Refonte judiciaire : À l’origine du combat, il y a une défiance profonde
Pourquoi le ministre de la Justice se précipite autant, pourquoi les investisseurs étrangers s'inquiètent et pourquoi l'appel au dialogue du président Herzog pourrait rester vain ?
Les artisans de la refonte judiciaire gouvernementale ont peur – et ils n’éprouvent aucune honte à l’admettre.
Ils n’ont pas peur des manifestations ; ils n’ont pas peur des sondages qui révèlent que le soutien à leurs réformes est déclinant parmi les Israéliens. Ils n’ont pas peur non plus des informations constantes portant sur l’annulation d’investissements étrangers ou sur le retrait, par des multinationales paniquées, de l’argent qu’elles ont placé dans le pays. Ils sont également imperturbables face aux mises en garde lancées par le président Isaac Herzog qui s’inquiète « d’un effondrement sociétal » imminent.
Ces activistes – avec à leur tête le ministre de la Justice Yariv Levin et le président de la Commission de la Constitution, du droit et de la Justice, Simcha Rothman – ont planifié et espéré ce jour depuis bien trop longtemps pour se laisser détourner de leur objectif. Ils ont la conviction – et des traces écrites depuis deux décennies pour le prouver – que l’État juif sortira plus fort, plus démocratique à l’issue de leurs réformes.
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Ils veulent renverser la table et ils restent inébranlables face aux hurlements d’indignation de leurs opposants. En effet, la résistance féroce rencontrée par leur plan ne les a rendus que plus déterminés à le faire avancer malgré les vents contraires. Chaque nouvelle manifestation, chaque nouveau ex-confident de Netanyahu – comme l’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen ou comme l’ancien conseiller économique Eugene Kandel – rejoignant les rangs de l’opposition ne font que confirmer, à leurs yeux, le caractère rare de cette opportunité.
Un enchaînement presque unique de facteurs a ouvert une fenêtre qui pourrait ne plus jamais se représenter au cours de leurs carrières politiques : une coalition de droite homogène qui soutient cette réforme judiciaire spectaculaire et controversée ; un Premier ministre qui soutient lui aussi ce plan ou qui est trop faible pour y résister (des désaccords existent sur ce point au sein de la coalition) et la présence de certains des partisans les plus passionnés de la refonte judiciaire à des postes déterminants à la Knesset ou au gouvernement.
Et si la fenêtre actuelle se referme sans que la réforme n’ait été menée à bien, cette opportunité singulière aura été gâchée.
Ils n’ont pas peur de l’opposition : ils ont peur d’une perte de vitesse.
Quand Herzog a appelé au dialogue et au gel de la campagne-coup de poing menée à la Knesset pour faire adopter le projet de loi, Levin s’est félicité d’un dialogue – mais tant qu’il ne ralentira pas le processus législatif.
« Pour garantir que le dialogue ne devienne pas un moyen de faire traîner les choses en longueur, de reporter et d’empêcher une réforme significative du système judiciaire, le débat ne peut en aucun cas être lié à l’avancée du processus législatif », a-t-il déclaré. Si l’opposition veut « un dialogue » alors elle a tout intérêt à se dépêcher.
« Parallèlement à l’avancée de la législation, nous aurons suffisamment de temps pour le dialogue et pour trouver une entente entre la deuxième lecture et la troisième », a poursuivi Levin.
Interrogé, cette semaine, par le Times of Israel sur la possibilité que le patchwork de réformes qui constitue le plan de refonte judiciaire puisse être intégré dans le cadre d’un effort constitutionnel plus large ajoutant de nouveaux outils de contrôle sur le pouvoir du gouvernement en lieu et place du système affaibli de la justice, Rothman a écarté cette idée d’un revers de la main.
« Nous ne pouvons pas nous permettre de discuter, de réfléchir, de parler, de négocier, de tomber d’accord si nous n’avons pas la certitude que ce que nous déciderons sera bien mis en œuvre. Il faut faire confiance au système pour trouver un compromis, pour trouver une forme ou une autre d’accord », a-t-il répondu.
Et toute confiance est actuellement exclue, a-t-il expliqué, alors que les députés qui négocient la possibilité d’une constitution plus large ne sont pas sûrs que « la Cour respectera la constitution et les compromis qui viennent avec… La première initiative à prendre pour tenter de mettre au point une constitution, une demi-constitution, une constitution procédurale en Israël, c’est de retrouver la confiance du peuple, qu’il sache que chaque décision qu’il prendra sera respectée par la Cour et par les autres branches du gouvernement ».
D’abord, affaiblir la Cour – et ensuite seulement, réfléchir à introduire d’autres moyens de contrôle institutionnels à sa place.
Vient l’argent
Et tandis que les défenseurs des réformes font avancer leur projet de loi, le coût potentiel de ce dernier continue à grimper.
