Réforme: Passage en première lecture de la législation sur la « raisonnabilité »
Aux prises avec les manifestants, la coalition a approuvé la législation interdisant le réexamen judiciaire des décisions des élus sous l'aune de la "raisonnabilité"
Alors que des manifestants s’étaient rassemblés à l’intérieur et à l’extérieur des murs de la Knesset, les députés ont adopté en première lecture un projet de loi controversé qui interdira le réexamen, par les juges, des décisions gouvernementales à l’aune de la notion juridique de « raisonnabilité ».
Une approbation qui a été dénoncée par l’opposition et saluée par les ministres et les députés de la coalition.
« Comme des voleurs, en pleine nuit, le gouvernement a adopté un projet de loi qui interdit l’usage de la notion juridique de ‘raisonnabilité’, apportant la preuve que rien ne l’intéresse à l’exception de lois qui s’avèrent être antidémocratiques et corrompues », a écrit le chef de l’opposition, Yair Lapid, sur Twitter. « Le combat n’est pas terminé pour autant. Jamais nous ne renoncerons aux valeurs de l’État d’Israël. Demain, des millions d’Israéliens descendront dans les rues, en portant le drapeau israélien et en le disant haut et fort : ‘Nous ne renoncerons pas’. »
« L’obscurité est toujours plus forte avant l’aube. La lutte continue », a pour sa part commenté le leader du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz.
« Le gouvernement responsable du coup d’État contre le régime a mené une attaque contre la démocratie israélienne, ce soir. Il a menti aux Israéliens et il a foulé aux pieds la démocratie. Le mouvement de protestation sera la réponse apportée par les Israéliens au gouvernement », a indiqué pour sa part la cheffe d’Avoda, Merav Michaeli. »Israël ne sera pas une dictature – c’est la démocratie qui l’emportera ».
Yesh Atid, le parti de Lapid, a estimé que « le combat n’est pas terminé ».
« Jamais nous n’abandonnerons la démocratie israélienne et jamais nous ne permettrons un démantèlement de l’intérieur de notre nation », a ajouté la faction.
Pour sa part, Avigdor Liberman, dirigeant de la formation Yisrael Beytenu, a déclaré que le vote de mardi avait été « le premier pas » du gouvernement dans son programme de « conquête » du système judiciaire israélien.
De son côté, le ministre de la Justice, l’un des artisans du plan de refonte radicale du système de la justice israélien s’est réjoui sur Telegram, disant que « nous avons enfin avancé ».
« Nous avons passé l’obstacle de la première lecture », a commenté pour sa part le député d’extrême-droite Simcha Rothman, président de la Commission qui a parrainé la loi. « A demain en Commission. Merci à tous ceux qui ont cru en nous et qui nous ont soutenus ».
Le chef du parti d’extrême-droite Hatzionout Hadatit, Bezalel Smotrich, a noté que « 64 partisans contre 56 opposants à l’idée de brider le test de ‘raisonnabilité’. Ce soir, la démocratie a gagné ».
« Nous continuerons en deuxième lecture et en troisième lecture », a promis Smotrich sur Twitter.
« C’est un bon début », s’est félicité le ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite, Itamar Ben Gvir, sur Telegram. « Nous n’avons dorénavant plus besoin de compromis et nous devons faire approuver la réforme toute entière ».
De son côté, le Premier ministre Benjamin Netanyahu n’avait pas encore réagi au moment de la publication de cet article.
Ce vote a assurément été la première victoire remportée dans le cadre du plan de refonte du système de la justice israélien du gouvernement depuis sa suspension, au mois de mars, par le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
La législation a été approuvée à 64 voix « Pour » contre 56 « Contre » à l’issue d’une session longue et orageuse qui a commencé lundi dans la soirée à la Knesset de Jérusalem, et qui s’est terminée après minuit.
Après le vote – qui a eu lieu conformément aux lignes partisanes – les députés ont entonné le slogan « Honte ! » alors que les membres de la coalition fêtaient leur victoire.
La législation devra encore passer l’épreuve de deux nouvelles lectures avant d’être définitivement adoptée et la coalition est bien déterminée à mener à bien ce processus avant la fin de la session estivale. Le parlement sera en congé à la fin du mois.
Peu avant le débat qui a ouvert le premier vote du projet de loi, Netanyahu a promis dans un message en vidéo que « même après ce changement, les droits des tribunaux et les droits des citoyens ne subiront aucune atteinte, quelle qu’elle soit », ajoutant que « la Cour continuera à inspecter la légalité des décisions et des nominations du gouvernement ».
Ne cherchant pas à dissimuler son scepticisme, le leader de l’opposition Yair Lapid a accusé la coalition de Netanyahu d’avoir présenté la législation sur la limitation de la notion juridique de « raisonnabilité » pour poursuivre des objectifs intéressés et corrompus peu glorieux.
