Sans distributeur, un film nominé aux Oscars sur un village de Cisjordanie projeté aux US
Réalisé par une équipe israélo-palestinienne, "No Other Land", qui évoque les démolitions et les violences des extrémistes juifs à Masafer Yatta, a été sélectionné aux Oscars
JTA — Depuis des mois, la communauté internationale du cinéma s’est mobilisée en faveur d’un documentaire portant sur la destruction, par l’armée israélienne, d’un village palestinien en Cisjordanie – un documentaire qui n’est pas parvenu à trouver un distributeur américain malgré des critiques unanimement dithyrambiques.
Aujourd’hui, « No Other Land » a une nouvelle raison de s’enorgueillir. Jeudi, le film – qui a été co-réalisé par un collectif de cinéastes israéliens et palestiniens – a été nominé aux Oscars dans la catégorie du meilleur documentaire, ce qui est une prouesse pour un film non distribué.
Dans un message de remerciement qui a été publié en hébreu après l’annonce de cette nomination, le co-réalisateur israélien du film, Yuval Abraham, a écrit sur X : « Ce film a été créé grâce à la communauté de Masafer Yatta et grâce à d’innombrables militants des droits de l’Homme qui ont documenté, pendant deux décennies, l’expulsion encore actuellement en cours ».
Interrogés sur la nomination du documentaire aux Oscars, les représentants des réalisateurs ont déclaré qu’ils n’avaient pas encore réagi officiellement à la nouvelle, « les choses ayant été très intenses en Cisjordanie au cours des dernières quarante-huit heures ».
Deux des quatre réalisateurs du film sont des Palestiniens qui vivent en Cisjordanie – où Israël a mené, cette semaine, des raids dans la ville de Jénine dans le cadre d’une opération visant à retrouver les auteurs d’un récent attentat terroriste, quelques jours seulement après avoir conclu un cessez-le-feu à Gaza. La région a également connu une augmentation spectaculaire des violences commises par les partisans du mouvement pro-implantation au cours des nombreux mois qui ont suivi le début de la guerre opposant Israël au Hamas, au sein de l’enclave côtière.
Même sans distributeur, « No Other Land » continue de faire son chemin dans les salles de cinéma des États-Unis. Un représentant de la société chargée de la vente du film, Cinetic Media, explique à la Jewish Telegraphic Agency qu’elle a établi un partenariat avec mTucker Media – qui négocie avec les salles de cinéma pour la sortie de films indépendants – afin d’être en mesure de projeter le documentaire dans plus de vingt villes au cours des prochaines semaines.
Après une projection lors de l’ouverture du Film Forum à New York, la semaine prochaine, le documentaire sera présenté sur d’autres marchés – notamment à Los Angeles, à Chicago, à Atlanta, à Boston et à Washington DC, le 7 février. Il est également disponible gratuitement en streaming pour les habitants d’Israël et des Territoires palestiniens.
Cinetic a décliné plusieurs demandes de la JTA qui souhaitait pouvoir interviewer les réalisateurs du film, les Israéliens Abraham et Rachel Szor et les Palestiniens Basel Adra et Hamdan Ballal. Toutefois, les réalisateurs ont pu ouvertement évoquer, dans d’autres médias, leur lutte pour obtenir une sortie aux Etats-Unis.
« Je considère que c’est quelque chose de totalement politique », a ainsi récemment confié Abraham à Variety, parlant de l’absence de distribution du documentaire aux États-Unis. « Le film est très, très critique à l’égard de la politique israélienne. En tant qu’Israélien, je pense que c’est une très bonne chose, car nous devons critiquer ces politiques pour qu’elles puissent changer. Mais je pense que le débat, aux États-Unis, est beaucoup moins nuancé – il y a beaucoup moins d’espace pour ce genre de critiques, même lorsqu’elles se présentent sous la forme d’un film ».
« Je pense pour ma part que les Américains ont une responsabilité à assumer », a renchéri le co-réalisateur palestinien du documentaire, Basel Adra dans le cadre de la même interview. « J’espère qu’ils verront ce film, qu’ils iront dans la bonne direction et qu’ils prendront toutes les mesures possibles pour nous aider à changer les choses ».