« 37 firmes du secteur high-tech retirent d’Israël 780 millions de dollars et stoppent le processus de dépôt de deux milliards de dollars dans le pays ». « Intel reporte une rencontre [avec des responsables du ministère de l’Économie] consacrée à l’élargissement de ses investissements en Israël à hauteur de 20 milliards de dollars ». « Un homme d’affaires israélien retire approximativement 600 millions de shekels du compte de son entreprise à la Banque Hapoalim. »
Des titres qui ont été présentés en Une des journaux économiques en Israël, qui évoquent tous le prix financier de la refonte judiciaire. Les fils d’actualité des journalistes économiques, sur Twitter, sont plus sombres encore.
Le 3 février, Amalya Duek de la Douzième chaîne a partagé « les inquiétudes » de JPMorgan, la plus grande banque par capitalisation boursière au monde.
Le 12 février, sur la Treizième chaîne, Matan Hodorov a partagé un courrier adressé à la banque Hapoalim par l’investisseur milliardaire du secteur technologique cité dans le titre ci-dessus qui expliquait la raison pour laquelle il avait retiré ses 600 millions de shekels : « Nous avons reçu une requête de la part d’un membre du conseil d’administration, le représentant d’un fonds américain très important qui avait investi des sommes significatives dans l’entreprise » et « qui a fait part de sa crainte, ainsi que de la crainte du fonds, concernant les effets possibles de la réforme judiciaire… comme il l’a dit, en plus des nombreux risques qui existent d’ores et déjà dans le milieu des affaires, ce n’est pas un risque que le fonds souhaite prendre et il n’est pas prêt à en subir les conséquences ».
Assaf Rappaport, directeur-général de la firme de cybersécurité Wiz, s’est entretenu, la semaine dernière, avec la Treizième chaîne sur l’inquiétude croissante de ses investisseurs. Ainsi, ses investisseurs lui demandent : « Mais bon sang, que se passe-t-il dans votre pays, mais où va-t-on comme ça ? »
« Nous tentons de les rassurer, d’expliquer que tout ira bien. Mais ils sont très, très préoccupés face à ce qui est en train de se passer. Et quand ils lisent les rapports de la Barclay’s, de HSBC, de JPMorgan, leur inquiétude ne fait que se renforcer et ils se demandent pourquoi ils prendraient ce risque énorme de placer leur argent en Israël », a déclaré Rappaport.
« Tout ça se joue en coulisse », a confié le responsable d’une firme d’investissement au journal économique Calcalist, cette semaine. « Ce n’est pas une réflexion basée sur la politique – seulement sur la gestion du risque ».
L’ultime recours
Ce type d’information arrive encore au compte-gouttes, mais tout le monde est conscient qu’une vague pourrait bien s’abattre.
Dès le 25 janvier, après les premières informations de retrait de fonds qui sont parues dans la presse et après, aussi, un courrier écrit par d’éminents économistes – notamment par l’ancien conseiller en chef de Netanyahu lui-même, Kandel – qui a mis en garde contre le préjudice potentiel que pourrait essuyer l’économie si la réforme devait aller de l’avant, le Premier ministre a organisé en urgence une conférence de presse.
Se tenant aux côtés de Bezalel Smotrich, le ministre des Finances, et de Nir Barkat, le ministre de l’Économie, Netanyahu a défendu la droite de l’échiquier politique face aux avertissements économiques, avec un plaidoyer utilisé depuis par son bloc au fur et à mesure que les banques mondiales majeures, des Prix Nobel en économie et d’innombrables autres viennent ajouter leur voix au concert des protestations.
Ces mises en garde apocalyptiques, a dit Netanyahu, ne résultent guère d’autre chose que de la politique de la terre brûlée pratiquée par le centre-gauche qui s’efforce de faire naître une telle méfiance face aux capacités de l’économie israélienne qu’il entraînera l’effondrement contre lequel il met pourtant en garde. C’est une campagne politique cynique se déguisant sous la forme d’avertissements économiques, a-t-il estimé.
Netanyahu a fustigé « le tsunami de mensonges au sujet de l’effondrement de l’économie » et il a sommé l’opposition « de se comporter de manière responsable ».
Il y a un fil qui relie tous ces phénomènes – la conviction du centre-gauche que les libertés les plus fondamentales du pays sont en jeu ; la fuite en avant de Levin et de Rothman pour faire adopter leurs réformes malgré l’opposition féroce (ou à cause d’elle) ; les signaux laissant penser que des conséquences économiques pourraient être dures pour le pays si la refonte devait être menée à bien – des signaux qui se multiplient.
Ce fil, c’est la défiance.
Rothman et Levin ne pensent pas qu’ils peuvent se payer le luxe de stopper le processus législatif parce qu’ils ne croient pas que l’opposition sera capable de négocier de bonne foi sans qu’une épée de Damoclès ne se trouve suspendue au-dessus de leur nuque. Ils ne font pas confiance non plus à la Haute-Cour telle qu’elle est constituée aujourd’hui qui, selon eux, n’autorisera aucun compromis final. Du point de vue de Levin, les offres les plus récentes de négociations faites par l’opposition n’ont été soumises que parce qu’elle a été déstabilisée par la vitesse du processus législatif. Si ce rythme effréné doit ralentir, alors cet avantage sera perdu et peut-être, avec lui, la possibilité unique d’une réforme.