« Dites au moins la vérité », s’est indigné le chef de Yesh Atid, dans l’opposition, au cours d’un discours féroce prononcé depuis la tribune. « C’est une loi qui dit explicitement que vous aurez le droit de nommer un criminel condamné par les tribunaux à un poste ministériel », a-t-il ajouté, faisait référence à l’éventuel retour d’Aryeh Deri, condamné à plusieurs reprises pour des crimes financiers et leader du parti Shas, au cabinet. « C’est une loi qui dit explicitement que vous pourrez limoger la procureure-générale, comme vous avez supplié de le faire hier » au cours d’une rencontre agitée du cabinet et « c’est une loi qui dit explicitement que vous serez enfin en mesure de conclure une négociation de peine pour votre patron », évoquant là le procès pour corruption de Netanyahu actuellement en cours.
Même s’il a été présenté comme une limitation des réexamens, par les juges, des décisions prises par les politiciens à l’aide de la notion juridique de « raisonnabilité », le texte interdit complètement aux magistrats d’utiliser ce principe pour invalider les décisions prises par le cabinet, par les ministres et par d’autres responsables élus dont la charge n’a pas été précisée – voire pour simplement débattre de ces décisions.
Les partisans du projet de loi expliquent que ce dernier permet aux responsables élus – plutôt qu’à des juges qui ne l’ont pas été – d’avoir le dernier mot sur les politiques mises en place et sur les nominations. Deri avait été exclu du cabinet, au sein de la coalition, après un jugement de la Haute-cour qui avait estimé que sa désignation au poste de ministre de la Santé et de ministre de l’Intérieur était « déraisonnable à l’extrême ».
Les critiques, de leur côté, affirment que le texte fait disparaître un contre-pouvoir déterminant qui, jusqu’à présent, a permis d’éviter des prises de décision arbitraires et que la notion juridique de « raisonnabilité » garantit l’indépendance des gardiens du temple dans le système judiciaire en les protégeant contre des renvois qui seraient de nature politique.
S’exprimant devant le parlement, juste avant le vote, le ministre de la Justice Yariv Levin a indiqué que le projet de loi « ne place pas le gouvernement au-dessus des lois » mais qu’il autorisera les parlementaires à mettre en œuvre les politiques qui ont valu à la coalition d’être élue.
« Cette situation où trois juges décident ce qui est ‘raisonnable’ à leur yeux, conformément à leur positionnement politique et à l’encontre de ce que le peuple a déterminé sape la base de la gouvernance démocratique », a dit Levin.
« Vous n’arrêterez pas cette législation et vous n’écraserez pas la volonté qui a été exprimée par le peuple », a ajouté le ministre de la Justice en s’adressant aux députés de l’opposition qui le huaient dans la salle.
Anticipant un mouvement de protestation de grande ampleur prévu mardi sur tout le territoire israélien, un certain nombre de manifestants ont accédé à la Knesset, tentant d’empêcher les députés de pénétrer dans la salle de la séance plénière.
Les services de sécurité du parlement ont expulsé physiquement deux personnes. Certains protestataires ont été traînés sur le sol et un individu a été blessé et emmené à l’hôpital, selon la Douzième chaîne.
Plusieurs manifestants ont par ailleurs essayé de se coller au sol, aux abords de la plénière, a précisé la Treizième chaîne.
Le président du parlement, Amir Ohana, a rendu hommage aux services de sécurité qui, selon lui, ont empêché « un gang de hors-la-loi de bloquer la séance plénière de la Knesset ».
Le porte-parole du parlement a précisé que les manifestants avaient pu entrer grâce à des invitations distribuées par les bureaux de deux députés de Yesh Atid et que ces derniers, Merav Cohen et Naor Shiri, seraient convoqués par la Commission d’éthique de la Knesset « au vu de la gravité de cet événement sans précédent ».
Un plus grand nombre de manifestants se sont rassemblés devant les portes du parlement, à l’extérieur.
Dans l’enceinte du bâtiment, plusieurs députés de Yesh Atid ont été exclus de la salle en raison de perturbations et ce quelques minutes à peine après l’ouverture du débat. D’autres parlementaires ont arboré des tee-shirts avec un grand drapeau israélien – un drapeau qui a été adopté comme symbole à la fois par les partisans et par les détracteurs du programme de refonte judiciaire.
Présentant son projet de loi devant les parlementaires, Simcha Rothman, député d’extrême-droite et président de la Commission qui a parrainé le texte, a indiqué que « tous ceux qui ne voient aucun problème à ce que la Cour intervienne dans les décisions prises par le Premier ministre… devraient s’intéresser à la manière dont un tel procédé a été utilisé. »
Soumis sous la forme d’un amendement à la Loi fondamentale : le système judiciaire – les Lois fondamentales sont quasiment constitutionnelles – la législation aurait dû être parrainée par le ministère de la Justice. Toutefois, avec une échéance à court-terme pour soumettre la loi au vote – la coalition voudrait la fairer adopter avant les congés d’été de la Knesset, le 30 juillet – c’est la Commission de la Constitution, du droit et de la justice de Rothman qui a choisi la parrainer et de rapidement la présenter en première lecture, une présentation qui s’est faite en l’espace de neuf jours.