Récit personnel, le film se concentre sur Adra, un résident du village de Masafer Yatta, et sur Abraham, un journaliste israélien, à la suite d’une décision controversée prise par la Cour suprême israélienne en 2022 qui avait statué que l’habitation d’Adra était propriété de l’armée israélienne. Le titre est tiré des propos tenus par une habitante du village qui, pendant le documentaire, s’inquiète de la perte potentielle de sa maison : « Nous n’avons pas d’autre terre ».
Le film fait la chronique des diverses démolitions faites par Tsahal, de la « résistance » palestinienne face aux ordres d’évacuation et des attaques violentes commises par les partisans du mouvement pro-implantations à l’encontre des villageois. Les deux protagonistes réfléchissent également sur l’amitié qui les lie et sur leur avenir individuel – réalisant que ces avenirs se construiront sur des fondations inégales dans la mesure où Abraham jouit d’un plus grand nombre de droits parce qu’il est né citoyen israélien.
Tourné presque entièrement avant l’attaque sanglante qui avait été perpétrée par les terroristes du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023 – ce jour-là, des milliers de terroristes avaient pris d’assaut le territoire israélien, massacrant plus de 1 200 personnes et kidnappant 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza – le documentaire se focalise exclusivement sur la Cisjordanie. Un épilogue bref révèle l’augmentation des attaques lancées par les partisans du mouvement pro-implantation israélien contre les villages palestiniens depuis le 7 octobre et les réalisateurs du film ont également profité de leur participation à des festivals pour dénoncer la campagne militaire israélienne à Gaza, une offensive qui a suivi le pogrom du 7 octobre.
« Cette situation d’apartheid entre nous, ces inégalités doivent cesser », avait dit avec fougue Abraham lors du discours de remerciement qu’il avait prononcé dans le cadre du festival du film de Berlin, au mois de février 2024, où le film avait été présenté pour la première fois et où il avait remporté le prix du meilleur documentaire. Adra, de son côté, avait dit qu’Israël se livrait à un « massacre », dénonçant les ventes d’armes allemandes à Israël. La télévision israélienne avait estimé que l’allocution d’Abraham était antisémite – ce qui, selon le réalisateur israélien, lui avait valu d’être menacé de mort. Lors de la sortie du film en Allemagne à l’automne dernier, la ville de Berlin avait accusé le film de « présenter un contenu antisémite » – une accusation qui avait été dénoncée avec ferveur par le directeur de la Berlinale.
Les critiques de cinéma américains – avec plusieurs critiques juifs parmi eux – ont farouchement pris la défense du film. David Ehrlich, le principal critique de cinéma juif d’Indiewire, l’a classé deuxième meilleur film de l’année et il a lancé, aux côtés d’Adra, une collecte de fonds au profit de la Société du Croissant-Rouge palestinien.
« J’ai pensé que c’était plus qu’un film », a indiqué à la JTA J. Hoberman, un critique de cinéma juif qui a écrit que « No Other Land » était le meilleur film de l’année dans le magazine Artforum. « J’ai été vraiment heureux de découvrir un film qui s’exprime aussi ouvertement sur ce que je considère personnellement comme une injustice terrible ».
Les membres de l’industrie du septième art supposent que le documentaire n’a pas trouvé de distributeur dans la mesure où les sociétés américaines ne veulent pas avoir à supporter le poids d’un film qui critique ouvertement Israël après le 7 octobre.
« Aucune entreprise n’a le sentiment de pouvoir prendre le risque du bagage émotionnel que ce film pourrait apporter, qu’elle partage ou non le point de vue exprimé par les réalisateurs », a récemment confié à la JTA Eric Kohn, directeur de création juif du studio de production EDGLRD, spécialisé dans les nouveaux médias, qui est aussi ancien critique de cinéma. « Israelism », un autre documentaire critique à l’égard d’Israël, a également connu un succès populaire pendant des mois avant d’être acheté par le nouveau distributeur palestinien Watermelon Films.
Le film présente des thématiques communes avec « 5 Broken Cameras », un documentaire datant de 2011, qui avait été salué par la critique et qui était consacré à la vie d’un résident palestinien de Cisjordanie pris au beau milieu de la construction d’une implantation israélienne. Ce film avait également été co-réalisé par des Israéliens et des Palestiniens et il avait été nominé aux Oscars. Contrairement à « No Other Land », « 5 Broken Cameras » avait été largement diffusé par un distributeur américain et il avait finalement été présenté à l’échelle nationale par PBS.
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