Pour sa part, le centre-gauche a de bonnes raisons de se méfier de ces réformateurs en herbe. Le projet de refonte semble, dans sa nature, laisser un pouvoir gouvernemental débridé entre les mains d’une coalition unie et de plus en plus uniforme. Rothman et Levin ont consacré des propos acerbes, ces dernières semaines, aux pouvoirs « inhabituels » de la Cour suprême – ce qu’ils veulent faire disparaître – pour éviter de devoir répondre aux questions sur les pouvoirs non moins inhabituels que leur plan accordera à la coalition de gouvernement.
Par ailleurs – à l’exception occasionnelle de Rothman – les responsables à l’origine de la réforme ont refusé de s’expliquer devant les Israéliens. Levin a décliné presque totalement les interviews sur la refonte (à l’exception notable d’un podcast de droite) et Netanyahu, depuis des mois, rejette systématiquement tout entretien avec les médias israéliens qui ne le défendent pas avec ferveur.
Rien de tout cela n’est laissé au hasard. La prise de distance face à la presse est déterminante dans la stratégie, aussi déterminante que le rythme effréné de l’avancée de la législation : elle permet d’éviter des faux-pas qui pourraient s’avérer être coûteux ainsi que des questions embarrassantes, et elle donne toute latitude aux défenseurs de la réforme de décider de l’ordre du jour et du rythme des événements.
Quand elle se trouve dans l’obligation de le faire, la réponse apportée par la droite aux préoccupations de l’opposition revient habituellement à un simple : « Faites-nous confiance ». Les porte-paroles de la droite expliquent que la coalition est moins homogène qu’il n’y paraît depuis l’autre côté de l’échiquier politique et que ce sont ces différences qui freineront les uns et les autres.
Des arguments qui pourraient être plus convaincants s’ils ne disparaissaient pas régulièrement sous l’insistance mise par la droite à dépeindre la réforme judiciaire non comme un « rééquilibrage » constitutionnel, mais comme entrant dans le cadre d’une guerre menée par une moitié du pays contre l’autre moitié.
A la tribune de la Knesset, lundi, David Amsalem – qui est ministre délégué au sein de trois différents ministères – a bien expliqué cet objectif : « Ce combat ne porte pas sur les lois ; il porte sur la question de savoir si l’élite, la ‘noblesse’, continuera à diriger le pays et sur la question de savoir si nous en resterons les vassaux ».
Dimanche, peu après que Herzog a exhorté les parties concernées à recourir au dialogue, le ministre des Communications, Shlomo Karhi, a eu cette réponse : « Pendant le gouvernement de la fraude [une référence à la coalition Lapid-Bennett de l’année dernière], quand le sacré a été violenté, insulté, je n’ai entendu personne proposer le compromis. Quand ce gouvernement a persécuté les étudiants en yeshiva et les érudits de la Torah, qu’il a piétiné les Likudniks, la tradition, le sionisme, il n’y a eu aucun appel au dialogue. C’est l’hypocrisie qui est la règle du jeu et cela fait longtemps que nous avons cessé de jouer. Continuez la réforme et faites-le de toutes vos forces ».
De tels propos ne sont pas l’exception. Ils sont la règle.
Et ils laissent penser que Netanyahu à tort au sujet d’un centre-gauche qui agiterait un épouvantail économique. Que ce n’est pas une anxiété mensongère qui est à l’origine du malaise du milieu financier international. Non, l’anxiété est réelle, les craintes de l’opposition face aux intentions de la coalition semblent confirmées par les politiciens de droite eux-mêmes quasiment au quotidien.
Israël se déchire et les sondages laissent penser que les divisions vont bien au-delà de l’intelligentsia. Le pays est bloqué dans un discours façonné par la défiance mutuelle. C’est à cause de la défiance que Levin refuse de mettre en pause sa législation pour ouvrir la porte au dialogue et c’est la défiance encore qui est à l’origine du refus de Yair Lapid, le chef de l’opposition, de lancer un débat sans arrêt préalable du processus législatif. Aucun des deux ne croit que l’autre viendra à la table des négociations de bonne foi.
Et c’est ce qui affole de plus en plus les investisseurs et les banques. Ce n’est pas seulement que ces parties de la société israélienne qui attirent la plupart des investissements étrangers – les sections laïques et libérales de Tel Aviv et des villes avoisinantes – ont majoritairement le sentiment d’être aujourd’hui attaquées par le nouveau gouvernement. Les Israéliens montrent – et par extension inévitable, ils montrent au monde – que l’autre partie n’est pas digne d’être confiance, que personne ne gagnera dans cette réforme judiciaire et que l’avenir à court-terme d’Israël sera un avenir de troubles constants. Acheteurs, soyez vigilants.
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