart des secouristes, des hommes souvent orthodoxes, "n'ont pas pensé au viol du tout" et ont dû réagir dans l'urgence, explique une gynécologue
Plus de deux mois après l’attaque sanglante du Hamas palestinien sur le sol israélien, les témoignages sur des viols et violences sexuelles se multiplient. Mais le peu de récits de survivants et l’absence d’expertise médico-légale compliquent l’évaluation de leur ampleur.
« Le Hamas a utilisé le viol et la violence sexuelle comme des armes de guerre », a affirmé début décembre l’ambassadeur israélien auprès de l’ONU, Gilad Erdan, pour réveiller des institutions internationales qui ont largement et parfois ouvertement ignoré les crimes sexuels. Un silence qui a donné naissance à ce slogan « metoo unless you’re a jew » : metoo, du mouvement féministe à moins que tu ne sois juive. Il a fallu attendre deux mois pour que l’ONU condamne les violences sexuelles perpétrées par les Palestiniens.
D’autres responsables ont répété ces dernières semaines que les terroristes du mouvement islamiste ainsi que des civils, qui se sont infiltrés en Israël depuis la bande de Gaza le 7 octobre, avaient commis des viols répétés, violents, en réunion, des mutilations génitales, des actes de pédocriminalité et de nécrophilie.
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Des témoins et experts interrogés par l’AFP indiquent que la confusion des premiers jours et l’envergure inédite de l’attaque, qui a fait environ 1 140 morts et traumatisé le pays, ne permet toutefois pas pour l’heure de dresser un tableau clair des exactions, ni leur caractère systématique.
Dans les jours suivant l’attaque, des centaines de corps sont arrivées sur la base militaire de Shura, dans le centre du pays, parfois calcinés et mutilés au point de rendre les examens extrêmement délicats.
Il n’y a pas eu de rapports médico-légaux portant sur les violences sexuelles, explique à l’AFP Mirit Ben Mayor, porte-parole de la police.
« Les corps n’ont pas été analysés pour vérifier les cas de viol mais pour être identifiés » avant une inhumation rapide, comme le veut la tradition juive, dit-elle.
Shari, dont le nom est tu à la demande de l’armée, était l’une des réservistes chargés de l’identification et de la toilette mortuaire des dépouilles de soldates.
« Nous étions sous le choc », se rappelle-t-elle.
« De nombreuses (dépouilles de) jeunes femmes sont arrivées dans des haillons et des sous-vêtements souvent pleins de sang. Notre cheffe d’équipe a vu des bassins, le vagin ou la poitrine de plusieurs soldates perforées par des balles ». D’autres ont vu des pelvis brisés.
Mais « il est très difficile de donner un chiffre exact », dit Shari. Architecte de métier, elle dit ne pas avoir été formée pour gérer autant d’atrocités.
L’attaque du 7 octobre est la plus meurtrière contre des civils sur le sol israélien depuis la fondation de l’Etat en 1948.
Pour Dvora Bauman, gynécologue spécialisée dans l’aide aux victimes d’abus sexuels à Jérusalem, la prise en compte de ce type de violences a été trop tardive.
Par manque de formation et de sensibilisation à la question, la plupart des secouristes, des hommes souvent orthodoxes, « n’ont pas pensé au viol du tout » et ont dû réagir dans l’urgence, dit-elle à l’AFP.
« Il y avait un nombre considérable de problèmes de communication et pas d’organisation entre les différents services de secours, l’armée, la police… », se rappelle Eli Hazen, 56 ans, bénévole de l’organisation Zaka, spécialisée dans la collecte et l’identification des corps conformément aux rituels juifs.
« Il est difficile de savoir exactement ce qu’il s’est passé dans chaque cm2 », dit-il, tout en voulant témoigner de ce qu’il a vu.
Dans une maison du kibboutz de Beeri, une femme abattue d’une balle dans la tête, dont le bas du corps était dénudé, a été trouvée agenouillée au pied du lit, dans une position qui laisse « clairement supposer ce qu’il s’est passé ». Ailleurs, dans une maison en ruines, le cadavre d’une jeune fille, sous le corps d’un « terroriste » mort, tous les deux peu vêtus et en état de décomposition, raconte-t-il à l’AFP.
Un autre bénévole de Zaka, Simcha Greiniman, raconte à l’AFP avoir découvert dans un des kibboutz attaqués une femme morte avec des objets tranchants dans le vagin, dont des clous.
Cela relève de violences sexuelles, explique la juriste française Céline Bardet, de même que certaines images ayant déferlé sur les réseaux sociaux, comme celles de Shani Louk, dénudée à l’arrière d’un pick-up, emmenée de force à Gaza, rudoyée et sur laquelle on crache sur la tête ensanglantée. Sa mort a été annoncée plus tard.
« Enlève ton pantalon »
Dans les cas de viols, la situation est plus complexe car la plupart des victimes sont présumées mortes et les exhumations, proscrites par le judaïsme, sont peu probables.
Les récits de témoins oculaires se multiplient dans les médias, surtout des survivants du festival Nova où 3 000 jeunes faisaient la fête à moins de 10 km de Gaza. 364 personnes y ont perdu la vie.
« Il y avait trois jeunes filles, nues à partir de la taille, les jambes écartées. L’une avait le visage brûlé. On avait tiré sur le visage d’une autre et sur tout le bas du corps de la dernière », se remémore Rami Shmuel, l’un des organisateurs de l’événement, revenu sur les lieux dès le 8 octobre.
« Nous avons vu beaucoup de corps. Mais jamais un homme nu avec les jambes écartées », dit-il à l’AFP.
Sur les réseaux sociaux, des images tournent en boucle pour dénoncer un féminicide massif. On peut voir des documents retrouvés, selon l’armée israélienne, sur les combattants du Hamas, dont un lexique indiquant comment dire « Enlève ton pantalon », « Enlève tes vêtements » en hébreu.
Dans au moins deux vidéos non sourcées d’interrogatoires de terroristes du Hamas, on les entend parler d’instructions données pour violer des femmes. Contactées par l’AFP, les agences de sécurité israéliennes – Shin Bet, police, armée – ont néanmoins indiqué que ces vidéos n’avaient pas été diffusées par elles.
Sollicitée par l’AFP, la diplomatie israélienne a déclaré que la commission d’enquête du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU était « partiale », composée de membres « antisémites » et « anti-Israël ».
La Cour pénale internationale (CPI), dont le procureur en chef Karim Khan était en Israël et dans les Territoires palestiniens début décembre, pourrait enquêter.
Mais cela prendra des années, prédit Cochav Elkayam-Lévy, professeure de droit, qui a fondé la « commission civile sur les crimes du Hamas contre les femmes et les enfants », pour documenter tout témoignage ou élément sur les exactions.
Douloureuse, la parole des femmes victimes de violences surgit parfois des années plus tard, note Mme Elkayam-Lévy.
« On ne saura jamais ce qui est arrivé aux femmes, l’étendue des crimes », regrette-t-elle auprès de l’AFP. « Mais on reconstruit ce puzzle abîmé, pièce par pièce ».
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