La Commission de la Constitution doit reprendre son travail mardi en amont de la deuxième lecture et de la troisième lecture de la législation, qui seront les dernières. La coalition espère finaliser l’adoption du texte dans la semaine du 24 juillet, selon des sources proches de Rothman.
La coalition subit des pressions en faveur d’un adoucissement de la formulation du projet de loi et elle examinerait la possibilité de le faire, même si aucune initiative de ce type n’a été encore mise en place.
Parmi les inquiétudes exprimées face au texte, l’absence de tout contrôle des décisions administratives prises par les gouvernements intérimaires avant les élections nationales et la possible immunité des municipalités face aux requêtes portées devant les tribunaux.
Quelques heures après avoir exhorté la coalition de Netanyahu à reprendre les négociations visant à trouver un compromis dans le cadre du programme de refonte radicale du système de la justice israélien – les pourparlers ont été gelés – Benny Gantz, député de l’opposition et chef de HaMahane HaMamlahti, a dit aux parlementaires réunis en séance plénière que le projet de loi sur la limitation de la notion juridique de « raisonnabilité » était la porte ouverte à la disparition d’autres outils de contrôle de la toute-puissance politique qui se trouvaient jusqu’à présent entre les mains du système judiciaire.
« La signification de la loi que vous cherchez aujourd’hui à faire avancer n’est que le début d’un processus dangereux de suppression de toutes les restrictions auxquelles le gouvernement est soumis et d’effacement total de la possibilité même de réexamen judiciaire », a-t-il déclaré. « L’effet boule de neige que vous commencez à provoquer aujourd’hui ne fera que s’amplifier et ne fera que prendre de l’élan et il anéantira le pays tout entier si nous ne l’arrêtons pas dès aujourd’hui ».
Si les tribunaux sont dans l’incapacité de procéder au réexamen judiciaire des décisions des élus sous le prisme de la « raisonnabilité », a continué Gantz, la loi électorale, l’indépendance du procureur-général et la nomination de responsables compétents, entre autres, seront en danger.
Il a encore lancé un appel à Netanyahu, lui demandant de stopper l’avancée de la législation et de revenir à la table des négociations qui étaient organisées par le président Isaac Herzog – des pourparlers dont s’étaient retirés, le mois dernier, Gantz et Lapid qui craignaient que la coalition se refuse à désigner les membres de la Commission de sélection judiciaire.
Lapid, qui a également indiqué, dans la journée de lundi, qu’il était possible de relancer les discussions – dans la mesure où tous les projets envisagés dans le cadre du programme de refonte radicale du système israélien seraient suspendus, et ce avant que le texte sur la « raisonnabilité » soit présenté pour sa troisième et dernière lecture – a adopté un positionnement bien plus dur pendant le débat en séance plénière.
Attaquant la coalition qui a consacré toute son énergie au plan de refonte du système de la justice au détriment des questions qui préoccupent les électeurs – comme le coup coût de la vie ou sécurité – il a interpellé à voix forte les députés de la coalition en s’étonnant : « Mais vous travaillez pour qui, en fait ? »
« Quel est donc le lien entre ce plan et les citoyens israéliens qui tentent de gagner un revenu décent ? Quel est donc le lien avec la sécurité des Israéliens ? », a-t-il interrogé. « Vous avez promis d’aider les plus vulnérables et de protéger la sécurité israélienne… Et vous vous consacrez uniquement à cette folie, vous ne faites rien d’autre ».
Lapid a ajouté que si la législation devait être adoptée suite à sa deuxième lecture et à sa troisième lecture, il espérait que la Haute-cour de justice l’invaliderait.
« Et si ce n’est pas le cas, votre gouvernement sera abattu par les électeurs qui ont bien constaté que vous ne travaillez pas pour eux », a-t-il poursuivi.
Depuis l’effondrement des négociations, au mois de juin, la coalition a consacré tous ses efforts à l’adoption du projet de loi sur le réexamen judiciaire, par les magistrats, des décisions des élus à l’aune de la « raisonnabilité » – un projet de loi qui ne devrait toutefois être que le premier d’une série de changements profonds intervenant dans le système de la justice israélien.
Un projet de loi qui se trouve au cœur de ce programme du ministre de la Justice Yariv Levin est celui qui restructurerait le système de désignation des juges, en plaçant le processus sous le contrôle des politiques. Le texte avait franchi l’épreuve de la première lecture au début du mois de février et il devait être adopté à la fin du mois de mars. Néanmoins, Netanyahu avait alors limogé son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui avait mis en garde contre les divisions entraînées par la législation – des fractures qui faisaient peser une menace sur les intérêts sécuritaires d’Israël. Un renvoi qui avait suscité un mouvement de protestation national immense qui avait convaincu le Premier ministre de suspendre le projet de loi. Gallant avait finalement conservé son poste.
Netanyahu a indiqué qu’il prévoyait de faire avancer le projet de loi consacré à la restructuration de la Commission de sélection judiciaire, chargée de la nomination des juges, pendant la session hivernale de la Knesset qui commencera au mois d’octobre.